Les chiens ont accompagné les premiers Hommes sur le continent nord-américain
Un fragment osseux raconte l’histoire d’un chien qui s’est aventuré dans un nouveau monde de glace... et fournit de nouveaux indices sur les migrations des premiers habitants d’Amérique du Nord.
Les huskys, les malamutes et les chiens de traîneau du Groenland présentent tous des traits physiques communs aux premiers chiens domestiqués, entrés sur le territoire nord-américain il y a plus de 10 000 ans.
Pendant près de vingt ans, on a pensé que l’échantillon PP-00128 issu de la collection des sciences de la Terre du musée de l’Université de l’Alaska appartenait à un ours plutôt âgé. Ce fragment de fémur, assez petit pour être tenu entre deux doigts, avait été exhumé sur un site de fouilles situé le long de la côte sud-est de l’Alaska. C’est également à cet endroit que des archéologues ont découvert des vestiges de poissons, d’oiseaux, de mammifères et même des ossements de nos ancêtres vieux de plusieurs milliers d’années.
Toutefois, les résultats des derniers tests effectués sur l’échantillon ont surpris les scientifiques, mais n’étonneront peut-être pas les maîtres de chiens : PP-00128 appartenait à un compagnon canin qui trottait aux côtés des Hommes dans le nouveau monde de glace que formaient les Amériques il y a 10 150 ans.
L’analyse des vestiges du plus vieux chien domestiqué jamais découverts en Amérique, publiée le 24 février 2021 dans Proceedings of the Royal Society B, fournit non seulement des indices quant à la date d’introduction des chiens en Amérique, mais aussi quant aux routes qu’ils ont empruntées aux côtés des Hommes pour y parvenir. Cette découverte renforce également le lien ancestral et profond entre les peuples et les chiens domestiques.
« Même si vous ne pouvez pas imaginer à quoi ressemblait la vie il y a 10 000 ans, vous pouvez tout de même comprendre le lien qui unissait les peuples et leurs chiens », déclare Carly Ameen, une zooarchéologue de l’Université d’Exeter qui n’a pas pris part à la nouvelle étude.
LA TRAQUE DES EMPREINTES DE PATTES À TRAVERS L'AMÉRIQUE
Bien qu’il s’agisse de la plus ancienne preuve matérielle de la présence de chiens domestiques sur le continent américain, ce fragment de fémur n’appartient pas nécessairement à l’un des premiers chiens en provenance de l’Asie du Nord-Est. En 2018, des vestiges canins avaient été retrouvés dans des lieux de sépulture en Illinois et leur âge avait été estimé à 9 910 ans. Le record du « plus vieux » chien appartient désormais au chiot alaskien PP-00128, plus vieux que son prédécesseur d’à peine deux siècles. Ce qui intéresse le plus les archéologues néanmoins, c’est qu’il existe maintenant deux chiens, d’âge très similaire, situés dans deux régions très distinctes d’Amérique du Nord. Autrement dit, les chiens sont arrivés bien avant ces deux découvertes. Quand sont-ils donc arrivés sur le sol américain pour la première fois ?
Selon des données génétiques fraîchement dévoilées, alors qu’un tiers de l’Amérique du Nord était enseveli sous la glace à l’époque du dernier maximum glaciaire (DMG), soit entre 19 000 et 26 500 ans avant notre ère, on estime que les peuples côtoyaient de plus en plus souvent des loups gris de Sibérie. En effet, les Hommes et les loups pouvaient chasser et manger dans les refuges relativement tempérés de la région qui offraient des proies aux deux espèces. Progressivement, ces loups sont devenus des chiens, domestiqués entre 40 000 et 19 000 ans avant aujourd’hui.
Dans le cadre d’un projet de recherche multidisciplinaire consacré à l’histoire de la faune, du climat et de l’environnement de cette région au fil de la progression et du retrait de la couche de glace, les scientifiques ont épluché la génétique des ossements mis au jour au sein de ce territoire, y compris ceux conservés au musée de l’Université d’Alaska. Charlotte Lindqvist, biologiste évolutionniste à Université d'État de New York à Buffalo et co-auteure de la nouvelle étude, s’est intéressée aux comportements des ours à cette époque. Un os, l’échantillon PP-00128, découvert à l’origine sur le site de Lawyer’s Cave situé dans la Blake Channel de l’Alaska, était supposé appartenir à un de ces ursidés.
Même si l’analyse génétique a bien prouvé que PP-00128 n’appartenait pas à un ours, la récupération du profil complet de l’ADN nucléaire du chien n’a pas pu être réalisée à partir de ce minuscule fragment osseux. C’est son ADN mitochondrial, c’est-à-dire une petite portion du génome héritée uniquement de la lignée maternelle, qui a été récupéré. L’équipe pluridisciplinaire au cœur de cette étude a suggéré que ce chien appartenait à une lignée qui s’est séparée de ses cousins sibériens il y a au moins 16 700 ans, à peu près à l’époque où les Hommes auraient voyagé en Amérique du Nord en longeant la côte.
