Voyage en Sicile, à l’ombre de l’Etna
Longtemps, les touristes qui venaient en Sicile s’en tenaient à la côte. Mais depuis peu, le volcan les attire à lui.
De nombreux restaurants siciliens affichent fièrement qu’ils utilisent des ingrédients régionaux, qu’il s’agisse de vin ou d’huile d’olive.
C’est l’heure de la fermeture à la gelateria, mais Giovanna Musumeci attend patiemment que je choisisse la saveur qui va venir couronner mon cornet. Le choix est délicat : pistaches de la ville voisine de Bronte ? Framboises jaunes cultivées sur les flancs de l’Etna ? Ou noix de la région, grillées dans leur écale par Giovanna.
Je me résous à opter pour un trio d’ingrédients siciliens. L’Oro Verde della Sicilia (l’Or Vert de la Sicile) est un mélange primé au goût de pistache, de mandarine et d’amande caramélisée ; C’est frais et acidulé mais avec une base crémeuse.
La dégustation n’est pas terminée. Giovanna et sa sœur Sandra veulent me montrer une chose encore meilleure que la glace italienne. Santo Musumeci, la gelataria créée par leur défunt père, est connue pour ses granités : de la glace pilée mélangée à des fruits. Figues, framboises, figues de Barbarie, framboises jaunes et amandes grillées et crémeuses, je les goûte toutes.
Ici, à l’ombre de l’Etna, les choses prennent une autre dimension. Les gens sont plus chaleureux, les saveurs sont plus prononcées, le paysage est plus spectaculaire. En face de la gelateria de Giovanna à Randazzo se trouve une église gothique construite avec de la roche volcanique noire. L’Etna se cabre au-dessus d’une allée. Giovanna l’appelle « mamma Etna ». La famille Musumeci s’est toujours procuré ses ingrédients auprès de producteurs travaillant sur les flancs de cette montagne que les Siciliens appellent simplement « idda » : « elle ». « Transformer des fruits frais en glace est une vraie responsabilité, pas uniquement vis-à-vis des producteurs, mais vis-à-vis de l’Etna elle-même », explique Giovanna avec un certain sérieux.
Le Monaci delle Terre Nere est un agriturismo qui organise des leçons de cuisine et se situe au milieu de 24 hectares de vergers, de champs de fleurs sauvages et de vignes.
Elle n’est pas seule. Tout autour du volcan, les protégés de Mamma Etna se servent de ses terres fertiles pour produire de quoi rendre une mère fière. Les glaces de Santo Musumeci se sont vues décerner d’innombrables récompenses. Les amateurs de gastronomie affluent dans la commune voisine de Linguaglossa où une famille de bouchers, les Pennisi, possède un restaurant étoilé au Michelin, le Shalai, hébergé dans leur hôtel du même nom. Chez Dai Pennisi, une minuscule trattoria située à l’intérieur de leur boucherie, j’essaie une salsiccia al ceppo, une saucisse géante préparée sur une tranche de chêne etnéen et relevée avec du fenouil sauvage cueilli à flanc de volcan. C’est un produit de l’Arche du Goût, une liste d’aliments régionaux traditionnels menacés de disparition proposée par le mouvement Slow Food. Enroulée comme un escargot et grillée, elle convient à n’importe quel menu chic servi au Shalai.
D’ordinaire, les touristes qui venaient en Sicile s’en tenaient à la côte. Mais désormais, la magnétique Etna les attire vers elle. Chez Cottanera, exploitation viticole située sur le flanc nord sur volcan, j’obtiens un nouvel aperçu gustatif de ce qui peut les attirer ici. Dans une jeep qui gravit et dévale des collines rocheuses à toute vitesse, l’agronome Davide Cavallaro me montre le labeur nécessaire à la production d’une bouteille d’Etna Rosso, un rouge puissant surnommé « vin le plus sexy » d’Italie par Vinitaly, un prestigieux salon dédié au vin. Alors que de la poussière nous cingle le visage, nous nous arrêtons dans un crissement de pneus près de terrasses abruptes en pierre sèches où des hommes éliminent les mauvaises herbes entre les vignes à l’aide de houes manuelles motorisées.
Tout autour de la base de l’Etna, on trouve des vignobles tels que celui-ci, situé près de Castiglione della Sicilia, village juché au sommet d’une colline.
En matière d’agriculture sur l’Etna, dont les flancs sont jonchés de coulées de lave et de rochers malcommodes éjectés de son cœur, on ne fait pas plus mécanisé que cela. Ici, pas de recette agricole miracle. Une vigne italienne typique donne six à sept kilogrammes de raisin par an ; sur l’Etna, on a de la chance si on en récolte deux. Alors pourquoi continue-t-on à cultiver ces terres ? « Cela fait partie intégrante de notre culture », explique Davide Cavallaro en haussant les épaules. « C’est la mamma. Elle est indissociable de nous, et elle est vivante. »
Ses vins ne le sont pas moins. Ce n’est qu’en effectuant une tournée des vignobles que l’on remarque combien le volcan préside au goût de ce qui sort de lui. À Cottanera, les vins sont terreux, comme la terre riche en humidité que Davide Cavallaro décrit comme « grasse ». Pourtant, sur le flanc sud-est de l’Etna, sur une colline presque verticale surplombant Catane, le vin rouge produit par Seby Costanzo est délicieusement salé grâce à l’air marin qui s’élève sur le flanc de la montagne.
Près de la Cantine di Nessuno, le vignoble de Seby Costanzo, se trouve le Monaci delle Terre Nere, un agriturismo dont les chambres ont été dispersées sur 24 hectares de vergers, de champs de fleurs sauvages et d’autres vignobles encore par son propriétaire, Guido Coffa. « Je ne suis pas le propriétaire, je suis le serviteur de la terre », me dit-il alors que nous sommes assis dans le jardin, hypnotisés par le scintillement de la Méditerranée en contrebas. En surplomb, Mamma Etna souffle son approbation.
Cet article a initialement paru en langue anglaise dans le magazine National Geographic Traveller (UK).