Au Népal, la récolte à haut risque du miel hallucinogène

Rencontre avec le dernier Kulung récoltant encore un miel psychotrope protégé par les esprits et les plus grosses abeilles du monde.

De Mark Synnott
Photographies de Renan Ozturk
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Mauli Dhan grimpe à une trentaine de mètres de haut, le long d’une échelle en corde de bambou, pour atteindre le trésor tant convoité : une ruche débordante de miel neurotoxique. La fumée qui s’échappe d’une botte d’herbe incandescente, dans sa main, désoriente les abeilles, réduisant – Mauli l’espère – le nombre de piqûres dont il souffrira. Tant qu’il n’a pas attrapé la corde de sécurité située à côté de lui, un faux pas peut être fatal.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk
Ce reportage a initialement été publié dans le numéro de juillet 2017 du magazine National Geographic.

À près de 100 mètres du sol, Mauli Dhan se balance au sommet d’une échelle en corde de bambou, scrutant le pan de granite qu’il doit rejoindre pour atteindre son objectif : un imposant et bourdonnant essaim d’abeilles himalayennes. Elles bâtissent une ruche en forme de croissant qui s'étend sur presque deux mètres sous un surplomb de roche. Par milliers, les insectes protègent des litres d'un fluide roux et gluant connu sous le nom de miel fou, qui, grâce à ses propriétés hallucinogènes, se vend sur les marchés noirs asiatiques entre 30 et 40 dollars le kilo, soit six fois le prix du miel népalais traditionnel.

Les abeilles himalayennes produisent plusieurs types de miels en fonction de la saison, de l’altitude et des fleurs qui produisent le nectar dont elles se nourriront. Les effets psychotropes du miel de printemps sont causés par des toxines contenues dans le pollen d’immenses rhododendrons, dont les fleurs roses, rouges et blanches éclosent chaque année entre mars et avril sur les coteaux orientés vers le nord, dans toute la vallée du Hongu. Le miel fou est utilisé par le peuple Kulung depuis des siècles pour calmer la toux et en tant qu’antiseptique, et la cire des abeilles s’est frayée un chemin jusqu’aux marchés de Katmandu où il est vendu pour mouler des statues en bronze de dieux et déesses hindous.

Pour Mauli, la récolte de miel est le seul moyen de gagner l’argent nécessaire à l’achat des rares denrées qu’il ne peut se procurer lui-même comme le sel et l’huile de cuisson. Mais peu importe l'argent, Mauli songe à arrêter la récolte de miel. À 57 ans, il est trop vieux pour ce travail extrêmement risqué. Ses bras fatiguent quand l’échelle tangue. Les abeilles vibrent autour de lui, le piquent au visage, au cou, aux mains, sur ses pieds nus et à travers ses vêtements.

Il préfère chasser de telles pensées et se concentre sur son problème actuel. Il jette sa jambe sur la paroi rocheuse et s'avance sur une corniche à peine plus large qu'une brique. D’un geste, il écarte l’échelle de corde et s’avance le long de la paroi pour faire place à Asdhan Kulung, son assistant. Les deux hommes partagent maintenant le rebord étroit. En contrebas, Mauli peut apercevoir la rivière, grossie par la mousson, se déversant dans une vallée voisine.

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    PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

    À chaque mètre, les prises sont plus petites et plus éloignées. Mauli se déplace lentement mais avec confiance jusqu'à ce qu’il n’y ait plus que trois mètres qui le séparent de sa carrière de miel. Cette dernière section de roche humide et friable offre des prises de la taille de ses empreintes. Sans aucune corde de sécurité, il risque la mort s’il lâche prise. Pour ajouter de la difficulté à son défi, il porte un poteau de bambou de 7 mètres sur l’épaule et pince une botte d'herbe brûlante entre le pouce et l'index de sa main droite. Un panache de fumée flotte du sommet de sa main vers les abeilles agitées. Si les courants d'air coopèrent, la fumée peut engloutir les abeilles et les troubler légèrement quand il s'approche.

