Découvrez Devon, la plus grande île inhabitée au monde

L’île Devon figure parmi les endroits les plus rudes d’Arctique. Haut lieu de l’histoire inuite, elle a été le théâtre d’expéditions vouées à l’échec et de tentatives de colonisation infructueuses.

De Jacqueline Kehoe
Publication 15 oct. 2024, 12:23 CEST
Ce petit cimetière abrite les tombes des officiers de la Gendarmerie royale du Canada, postés à ...

Ce petit cimetière abrite les tombes des officiers de la Gendarmerie royale du Canada, postés à Dundas Harbour, sur l’île Devon, au début du 20e siècle. Les conditions climatiques extrêmes de l’île inhabitée ont poussé les explorateurs perdus, les colons inuits, et aujourd’hui les scientifiques étudiant la vie sur Mars, dans leurs retranchements.

PHOTOGRAPHIE DE Bruce Yuanyue Bi, Getty

Située à une latitude de 74°, l’île Devon se trouve à plus de 8 000 km au nord d’Hawaï, État américain dont elle fait cinq fois la taille. Isolée, venteuse et rude, elle est considérée, avec ses montagnes désolées s’élevant au-dessus de plages gelées, où les oiseaux marins remplissent le ciel et les bœufs musqués s’aventurent le long de la côte, comme un désert polaire. Bordant le fameux passage du Nord-Ouest dans le Nunavut, au Canada, l’île Devon demeure inhabitée.

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. Des hommes et des femmes ont tenté, en vain, de vivre sur l’île arctique pendant des siècles ; la dernière fois, c’était en 1951. Les anciens villages inuits y côtoient une ville militaire fantôme, les vestiges d’expéditions vouées à l’échec et même une station de recherche de la NASA, perchée au sommet d’un immense cratère. Les rares visiteurs qui s’aventurent aujourd’hui sur l’île peuvent découvrir l’art très ancien de la survie humaine.

 

LES HISTOIRES OUBLIÉES DE L’ÎLE DEVON

Si le nom de l’île Devon vous évoque quelque chose, c’est sans doute en raison de la disparition de l’expédition Franklin. En 1845, cent vingt-neuf hommes embarquèrent à bord du HMS Erebus et du HMS Terror pour cartographier le fameux passage du Nord-Ouest pour la Grande-Bretagne. Ils ne sont jamais revenus. Les recherches commencèrent en 1848 et le premier indice concernant le sort de l’expédition, un râteau de naturaliste, fut découvert en 1850 sur l’île Devon. S’ensuivit la découverte d’autres objets, comme un bout de toile portant le nom « Terror » dessus, 700 conserves de viande vides et doublées de plomb, ainsi que des vêtements, du fer, des cordes et des pipes.

En 1852, Sir Edward Belcher mena la dernière tentative de sauvetage des hommes disparus. Son équipe, basée sur l’île Devon, érigea dans une petite baie plusieurs cairns et repères d’arpentage, un site désormais connu comme le Lieu historique national du Canada de Port Refuge. Si la mission de sauvetage de Belcher fut infructueuse, l’un de ses navires, le HMS Resolute, connut une belle fin : ses membrures furent utilisées dans la construction d’un des meubles les plus iconiques au monde, le Resolute Desk, qui sert aujourd’hui encore aux présidents américains.

Soixante-dix ans plus tard, une fois le passage du Nord-Ouest cartographié, la Gendarmerie royale du Canada souhaita planter son drapeau sur l’île Devon. En 1924, trois de ses officiers (et cinquante-deux Inuits déplacés de force) furent envoyés pour régner sur le Haut-Arctique à Dundas Harbour, où les falaises dentelées et les plages rocheuses de l’île donnent sur le détroit de Lancaster. « C’était plus pour asseoir leur présence que pour mener des opérations de maintien de l’ordre », explique Kaylee Baxter, archéologue chez Adventure Canada. « Il fallait du monde sur place pour empêcher les autres nations de s’emparer de l’Arctique ».

Cette vieille table en bois a été abandonnée au poste de la Gendarmerie royale du Canada de Dundas Harbour par les officiers fuyant la rudesse du climat de l’Arctique.

