Jeonju, la meilleure destination gastronomique de Corée du Sud

Jeonju est tellement réputée pour sa cuisine qu’elle a obtenu le label "Ville de la gastronomie de l’UNESCO". On y sert des plats classiques subtilement revisités, du vin de riz au bibimbap.

De Amanda Canning
Publication 24 oct. 2024, 18:42 CEST
South Korea

Le salon de thé Gyodong Dawon est situé dans l’un des huit cents bâtiments traditionnels restaurés au cours des quinze dernières années dans le village Hanok de Jeonju, en Corée du Sud.

PHOTOGRAPHIE DE Mark Parren Taylor

Si l’on devait vous fournir des indications sur la manière de vous rendre à Hyundai-ok, voici ce que l’on pourrait vous dire. Descendez l’allée centrale du marché Nambu, passez devant les boutiques de vêtements bon marché, de paniers en osier et de boites hermétiques alimentaires ; tournez à droite à l’établissement qui propose des cafés chauds et froids ; puis prenez à gauche au croisement où deux femmes coupent des oignons en morceaux, assises juste à côté d’un restaurant qui sert du boudin. Vous pouvez également suivre le bruit des coups de marteau.

Lorsque j’arrive au restaurant, deux cuisiniers se tenant derrière un comptoir métallique martèlent avec enthousiasme des monts d’ail à l’aide d’attendrisseurs à viande, ajoutant la pulpe à des lamelles de poireaux et du piment dans des poêles fumantes derrière eux. Il est à peine neuf heures du matin alors que le service principal est déjà terminé. Seuls quelques clients sont présents à l’intérieur lorsque je prends place au comptoir aux côtés du guide Daniel Lee Gray, que l’on ne peut manquer avec son tee-shirt rouge éclatant. « Du calmar ou pas de calmar ? », demande-t-il. « C’est le seul choix possible ici ». J’opte pour « pas de calmar » et il m’est rapidement servi un petit récipient en métal contenant un œuf légèrement cuit à la vapeur ; un plateau de kimchi, de pâte de crevettes, d’algues et de navets marinés ; ainsi qu’un grand bol de bouillon en céramique noire, avec des pousses de soja et du riz flottant sous la surface.

Suivant l’exemple de deux femmes qui boivent bruyamment et avec enthousiasme à une table voisine, j’entame mon festin en commençant par renverser l’œuf dans le bouillon. Il est si riche en goût que ce dernier frôle celui de la viande et il est assez épicé pour que mon nez commence à couler après quelques cuillerées. « Vous comprenez pourquoi nous l’appelons haejang-guk, la soupe de la gueule de bois », explique Daniel. « La chaleur fait disparaître le mal de tête et la vapeur agit comme un sauna [au niveau du] visage. »

Ouvert de six heures à deux heures du matin sur le marché principal de Jeonju, Hyundai-ok revigore les habitants avec sa soupe aux pousses de soja depuis 1979. La recette n’a pas besoin d’être ajustée, comme l’attestent les files d’attente qui se forment dès sept heures du matin tous les week-ends. Les étals du marché et ce dont elles regorgent témoignent également d’un solide attachement à la tradition : certaines sont consacrés au pak-choï, à la soupe à la tête de porc et aux escargots cuits à la vapeur, tandis que des ateliers produisent de grands blocs de tofu pressé et des cuves d’huile de sésame.

Gauche: Supérieur:

Le bibimbap, du riz mélangé à des légumes, est consommé sous une forme ou une autre depuis des siècles en Corée ; ici servi à Gajok Hoegwan.

Droite: Fond:

Ouvert de six heures à deux heures du matin sur le marché principal de Jeonju, Hyundai-ok revigore les habitants avec sa soupe aux pousses de soja depuis 1979.