    La ruche pulse comme un caisson de basses et chaque battement fait s’envoler une vague d'abeilles furieuses dans l'air. Elles fondent sur Mauli mais il ne fléchit pas. Au lieu de cela, il murmure un mantra Kulung destiné à apaiser les abeilles et les esprits qui habitent cette falaise: « Vous êtes Rangkemi. Vous êtes l’esprit des abeilles. Nous ne sommes pas des voleurs. Nous ne sommes pas des bandits. Nous sommes avec nos ancêtres. Volez. S’il vous plait, partez. »

    Rangkemi, l'esprit gardien des abeilles et des endroits dangereux, a toujours pris soin de Mauli, et il n'y a aucune raison de penser qu'il va l’abandonner. Fort de cette certitude, Mauli ne montre aucune crainte alors qu'il s'engage dans la partie la plus difficile de la montée.

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        Asdhan vérifie la température de la cire en train de refroidir. Les abeilles continuent de bourdonner autour de lui. La cire refroidie sera modelée sur des rochers pour former des cubes qui seront vendus à Katmandou. Elle servira à confectionner des moules de statuettes en bronze.
        PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk, National Geographic

        Pendant des siècles, le peuple Kulung est resté coupé du monde extérieur grâce à la jungle épaisse qui enveloppe son village, établi au fond d’une cavité creusée par la rivière Hongu. Bien que le mont Everest soit à seulement une vallée au nord de ces contreforts himalayens, la zone reste isolée et éloignée. Une grande partie de cette région reste inconnue de l’homme, même des chasseurs Kulung comme Mauli.

        Mais chaque année, le monde extérieur se rapproche. Un chemin de terre a été tracé à seulement quelques jours de marche de son village, Saddi, et des aménagements ont commencé sur une route de randonnée dans la partie supérieure de la vallée, reliant Saddi et ses villages voisins à une zone de trekking populaire de la région de Khumbu. Un politicien a même promis de construire un petit aéroport dans la région.

        Les anciens Kulung, comme Mauli, parlent encore de Katmandu comme du « Népal », un endroit à part. Dans leur esprit, la capitale est un pays étranger, un voisin lointain. Mais le monde qui les entoure change tellement vite que les frontières – et la magie – qui définissent depuis longtemps cette communauté ancestrale commencent à disparaître.

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          Le visage piqué et le corps contusionné après une chasse, Mauli se repose. Il ne qualifie pas son travail de spectaculaire. Il le fait parce qu'il a été choisi par l’esprit Kulung, venu lui rendre visite il y a longtemps dans un rêve, pour mener à bien la récolte. « Je ne suis rien », dit-il, « juste une statue faite d'argile ».
          PHOTOGRAPHIE DE Ben Knight

          Mauli habite à côté du feu du village, dans une case délabrée. Les murs de boue, lardés de fissures depuis le tremblement de terre de magnitude 7,8 d'avril 2015, semblent pouvoir s’effondrer à tout moment. La plupart des bâtisses visibles depuis sa porte sont recouvertes de toits en métal bleu brillant mais sont faites de chaume. Il est le seul parmi les chasseurs à être autorisé à décrocher les ruches à mains nues, mais l'honneur ne rapporte pas beaucoup d'argent…

          Il y a 42 ans que Mauli a fait le rêve prophétique qui l'a mis sur cette voie. Il n’avait que 15 ans. La nuit suivante, il aidait son père à récolter le miel pour la première fois.

