Expériences 5 étoiles : comment les safaris ont évolué vers le luxe en quelques années

Après la pandémie, le coût d’un séjour dans un gîte haut de gamme a grimpé en flèche, dépassant souvent 1 000€ la nuit.

De Duncan Craig
Publication 25 sept. 2024, 14:12 CEST

En raison de l'évolution des goûts de la clientèle vers le luxe haut de gamme, les safaris proposant des cures thermales, des piscines à débordement et une gastronomie de renommée mondiale sont devenus la norme.

PHOTOGRAPHIE DE Natural Selection Travel

Il y a trente ans, quand Beks Ndlovu a commencé sa carrière de guide au parc national Hwange, au Zimbabwe, non loin de son village, les safaris étaient bien différents. À l'époque, il s'agissait de camps fonctionnels offrant la simplicité de la nature pour les amateurs de faune et de flore sauvages, plus de rencontres avec les animaux que de confort. « Ce n'était pas tant la nature de l'hébergement qui comptait que l'expérience : passer du temps dans ces endroits reculés avec son guide », se souvient-il.

Ces dernières années, ce qu'il appelle les « espaces de luxe » ont gagné en popularité, en raison de l'évolution des goûts des consommateurs pour des expériences haut de gamme. Pour les camps, « c'est devenu une course à l'équipement », explique Chris McIntyre, directeur de l'entreprise Expert Africa, qui se spécialise dans les safaris de luxe, sur mesure et durables en Afrique australe et en Afrique de l'Est. Les cures thermales, les piscines à débordement et la gastronomie de renommée mondiale deviennent rapidement la norme. « Les niveaux de confort ont continué d'augmenter », dit-il.

Cela traduit les prix exorbitants des safaris qui, inscrits dans un modèle d'entreprise « à prix élevés et à faible impact » afin de protéger les écosystèmes fragiles dans lesquels ils opèrent, étaient déjà très couteux. Aujourd'hui, dépenser plus de 1 000€ la nuit par personne est courant. Emmenez votre famille pendant dix jours dans un camp d'exception au Botswana et en Namibie et vous pourrez dépenser des sommes à cinq, voire six chiffres. « Les prix sont montés en flèche et surtout depuis la pandémie. Nous le constatons de plus en plus », déclare Chris McIntyre.

La demande est alimentée en partie par l'envie d'évasion post-Covid vers les grands espaces et les projets de type « carpe diem bucket-list ». L'Afrique, en tant que premier continent proposant du tourisme animalier, a rebondi après des années touristiques désastreuses. C'était le continent avec la croissance touristique la plus rapide en 2023, d'après l'Organisation mondiale du tourisme (OMT), avec des arrivées internationales à 96 % des niveaux de 2019, la remontée la plus forte au monde. Cela s'est traduit par 66.4 millions de visiteurs internationaux pour tout le continent, un chiffre qui, selon l'OMT, pourrait atteindre les 134 millions d'ici à 2030.

 

APRÈS LE DÉSASTRE

Avec la demande et les prix qui ne cessent d'augmenter, il s'agit certainement d'un coup de pouce indispensable à la conservation des paysages et de la faune qui sont à la base de toute l'entreprise.

Il est certain que la nécessité d'intervenir n'a jamais été aussi grande. Au cours des cinquante dernières années, les populations mondiales d'animaux sauvages ont subi des dommages sans précédent. Elles ont été réduites en moyenne de deux tiers depuis 1970, selon le Living Planet Report de WWF en 2022. L'Afrique subsaharienne a été la plus touchée, avec un déclin significatif de tous ses principaux mammifères.

Le tourisme animalier représente actuellement 33 % des revenus touristiques de l'Afrique au global.