Photographies de Mark Parren Taylor

C’est une ville qui ne craint pas de revisiter ses recettes préférées. Jeonju se trouve dans une cuvette où est cultivé le riz du pays, entourée donc de rizières gorgées d’eau et d’énormes tunnels en plastique. Elle est depuis longtemps réputée pour la qualité de ses produits. Daniel, Coréano-Américain, expert en gastronomie et guide pour le voyagiste Intrepid Travel, a pour mission de me montrer de quelle manière la ville aime à utiliser ces produits pour bousculer les codes. « C’est la ville où les Coréens vont pour manger », m’indique-t-il. « Mais elle a toujours été un peu rebelle. Chaque fois qu’il y a des élections, [les habitants] semblent toujours voter différemment du reste du pays. »

À quelques pas du marché principal, Gajok Hoegwan semble en être le parfait exemple. Tout comme Hyundai-ok, ce restaurant maîtrise à la perfection un plat unique qui en devient un véritable chef-d’œuvre : le bibimbap. Il s’agit essentiellement de riz mélangé à des légumes, que l’on mange sous une forme ou une autre depuis des siècles en Corée ; une façon d’utiliser les restes en un repas peu coûteux. Le Gajok Hoegwan a toutefois fait passer ce plat au niveau supérieur. Dans la salle à manger du premier étage, je trouve une table près des fenêtres dont les panneaux sont tapissés de papier traditionnel et je me joins à de petits groupes d’amis dont les conversations couvrent les cliquetis et les tintements qui s’échappent de la cuisine.

Un plateau sur lequel sont posés douze accompagnements apparaît d’abord dont, entres autres, des fleurs d’ail avec des champignons, du navet séché, des prunes vertes marinées, des patates douces confites et des anchois au gochujang, pâte de piment rouge fermenté. Le plat principal arrive dans un bol en laiton légèrement luisant : un ensemble assez artistique de riz, de carottes, de concombres, d’épinards, de têtes de violon, de gochujang et de lamelles de bœuf cru. Le riz a été cuit à la vapeur dans un bouillon de queue de bœuf ; le bœuf a été mariné avec du sésame, du gingembre et de l’ail ; et le gochujang a été préparé selon une recette secrète. Ce plat ne ressemble en rien à ceux que j’ai pu jusqu’à présent concocter avec des restes. Délicatement mélangé avec des baguettes en métal, il s’agit d’un assortiment réconfortant et épicé d’ingrédients parfaitement équilibrés, occupant chacun une place égale.

Ouvert en 1979 par la cheffe Kim Nyun-im, le Gajok Hoegwan est aujourd’hui géré par sa fille Kim Yang-mi, une femme enjouée en jeans et Crocs qui vient bavarder pendant que je mange. Je comprends la subtilité de ce plat lorsqu’elle me raconte que sa mère a été inspirée par la place unique que tient sa ville dans les livres d’histoire du pays. C’est de Jeonju qu’est originaire la dynastie royale Joseon qui a régné sur le territoire entre 1392 et 1910.

Kim Nyun-im s’est inspirée de ce patrimoine culinaire et a ajouté sa propre touche à la recette qu’elle a perfectionnée au fil des ans.  « Le bibimbap est un plat traditionnel de la région, mais celui-ci est fait à la façon Joseon », précise Kim Yang-mi, en montrant les accompagnements et les bols en laiton. « Ma mère voulait réintroduire la culture dans la cuisine : servir les bons aliments au bon endroit. »

Depuis que Kim Nyun-im s’y est essayée la première, beaucoup d’autres ont cherché à réinventer ce plat. Si vous souhaitez goûter aux baguettes et aux croquettes de bibimbap, présentées dans des emballages en plastique prêts à être réchauffés au micro-ondes, vous pouvez vous promener sur quelques centaines de mètres jusqu’au sud-est du village Hanok de Jeonju, un ensemble de huit cents bâtiments traditionnels restaurés au cours des quinze dernières années. Pour un bibimbap servi dans une gaufre, vous devrez vous rendre plus à l’est, dans un café situé au milieu des ruelles pentues du village mural Jaman, dont les maisons sont recouvertes d’œuvres d’art allant d’une femme assise avec mélancolie sur un croissant de lune à un dragon remuant une queue impressionnante.