          « J'ai vu deux belles femmes », se rappelle-t-il. « Soudain, je me suis retrouvé piégé dans une toile d'araignée, suspendu à une falaise. Je luttais pour me libérer quand j'ai vu un gros singe blanc au-dessus de moi. Il a laissé tomber sa queue vers moi et les femmes m'ont aidé à l'attraper. Le singe m'a soulevé et je me suis échappé. »

          Les anciens du village, dont son père, lui ont raconté que c’est Rangkemi, l'esprit gardien des abeilles et des singes, qui avait pris l’apparence d’un primate pour lui parler. Rangkemi est l’incarnation d’une énergie parfois furieuse qui hante des endroits dangereux où peu d'humains osent s’aventurer. Ils lui ont assuré qu'un passage sans risque lui serait assuré le long des parois rocheuses, que l'esprit ne se défendrait pas et ne se vengerait pas contre sa famille. À partir de ce jour-là, Mauli supporterait le lourd fardeau d'un chasseur de miel. Les années qui ont suivi, il a risqué sa vie chaque printemps et chaque automne, sur les mêmes falaises escaladées autrefois par son père, pour récolter la douce substance hallucinogène.

          Mauli est né à la lueur d'une torche de bambou dans le village de Chheskam. Sans accès à une éducation scolaire classique, il n’a eu comme seule salle de classe que les terrasses abruptes des collines où il a passé sa jeunesse à couper l'herbe et à cultiver les champs. La pauvreté et l'isolement sont synonymes de mort précoce pour beaucoup de Kulungs. Mauli avait quatre frères mais deux d'entre eux sont morts. Il a été marié et veuf trois fois. Il est désormais le seul à prendre soin de ses quatre filles, de ses deux fils, de ses cinq petits-enfants et des quelques autres membres de sa famille qui lui rendent visite dans à toute heure du jour et de la nuit.

          Assis près du feu, Mauli enfouit la main dans la poche de sa veste, saisit une pincée de tabac local et l’enveloppe habilement dans un morceau d’écorce de maïs séchée. Il plonge la cigarette dans les braises incandescentes et la porte à ses lèvres. Au moment où il recrache la fumée, ses yeux luisants et injectés de sang trahissent l'âme d'un homme épuisé. « Je suis fatigué. Je ne veux plus le faire », lâche-t-il. « La seule raison pour laquelle je le fais encore, c'est parce que je suis pauvre et que personne d'autre ne le fera. »

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            PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

            Mauli ne laissera jamais ses fils récolter le miel. « Les gens qui escaladent les falaises sont des idiots », lâche-t-il. « Mes enfants vont à l'école afin d’avoir un vrai métier ».

            La personne la mieux placée pour prendre la suite de Mauli est son assistant Asdhan, vigoureux et robuste, et qui, à 40 ans, est un des leaders du village. Lui et Mauli travaillent ensemble à la récolte du miel depuis 15 ans. Mais malgré tout ce temps passé à flanc de falaise, Asdhan n'a jamais fait le rêve prophétique ni eu l’autorisation de toucher une ruche avant qu’elle ne soit séparée de la roche.

            « Bien sûr que j’aimerais faire le rêve », dit Asdhan, « mais ça n’est jamais arrivé. Je ne sais pas pourquoi. Je pourrais malgré tout récolter le miel mais d'autres personnes ont essayé sans avoir fait le rêve et de mauvaises choses leur sont arrivées. Leur père est mort, leurs enfants sont morts, leur maison s’est effondrée ou leurs cultures n’ont rien donné. Et j'ai peur de ça. »

            À l'aube, comme le veut la tradition pendant la récolte, nous suivons un chaman dans la jungle jusqu'à une petite clairière d'où nous pouvons apercevoir les falaises de miel. Dix autres membres du village sont là, dont Mauli et ses assistants. Le chaman parcourt la clairière, plantant des piquets de bambou dans le sol et les reliant entre eux par une longue ficelle pour former une enceinte. Il y accroche des morceaux de viande et d'autres denrées, brûle de l'encens. Une fumée piquante passe dans les airs. Une fois que la cérémonie aura commencé, explique le chaman, nous devrons rester dans cette enceinte sacrée pour notre sécurité.

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              PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

              Dans un coin, le chaman construit deux autels à partir de feuilles de bananier. L'un pour Rangkemi, l'autre pour son compagnon Baneskandi, l'esprit de la forêt. 