PHOTOGRAPHIE DE Natural Selection Travel

La fragilité alarmante des écosystèmes est illustrée par la condition actuelle des rhinocéros noirs (Diceros bicornis). Le braconnage ayant contribué à l'extinction de 96 % de la population de rhinocéros noirs en seulement vingt-cinq ans, jusqu'en 1995, les efforts de conservation ont permis à l'espèce de revenir sur le devant de la scène. Bien sûr, le braconnage n'est pas la seule menace. La perte d'habitat, causée par l'expansion agricole, la déforestation ainsi que le minage peuvent s'avérer tout aussi destructeurs, tandis que la chasse au gibier pour la viande d'animaux sauvages est un défi permanent. C'est la raison pour laquelle les efforts de conservation de la part des organisateurs de safari ont tendance à se concentrer autant sur l'éducation et la responsabilisation des communautés locales que sur la surveillance et la protection de la faune et de l'habitat.

Les safaris haut de gamme constituent une source vitale de financements pour ces efforts de conservation, même si les camps de luxe sont loin d'être les planches à billets que certains pourraient imaginer. Les dépenses, tant initiales qu'au long cours, sont énormes. Les économies d'échelle étant nulles, tous les coûts, de la construction aux transports en passant par l'électricité et le réseau wifi, peuvent être jusqu'à 50 % plus élevés que dans les zones urbaines. Il faut nourrir et loger une main-d'œuvre suffisamment nombreuse pour répondre aux ratios entre le personnel et les hôtes. Il faut payer les droits de location et les droits d'entrée dans les parcs nationaux, financer les patrouilles anti-braconnage et prévoir un budget marketing conséquent. Quand on est immergé dans la nature, il n'y a pas beaucoup d'échanges commerciaux. « Tout a un prix », relève Kate Hughes qui travaille pour Lepogo Lodges, un groupe de safaris opérant en Afrique du Sud.

Tout cela doit être financé par une poignée d'hôtes séjournant chaque nuit sur place. « Dans les gîtes haut de gamme, tout est question d'exclusivité », explique le Dr Jennifer Lalley, cofondatrice de Natural Selection, un ensemble de vingt-quatre camps et gîtes au Botswana, en Namibie et en Afrique du Sud, axé sur la conservation.

Le simple fait d'avoir un camp occupé par des touristes présente des avantages, souligne le Dr Lalley, en particulier dans la lutte contre le braconnage. Les braconniers y réfléchissent généralement à deux fois avant de cibler les endroits remplis de témoins potentiels. Mais, les voyageurs étant de plus en plus attentifs à la protection de l'environnement, une simple présence n'est plus suffisante. Les organisateurs de safaris ont besoin d'avoir un avantage tangible sur leur environnement, au-delà des simples arguments marketing.

« Il y a énormément de green-washing là-bas », estime le Dr Lalley. L'une des erreurs les plus courantes consiste à mettre en avant le nombre de locaux employés ou d'hectares pris en charge. Les deux aspects sont utiles, bien sûr, « mais il s'agit des coûts liés à l'exercice d'une activité également », dit-elle. En d'autres termes, si vous ouvrez un gîte isolé, vous n'aurez d'autre choix que d'employer des locaux pour l'entretenir, et vous aurez aussi besoin d'un terrain d'une certaine taille pour que vos clients puissent en profiter. Elle conseille vivement aux touristes désireux de faire un safari de savoir qui « essaie vraiment d'aller plus loin ».

African Bush Camps est un bon exemple. Tourmenté par le fait de retourner dans des régions où il avait été guide pour y découvrir une faune et une flore décimées, Ndlovu a créé African Bush Camps en 2006. C'est un ensemble de dix-sept camps et de gîtes au Botswana, au Zimbabwe et en Zambie, dont l'objectif principal n'est pas seulement de conserver les terres sur lesquelles elles opèrent, mais de les régénérer.

Les projets financés par la fondation comprennent la plantation d'arbres fruitiers indigènes pour offrir un abri à la faune et à la flore et la remise à l'état sauvage des zones qui ont été utilisées dans le passé pour le pâturage du bétail. Des initiatives de coexistence entre l'homme et la faune ont également été mises en œuvre, notamment en aidant les villages à protéger le bétail des prédateurs afin d'éviter les représailles. Plutôt que de se concentrer sur le superficiel, faire des dons symboliques, installer quelques panneaux solaires sur le toit et s'arrêter là, ils vont plus loin.

