Quand les Bédouins ont déserté la cité antique de Pétra, cet homme est resté
Après que Pétra est devenue un site du Patrimoine mondial en 1985, l'UNESCO et l'État Jordanien ont commencé à relocaliser les Bédouins. Cet homme est resté.
Mofleh Bdoul a grandi dans la cité antique de Pétra, escaladant les pentes rocheuses avec des troupeaux de chèvres, se frayant un chemin au milieu des ruines des temples et des tombeaux.
Le vieil homme de 73 ans vit toujours dans une cave, à deux pas de celle dans laquelle il est né. Mais au fil des années, il a vu la région se transformer : le lieu reculé et quasi-inconnu dans l'arrière-pays de l'actuelle Jordanie est devenue un lieu touristique qui attire des centaines de milliers de visiteurs chaque année.
Aujourd’hui, Mofleh fait partie de cette poignée de Bédouins de la tribu de Bdoul qui vivent toujours à l’intérieur du site historique.
Sa cave a beau se trouver juste derrière Jebal Habi (la Montagne Prison), à seulement 5 minutes de la place touristique principale, elle semble éloignée de tout. À l’extérieur de la cave, plus spacieuse que la plupart des appartements citadins, dont les fenêtres ont été taillées à-même la pierre pour laisser entrer la lumière naturelle, Mofleh a construit une terrasse avec un jardin de fleurs où il reçoit habituellement ses visiteurs pour un moment convivial autour d'un thé. En hiver, la pluie arrose les plantes, en été il va chercher de l’eau dans un restaurant sur la grand place.
« C’est le plus beau des endroits » déclare Mofleh en désignant sa maison. « Cet endroit est magique. Si vous avez des soucis, vous les oublierez rapidement en venant ici. »
Pétra, cette cité taillée dans les falaises en grès vertigineuses du désert Jordanien, était la capitale de l’empire nabatéen de 400 avant Jésus-Christ à 106 après Jésus-Christ. On ignore quand la tribu Bdoul a commencé à habiter ces ruines mais l'on sait que des tribus nomades vivaient dans la région dès 1 500, explique Steven Simms, professeur retraité en anthropologie à l’université de l'Utah, qui a étudié le site et les Bdouls dans les années 1980 et 1990.
Les Bédouins vivaient traditionnellement de l’élevage des chèvres et de la petite agriculture. Beaucoup de ces Bédouins, à l’instar de Mofleh, ont trouvé du travail dans les fouilles archéologiques et dans l’industrie touristique.
Le site a commencé à attirer les touristes occidentaux après sa découverte par l’explorateur suisse John Lewis Burckhardt en 1812.
« Quand j’étais jeune, quelques touristes venaient partager le gîte des Bédouins pendant un mois », confie Mofleh. « Une Canadienne est restée toute seule dans cette cave pendant un mois », ajoute-il en pointant le flanc du canyon.
Quelques fois, la rencontre des cultures est propice aux amours, comme ce fut le cas pour Mofleh. Après avoir épousé une Suisse et avoir eu une petite fille avec elle, il a partagé sa vie entre la Suisse et Pétra. L'union n’a pas duré et Mofleh est retourné dans sa cave. Mofleh s'est ensuite marié quatre fois... ou peut-être plus. Après mûre réflexion et après avoir compté sur ses doigts, il se serait en fait marié huit fois.
Après que Pétra est devenu un site du Patrimoine mondial en 1985, l'UNESCO et l'État Jordanien ont commencé à relocaliser les Bédouins vivant à Pétra à Um Sayhoun, un village récemment construit qui se trouve juste à côté du site.
La relocalisation des riverains a suscité diverses réactions. Beaucoup d'entre eux, principalement les familles avec enfants, ont apprécié le fait de se rapprocher des écoles et des hôpitaux. Mais d'autres comme Mofleh ne voulaient pas renoncer à leur mode de vie traditionnel. Mais dans tous les cas, la relocalisation de tous les riverains dans le village n'aurait pu être effective, les familles devenant de plus en plus nombreuses, selon Allison Mickel, professeur adjoint d’anthropologie à l'université de Lehigh.
Selon Mofleh, avant la construction d'Um Sahyoun, 150 familles vivaient à Pétra. Il n'en reste aujourd'hui que 10, et lui seul est resté dans le centre du parc. L’UNESCO a bien essayé de le convaincre de prendre une maison dans le village, mais il a refusé.
« Je veux rester ici, c’est mieux », confie-t-il, « Si vous vivez en ville, vous ne marchez peut-être pas toute la journée. »
Le chef de l'Unité Etats arabes à l’UNESCO, Nada Al Hassan, déclare dans un communiqué que l’UNESCO travaille conjointement avec les autorités jordaniennes pour déterminer un plan d’aménagement de Pétra qui permettra de maintenir un équilibre entre « les impératifs de la conservation de ce site, les besoins de la communautés locale, leur sens de propriété et d’appartenance d’un côté, et de l'autre les pratiques touristiques durables qui ne nuisent pas à l’intégrité et l’authenticité du site. »
Comme pour beaucoup de Bdouls, le quotidien de Mofleh dépend de l’économie touristique. Le nombre de visiteurs à Pétra a augmenté progressivement, notamment après le classement de l’UNESCO et a monté en flèche en 1994 après la signature du traité de paix entre l’Israël et la Jordanie. De 1994 à 1995, le nombre de touristes sur le site a doublé, passant de 138 577 à 337 221 visiteurs par an. Des chiffres qui ne cessaient d’augmenter, pour atteindre 918 136 visiteurs en 2010. Cinq ans plus tard, le nombre de touristes a chuté de moitié.
Beaucoup de Bdouls vendent des souvenirs ou proposent des randonnées à dos d’ânes depuis la place touristique. Mofleh offre du thé et un brin de conversation et parfois même un déjeuner aux visiteurs qui prennent la route principale et passent à côté de sa maison. Son thé lui rapporte quelques dinars. Il réalise également des petites sculptures de pierre pour les vendre aux touristes.
Bien qu'il dépende de l'argent liquide que les touristes lui donnent, Mofleh propose aussi de les héberger dans sa cave sans rien demander en retour.
Shannon Mouillesseaux, originaire de New York, a découvert la cave de Mofleh au cours d'une visite de Pétra, au printemps. Mofleh a passé deux heures à faire découvrir à Shannon et à ses amis ses paysages préférés, les menant dans les sentiers qui se trouvent derrière Pétra. Il a refusé de recevoir de l’argent ni même d'accepter un déjeuner en échange, raconte-elle.
« Quand il commence à parler, vous réalisez que c’est une personne qui a beaucoup de chose à partager et qui veut que les visiteurs apprécient Pétra, sa culture et son histoire », ajoute-elle. « C’est formidable qu’il soit toujours là, c'est dans l’intérêt même de Pétra ».