              La cérémonie commence. Deux poulets vivants sont apportés dans des paniers en bambou. Mauli s'agenouille devant les autels, incline la tête, les mains posées sur ses cuisses. Le chaman a revêtu un gilet en brindilles et a noué une ceinture colorée autour de sa taille. Il danse parmi nous, chantant dans une langue qu’il est le seul, avec les esprits de la forêt qu’il invite à nous rejoindre, à comprendre. Dans une main, il tient une baguette de bambou, dans l'autre une gourde remplie d'eau. Au rythme de sa danse, le chaman plonge sa baguette dans la gourde et jette l'eau sur nos têtes.

              Il saisit un poulet et, dans un mouvement net et précis, lui tranche la tête. Le sang éclabousse chacun d’entre nous. Il place soigneusement la tête de l’animal sur l'autel de Rangkemi et, d’un geste délicat, marque le front de Mauli avec le sang de volaille. Le poulet sans tête se débat à nos pieds. « Ne quitte pas l'enceinte », commande le chaman.

              Comme si elles obéissaient, plusieurs abeilles tombent sur l'autel. Sans aucune explication, la caméra utilisée par notre équipe pour filmer la cérémonie s'arrête et ne redémarre pas. Un membre de l'équipe se penche sur sa montre altimétrique, qui montre la pression barométrique pour indiquer la météo. Elle a beau indiquer un temps clair, il commence à pleuvoir.

              Le chaman attrape quelque chose d'invisible devant lui, le porte à sa bouche et chante dans son poing fermé. Il ouvre la main et jette l'objet invisible dans la jungle épaisse qui nous entoure.

              Le chaman casse un œuf devant les deux autels pour honorer les esprits qui protègent Mauli. Cette cérémonie a lieu avant une récolte de miel pour assurer qu’elle se déroulera sans encombre. Un œuf avec des défauts serait un signe de mauvais présage. L’œuf est parfait.

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                PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

                La cérémonie s’achève. Dès que nous quittons l'enceinte tracée par le chaman, la caméra se remet à fonctionner. La pression barométrique baisse, signalant un mauvais temps, mais un rayon de soleil perce les nuages. Le chaman s’effondre sur un rocher à côté de Mauli. Les autres commencent à plumer le poulet mort.

                De retour à Saddi, Jangi Kulung m’invite dans sa maison pour me montrer la nouvelle échelle de corde de 100 mètres de long que lui et les autres assistants de Mauli ont passé les deux dernières semaines à tisser à partir de minces bandes de bambou. Jangi est le gardien des outils et, depuis 18 ans, le cerveau derrière la récolte de miel. Avec ses gros doigts potelés, il se distingue des autres chasseurs de miel, qui sont tous minces et élancés.

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                  PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

                  Pendant de nombreuses années, le commerce du miel hallucinogène était l’apanage d’un seul commerçant à Katmandou qui avait un acheteur en Corée du Sud, où certaines personnes estiment que le nectar améliore les performances sexuelles. « Pendant longtemps, nous pouvions pratiquement dicter notre prix », explique Jangi. « Puis quelqu'un en Corée en a mangé trop et en est mort. » L’histoire s’ébruite et même si elle n’est pas prouvée, l'incident anéantit le marché coréen et fait considérablement chuter le prix du miel.

                  Il faut faire très attention à ne pas manger trop de miel, explique Jangi. La dose correcte est généralement de deux à trois cuillères à café. Environ une heure après l’ingestion, vous êtes confronté à un besoin urgent de déféquer, uriner puis vomir. « Après la purge, vous alternez entre lumière et obscurité. Vous pouvez voir et tout à coup vous êtes aveugle », explique Jangi. « Une pulsation sourde résonne dans votre tête, comme dans une ruche. Vous êtes incapable de vous déplacer mais vous êtes complètement lucide. La paralysie dure un jour ou deux. »

                  « Je vais vous donner un peu de miel », dit-il, « comme ça vous pourrez expérimenter par vous-même ».