Toutefois, cette date n'est peut-être pas la période exacte à laquelle des chiens sibériens auraient suivi les Hommes en Amérique du Nord. Krishna Veeramah, un généticien des populations à l’Université d'État de New York à Stony Brook qui n’a pas pris part à la nouvelle étude, assure que les populations canines qui se sont établies en Sibérie n’avaient sûrement pas la même lignée maternelle que les populations américaines, sauf s'il s'avérait qu'à cette époque les chiens étaient très peu nombreux. Les chiens de ces deux groupes avaient probablement un ancêtre commun remontant à plusieurs décennies, bien avant qu’ils ne se divisent.
On pensait que ce minuscule fragment de fémur baptisé PP-00128 appartenait à un ours mais les analyses génétiques ont révélé qu’il appartenait à un chien domestique.
En d’autres termes, ces 16 700 années sont susceptibles de représenter la date à laquelle leur génétique a commencé à diverger. Il ne s’agit pas nécessairement de la date à laquelle ces populations se sont séparées, ni du moment exact où les chiens domestiqués ont pénétré sur le continent américain pour la première fois.
À l’instar des Hommes, la chronologie de l’entrée des premiers précurseurs canins sur le territoire américain reste floue. Rien ne permet encore d’affirmer si les toutes premières migrations humaines impliquaient des chiens ou si ceux-ci sont arrivés un peu plus tard. Néanmoins, le fait que ce chien domestique ait vécu le long des côtes de l’Alaska à l’époque où la glace côtière de la région se retirait rapidement permet de se faire une idée des itinéraires que les Hommes auraient pu emprunter.
Les scientifiques aimeraient savoir si les Hommes ont d’abord pénétré en Amérique en empruntant des voies terrestres délimitées par les calottes glaciaires de la Cordillère et des Lorentides ou bien s’ils ont longé le littoral pacifique en direction du Sud. « Je suis certaine que la migration s’est faite dans les deux sens », explique Charlotte Lindqvist. Les données géologiques montrent toutefois que la glace présente le long des routes littorales s’est retirée plus tôt, ce qui a offert un premier point d’accès au Nouveau Monde.
UN « COUTEAU SUISSE » RECOUVERT DE FOURRURE
L’analyse isotopique de l’échantillon PP-00128 a révélé que le régime alimentaire de ce chien d’Alaska était constitué de poisson ainsi que de viande de baleine et de phoque, probablement des restes que ses compagnons humains lui offraient. Bien qu’on ne sache pas exactement à quoi ressemblait ce chien, les experts en ont une petite idée.
Robert Losey, archéologue à l’Université de l’Alberta, s’est intéressé aux relations Homme-animal mais n’a pas pris part à cette découverte. Il affirme que si ce chien partageait des traits communs avec les premiers chiens sibériens, il était relativement corpulent, avec un poids situé entre 22 et 27 kilos. « J’imagine que ce chien avait un comportement similaire à celui de nos chiens actuels, qu’il s’adaptait bien aux environnement froids, qu’il participait à la chasse et qu’il transportait ou tirait des cargaisons grâce à des traineaux ».
« Si vous souhaitez adopter un ancêtre des chiens américains, prenez un husky de Sibérie ou d’Alaska, un malamute ou encore un chien de traîneau du Groenland, ce sont ceux qui s’en rapprochent le plus », explique Angela Perri, archéologue à l’Université de Durham en Angleterre et qui n’a pas pris part à cette étude.
Pour elle, les chiens sont comme une sorte de « couteau suisse » en fonction des différentes activités qu’ils ont exercées au fil de l’Histoire, par exemple en tant que chasseurs, gardes, avertisseurs, chauffe-lits ou encore sources de soutien émotionnel.
Néanmoins, les observations ethnographiques indiquent que « lorsque vous êtes désespérés, quand les temps sont durs, les chiens sont utilisés pour leur fourrure ou leur chair », précise Mme Perri. En ce qui concerne les chiens des Amériques, leur fonction a sûrement oscillé au fil des années selon la difficulté des conditions de leur époque.
UNE ESQUISSE DE LEUR HISTOIRE
Après leur arrivée en Amérique, ces anciens chiens sibériens se sont répandus dans toute l’Amérique du Nord et du Sud. Mêlés aux coyotes et aux loups, ils ont fini par se mélanger aux chiens immigrés d’autres parties du globe, y compris les races de l’Arctique arrivées avec le peuple Thulé un siècle auparavant.
Malheureusement, la lignée génétique de ces anciens chiens a presque été anéantie lorsque les colons européens ont introduit leurs propres chiens il y a quelques siècles à peine. Heureusement, grâce à des études génétiques et des découvertes fortuites, leur histoire est de mieux en mieux connue. Comme le prouve cette récente découverte, « dans nos entrepôts et nos réserves reposent de nombreux trésors de données », déclare Mme Ameen.
Si l’on dispose de suffisamment de temps et grâce à des fouilles archéologiques minutieuses, les vastes étendues sauvages de l’Alaska livreront leurs secrets sur les premières arrivées des Hommes et de leurs compagnons à quatre pattes.
« Les réponses à toutes ces questions sont à portée de main et nous attendent, assure Mme Perri. Les chiens ont une relation avec les Hommes qu’aucun autre animal ne présente, n’est-ce pas ? L’histoire des chiens, c’est aussi celles des Hommes », conclut-elle.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
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