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    Au restaurant Yetchon Makgeolli, les sœurs Choi In-duk et Choi Jeon-won réinterprètent une précieuse tradition culinaire de Jeonju.

    PHOTOGRAPHIE DE Mark Parren Taylor

    Aucune de ces variations culinaires n’est susceptible d’impressionner un empereur Joseon mais celles-ci plaisent certainement au flot continu de familles locales et de visiteurs qui arpentent les rues du village Hanok, jetant un coup d’œil dans ses temples, ses sanctuaires, ses boutiques et ses musées, tous reconnaissables à leurs tuiles en argile et à leurs chevrons en bois distinctifs. La place importance que la nourriture tient dans la ville saute aux yeux : elle est omniprésente. Des amis discutent sous les branches des pins de Corée, tout en dégustant des sacs de boulettes de persil d’eau. Des enfants se cramponnent à la main de leurs parents, tenant de longs bâtons de guimauve dans leur autre paume collante. Des adolescentes sont assises sur des bancs et essaient de ne pas renverser de poulet sur leurs hanboks, tenues en soie traditionnelles, qu’elles ont loués pour des séances photos informelles dans les ruelles. Les salons de thé traditionnels servent des mélanges aromatiques lors de cérémonies que les Joseon approuveraient et les cafés modernes proposent de grands bols de granité recouvert de glace au matcha, de morceaux de brownie, de feuilles de menthe et de branchettes de pin.

    À l’orée du village, j’effectue mon dernier arrêt dans un bâtiment anodin qui ne présente aucun des ornements architecturaux des hanoks. C’est là que Choi In-duk et sa sœur Choi Jeon-won servent une version revisitée d’une autre tradition culinaire précieuse de Jeonju lors d’une dégustation : le makgeolli. Cette activité, qui consiste à boire du makgeolli, un type de vin de riz fermenté titrant entre 6 et 9 % d’alcool, accompagné de petits plats, se déroule dans le quartier Samchun-dong, au sud-ouest de la ville. Celui-ci voit généralement passer des groupes d’amis qui se déplacent de bar en bar en buvant pour la plupart du makgeolli de piètre qualité et en mangeant en règle générale des collations tout aussi bas de gamme. Dans le restaurant Yetchon Makgeolli des sœurs, au style industriel, l’expérience s’ancre toujours profondément dans la convivialité mais la qualité y est tout sauf médiocre.

    Replaçant ses cheveux noirs derrière ses oreilles, Choi In-duk soulève une théière en laiton contenant le makgeolli produit sur place et le verse dans des bols, tout en m’affirmant : « Si les gens viennent à Jeonju, ils savent qu’ils doivent boire du makgeolli. L’eau est très pure ici, ce qui permet d’obtenir une meilleure qualité ». La boisson qui en résulte est d’apparence laiteuse et d’un crémeux unique, avec un léger goût de fromage à pâte persillée. Une théière de makgeolli ne coûte que 3 300 won sud-coréens (2,21 euros) et est accompagnée de suffisamment de plats pour tenir tranquille un groupe de quatre personnes pendant un bon moment dont, entre autres : du poulet aux graines de périlla, des moules dans un bouillon de poireaux, du porc braisé, des pancakes de kimchi et du crabe mariné au soja. Cela ressemble davantage à un festin accompagné de vin plutôt qu’à une bière servie avec des amuse-bouche. « Je veux prendre soin de mes invités », poursuit Choi In-duk. « Et je le fais en leur proposant de vrais plats et boissons d’excellente qualité. »

    Cela pourrait constituer la philosophie même de Jeonju. Avec une brochette de chefs toujours prêts à perpétuer la tradition, aucun touriste ne risque de repartir avec le sentiment d’avoir été négligé.

    Cet article a été réalisé avec le soutien d’Intrepid Travel. Il a initialement paru en langue anglaise dans le guide sur la Corée du Sud distribué avec le magazine National Geographic Traveller (UK) de novembre 2024 et sur le site nationalgeographic.com.

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