                  Les chasseurs de miel sont assis autour d'une table en bois tandis que les grêlons martèlent le toit en tôle au-dessus de leur tête. Le son est assourdissant mais pas assez fort pour dissiper les discussions animées sur l’annulation ou le maintien de la récolte du lendemain. Le raksi, un alcool clair à base de mil, coule à flots.

                  Le lendemain matin, il pleut encore. Le déluge de la veille a amorcé un glissement de terrain près de la rivière. Par alternance, quand le brouillard se dissipe, nous apercevons des rochers de la taille d’un réfrigérateur qui dévalent les collines jusqu'à la rivière. Les chasseurs de miel se réunissent.

                  L’ascension de la falaise du miel, une pente abrupte et glissante couverte de mousse, serait suicidaire dans ces conditions. Peut-être que Rangkemi a parlé. Les chasseurs trouvent une gourde de raksi qui date de la veille. Il est 7 heures du matin.

                  Quelques heures plus tard, Mauli, après une rasade de raksi, amorce une ascension impossible dans la pluie, entouré d’abeilles géantes qui le piquent au visage.

                  Transcendé par la force, l’agilité et la bienveillance de Rangkemi, Mauli, maintenant totalement noyé par un nuage d'abeilles, se hisse vers la ruche. Il place soigneusement sa botte d'herbe en feu sur un mince rebord et éloigne les abeilles de la ruche à mains nues. L'essaim tombe.

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                    La clef, pour affronter les abeilles agitées, explique Mauli, est de ne montrer aucune peur. Malgré tout, il grimace de douleur à cause des 20 à 40 piqûres que lui cause chaque récolte.
                    PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

                    Mauli plante deux chevilles en bois dans la ruche et les relie à une fine corde en bambou lancée par ses assistants. Il attrape le long bâton de bambou sur son épaule et appuie avec son extrémité sur le sommet de la ruche, tout en commençant à scier.

                    Après quelques minutes, la ruche se détache et commence à se balancer au bout de la corde. Il crie. C’est la première fois qu’il émet un son distinct depuis qu'il a quitté le village, des heures auparavant. Les deux hommes qui entretiennent le feu au pied de la falaise couvrent leurs têtes pour se protéger de la grêle d'abeilles mortes qui tombent sur eux.

                    Le fils de Mauli est assis à côté d'une petite rivière, au pied de la falaise, attendant d'aider à transporter les seaux de miel, de cire et les outils jusqu’au village. Les chasseurs de miel apparaissent dans la brume. Asdhan soigne délicatement les blessures sur le visage de Mauli. Son fils sort un téléphone et prend photo sur photo. Plus tard, il en postera quelques-unes sur son compte Facebook.

                    Comme dans la plupart des régions rurales du Népal, les téléphones captent le réseau mobile. Tous les adolescents de Saddi savent quand et sur quel rocher se rassembler pour capter une unique barre de 3G sur leurs smartphones bon marché. Cette fenêtre sur une réalité diamétralement opposée à la leur, loin des champs où travaillent leurs parents, leur ont donné envie de voir le monde et de gagner de l’argent.

                    « Les nouvelles générations ne valorisent pas notre culture », raconte Mauli. « Si cela continue, la culture Kulung va disparaître. » Les anciens savent bien que c'est pour cette raison que personne n'a eu le rêve. Ou, s'ils l’ont eu, la raison pour laquelle ils ne l'admettront jamais.

                    La bouteille de raksi se vide au fur et à mesure que le travail sur les morceaux d’essaim avance. Personne n’ose exprimer ce que tout le monde pense : nous avons probablement assisté à la dernière récolte de miel de Mauli, la fin d'une ère.

                    Mauli porte la bouteille à ses lèvres et respire profondément. Il lance un dernier regard vers la falaise, jette son poteau de bambou sur son épaule et se dirige silencieusement vers sa maison. Un à un, les autres chasseurs de miel, comme les abeilles ouvrières suivent leur reine, lui emboîtent le pas.

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