PHOTOGRAPHIE DE Pete Ryan, Nat Geo Image Collection

En l’espace de trois ans, deux officiers sont morts : l’un s’est suicidé, l’autre s’est accidentellement tué avec son arme (c’est tout du moins ce qui se murmurait). Le dernier officier et les familles inuits ne tardèrent pas à quitter cet endroit isolé. La Gendarmerie royale du Canada ferma le poste en 1933, puis le rouvrit en 1945 avant de le fermer pour de bon en 1951.

Les deux officiers, dont les tombes sont régulièrement entretenues, reposent dans le cimetière le plus septentrional au monde, situé sur une colline surplombant l’avant-poste abandonné. La sépulture modeste d’une fille inuite se trouve à quelques pas de là. « C’est une représentation plutôt fidèle de la colonisation dans l’Arctique », souligne Kaylee Baxter.

Comparés aux premiers habitants de l’île Devon, les « Mounties » canadiens et ces explorateurs britanniques étaient des visiteurs modernes. À quelques encablures des cairns de Belcher du Lieu historique du Canada du Port Refuge, les archéologues ont mis au jour des objets vieux de 4 000 ans, qui prouvent que les Inuits et les colonies vikings médiévales du Groenland se sont côtoyés. Des objets asiatiques y ont également été découverts, preuves de l’existence d’immenses routes commerciales du Nord couvrant la moitié de la planète.

À Dundas Harbour, à quelques pas du poste de la Gendarmerie royale du Canada, se trouvent les vestiges d’un ancien village inuit vieux de 1 000 ans environ. Le site de Morin Point Thule livre des informations sur les premiers pionniers à avoir traversé l’Arctique de l’Est, mais il disparaît progressivement sous l’effet de l’érosion. « C’est un excellent exemple de l’érosion côtière que subissent les sites archéologiques », indique Kaylee Baxter, qui aide à l’enregistrement et à l’archivage du site avant sa disparition. « Un excellent exemple du pire des cas ».

 

DES SIMULATIONS DE SURVIE SUR MARS

La NASA et le Mars Institute sont les derniers en date à affronter les conditions climatiques extrêmes de l’île Devon. C’est dans un froid glacial, avec des systèmes de communication limités ainsi qu’un manque d’ensoleillement et de végétation, que les scientifiques mènent des missions analogues (ou des entraînements) afin de simuler l’exploration sur Mars. Le projet Haughton-Mars permet aux astronautes de s’entraîner dans des conditions incroyablement difficiles, de tester les limites des équipements et de mener des recherches sur les défis liés à la culture des plantes et les vols spatiaux au long cours.

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    Ce poste abandonné de la Gendarmerie royale du Canada à Dundas Harbour a été créé en 1924 dans le cadre des efforts du Canada à asseoir son autorité sur la région Arctique. En l’espace de trois ans, deux officiers sont morts, ce qui a conduit à l’abandon de cet avant-poste. Il a rouvert en 1945 avant de fermer à nouveau en 1951.

    PHOTOGRAPHIE DE Jacqueline Kehoe

    Les conditions climatiques sont toutefois trop rudes pour que l’île devienne une station de recherche permanente. Les tentes d’été modulables sont installées au sommet du cratère d’impact de Haughton d’un diamètre de 23 kilomètres, qui est l’un des cratères les plus septentrionaux sur Terre. Même les équipes les mieux équipées de la NASA ne peuvent se protéger des hivers rigoureux de l’île.

     

    VISITER L’ÎLE DEVON

    Si l’île Devon est inhabitée, les villes du nord du Nunavut, comme celles de Pond Inlet ou Arctic Bay, sont, elles, bien animées. « Il y a une forte culture ici », confie Jason Edmunds, vice-président de Travel Nunavut et l’un des seuls guides d’expédition inuits du Canada. « Lorsque vous voyagez dans la région, pensez à la culture. Ne vous concentrez pas uniquement sur les impacts qu’une autre culture a eus dessus ».

    La plupart des visiteurs qui explorent aujourd’hui sur l’île Devon et les îles arctiques voisines s’y rendent dans le cadre de croisières d’expédition. Des compagnies comme Adventure Canada et Lindblad Expeditions proposent des itinéraires empruntant le passage du Nord-Ouest, où les voyageurs peuvent s’adonner à l’observation de la faune et à la randonnée, mais aussi découvrir les anciens villages inuits et les vestiges des expéditions passées. Attention toutefois à bien comprendre l’essence même d’une croisière d’expédition : votre itinéraire évoluera en fonction de la glace, comme tous les voyages effectués depuis le premier réalisé par un explorateur inuit.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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