 

CHOISIR JUDICIEUSEMENT

Le type de territoire protégé que vous visitez peut s'avérer tout aussi important, comme le soulève Justin Francis, fondateur et PDG de Responsible Travel, qui offre plus de 400 safaris dans diverses destinations d'Afrique. Contrairement aux réserves et aux parcs gérés par le gouvernement, ceux-ci appartiennent aux communautés locales qui perçoivent un revenu régulier sous la forme de bail emphytéotique et qui ont un droit de regard sur l'activité touristique en cours, créant ainsi non seulement un revenu, mais aussi une adhésion.

C'est un nouveau concept, mais il n'est pas niche. Environ un cinquième du territoire kenyan est protégé sous une forme ou une autre, et un peu plus de la moitié de ce territoire est constitué de réserves naturelles communautaires, alors qu'il n'y en avait aucune depuis une génération. La Namibie, l'Ouganda et la Zambie embrassent également le principe. 

Le surtourisme est aussi une réalité pour le tourisme animalier, d'après Justin Francis. Il mentionne le cratère de Ngorongoro en Tanzanie, où des centaines de véhicules d'observation de la faune se réunissent chaque jour, perturbant les périodes de chasse et les habitats. C'est le safari en tant que force destructive plutôt que conservatrice, et la conclusion pour le consommateur est claire : il faut rechercher ce qui est moins connu.

Lepogo Lodges, deux camps situés dans la province sud-africaine de Limpopo, fait partie de cette catégorie. Les camps sont somptueux et les prix sont à l'avenant. Le Noka Camp, avec ses villas sous tente et ses piscines à débordement, est proposé à partir de 36 000 ZAR (environ 1 815 €) par couple et par nuit.

« Nous avons créé notre gîte pour qu'il soit aussi luxueux que possible afin que nous puissions appliquer un tarif préférentiel et collecter autant d'argent que possible », explique Kate Hughes, directrice des opérations. Un profit éhonté ? Pas du tout. Lepogo est une association à but non lucratif, qui investit tout ce qui dépasse ses frais de fonctionnement dans des projets destinés à préserver et à améliorer l'environnement immédiat. Elle a parrainé la réintroduction dans la réserve du guépard, animal totémique pour l'entreprise (« lepogo » signifie « guépard » en sotho du nord). Dans le cadre d'une autre initiative, l'entreprise a fourni aux communautés locales des poêles à bois efficaces afin de réduire la déforestation.

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    Faisant partie des Lepogo Lodges dans le Limpopo, en Afrique du Sud, les villas sous tente du Noka camp sont proposées à partir de 1 816 € par couple et par nuit.

    PHOTOGRAPHIE DE Lepogo Lodges

    Les montants qui peuvent être collectés sont incroyables. Une famille réservant les douze lits du Noka Camp exclusivement pour huit jours pourrait rapporter jusqu'à 35 000 € rien que pour les efforts de conservation de Lepogo. « Pour nous, c'est une évidence », déclare Hughes. « Nous devons laisser un héritage en matière de conservation. »

    Wolwedans, dans le sud-ouest de la Namibie, est une autre organisation qui se soucie de la conservation et garde les particuliers fortunés dans sa ligne de mire. Elle a été fondée en 1995 pour générer des revenus pour la réserve naturelle de NamibRand et ses 2 071 kilomètres carrés. « Le profit était considéré comme un sous-produit et non comme un objectif », se souvient le propriétaire Stephan Brückner.

    Wolwedans s'est depuis étendue à un ensemble de cinq gîtes et camps exclusifs, qui attirent des célébrités et des chefs d'industrie et qui ont rapporté 30 millions de dollars namibiens (environ 15 millions d'euros) rien qu'avec les droits d'entrée dans le parc. Les oryx emblématiques de la région prospèrent désormais et les visiteurs fortunés ont financé des initiatives telles qu'un centre de formation professionnelle pour les jeunes Namibiens.

    « La moitié de ce qui est généré revient à la communauté et à la conservation », explique Brückner. « Nous le devons à nos enfants. »

    Stephan Brückner estime que c'est au niveau des personnes très fortunées que le potentiel de conservation est le plus important. « Les personnes aisées sont prêtes à payer une prime si elles savent qu'il s'agit d'une bonne cause. Le potentiel est énorme. »

    Wolwedans a été l'un des membres fondateurs de The Long Run en 2009, un collectif de plus de soixante entreprises de tourisme axées sur la nature, dont un tiers sont des camps de safari ou des gîtes, qui s'engagent à promouvoir la durabilité. D'après eux, ils fournissent un cadre aux membres et aux partenaires pour « intégrer la durabilité » dans leurs modèles d'entreprise, ce qui, dans la pratique, signifie tout, depuis les visites de sites et les plans d'actions jusqu'à l'organisation d'événements et l'assistance à distance. Ensemble, ils veillent à la sauvegarde de presque 10 millions d'hectares. L'accent est mis sur le modèle de durabilité des « 4 C » : conservation, communauté, culture, mais aussi commerce, car seules des entreprises stables peuvent offrir le soutien à long terme qui est si manifestement nécessaire.

    Et la triste vérité, c'est qu'il s'agit d'un besoin. Une dépendance du tourisme animalier a été créée. Selon McIntyre, si l'on interdit ce processus, la dévastation sera rapide. Il n'y aurait pas de revenus, ou d'intérêt à protéger la nature, ou les créatures qui prospèrent dans ces zones. L'agriculture, l'exploitation forestière, l'exploitation minière et les chasseurs s'y engouffreraient. « Ce serait la fin d'un grand nombre de réserves et d'animaux », déclare McIntyre.

    Cette dépendance a été mise en évidence par la pause touristique de la pandémie. « Tant que les gens viennent en Afrique, nous disposons de liquidités pour mener à bien ces activités », explique Ndlovu. « Mais lorsque les gens ne voyagent pas pendant deux ou trois ans, comme nous l'avons vu avec le Covid, il est très facile de mettre en péril tout le travail accompli. »

    Selon lui, la solution est simple : mettre de l'argent de côté pour s'assurer que la conservation peut continuer durant les temps difficiles. Le principe a inspiré son organisation à lancer le mouvement Africa Change Makers l'an dernier, un système où dix dollars sont versés dans un « coffre de guerre » pour chaque hôte. Cette année, il devrait rapporter 300 000 $ (environ 269 000 €). S'il continue à se développer, cela pourrait représenter entre deux et trois millions de dollars par an en capital de conservation supplémentaire, selon Ndlovu.

    « En tant qu'industrie, nous devons nous protéger pour pouvoir survivre à la prochaine crise », dit-il. Au moment où nous publions cet article, la Zambie, le Zimbabwe et le Malawi viennent tous de déclarer des catastrophes nationales à la suite d'une sécheresse dévastatrice. Pendant ces périodes, les points d'eau s'assèchent, la faune disparaît et les camps sont en difficulté, car les voyageurs sont découragés, tandis que les coûts augmentent dans la direction opposée.

    McIntyre est optimiste. « C'est souvent trois pas en avant et un pas en arrière », explique-t-il. « Mais la plupart des acteurs du secteur comprennent désormais qu'il est nécessaire de soutenir la conservation et le développement des communautés locales, faute de quoi il n'y aura pas d'industrie. »

    Et nous pouvons apporter notre pierre à l'édifice, déclare le Dr Lalley. « Si vous demandez si les safaris peuvent contribuer aux efforts de conservation, c'est bien le cas, sans aucun doute », déclare-t-elle. « Mais les gens doivent faire des choix judicieux.

    Cet article a initialement paru dans le numéro de septembre 2024 du magazine National Geographic Traveller (UK).

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