Découverte d'une gigantesque colonie de manchots en Antarctique
Cette découverte pourrait jouer en faveur de la protection des eaux autour de la péninsule Antarctique.
Le petit archipel des îles Danger, situé au large des côtes ouest de l'Antarctique, accueille plus de 1,5 million de manchots Adélie, qui étaient bien cachés.
Ces îles sont connues pour abriter des manchots, mais leur nombre exact était un véritable mystère jusqu'à ce que des images satellites et une étude sur le terrain révèlent la taille immense de la colonie.
Le nouveau recensement inclut les troisième et quatrième plus grandes colonies de manchots Adélie au monde, augmentant ainsi le nombre de manchots présents dans la région de presque 70 %.
Publiée dans Scientific Reports vendredi, cette découverte aidera à orienter les plans de protection des eaux en Antarctique. En effet, dans certaines zones, le nombre de manchots Adélie a énormément baissé. Cette étude révèle également comment les chercheurs peuvent combiner des données recueillies sur place et grâce aux satellites à un niveau jamais atteint auparavant.
« D'après moi, c'est le mélange de plusieurs ensembles de différentes données imagées qui a permis à cet article de se démarquer des autres », a déclaré Luba Reshitnyk, géographe maritime à l'institut Hakai qui n'a pas participé à l'étude. « C'est très excitant de cartographier des manchots (ou plus exactement leur habitat) depuis l'espace ! ».
CLIMAT EN ÉVOLUTION
Il existe trois types de manchots sur la péninsule Antarctique : les manchots Adélies, les manchots à jugulaire et les manchots papou. Toutefois, les manchots Adélie sont la seule espèce à ne vivre qu'en Antarctique et dépendent donc du climat antarctique.
Mais, au cours des 40 dernières années, les eaux le long de la côte ouest de la péninsule Antarctique se sont réchauffées et la température de l'air en hiver a augmenté d'environ 9 °F. Les périodes où la mer est libre de toute glace durent désormais jusqu'à 3 mois de plus et près de 600 glaciers sur les 674 de la région fondent.
Ces changements modifient la chaîne alimentaire de la zone, ce qui affecte la période à laquelle les manchots Adélie se nourrissent et l'endroit où ils le font. La hausse des températures est aussi synonyme de plus de pluie, inondant ou détruisant les nids des manchots, noyant les oeufs et faisant mourir de froid les poussins. Conséquence : presque toutes les colonies de manchots Adélie vivant le long de la partie ouest de la péninsule voient leur population décliner.
C'est tout le contraire sur la partie est de la péninsule Antarctique et sur les îles Danger. Là-bas, les vents poussent la glace vers le haut et autour du sommet de la péninsule et un vortex d'eau de mer qui tourbillone lentement fixe la glace contre la terre. Par conséquent, la banquise reste formée plus longtemps et la zone est plus accueillante pour les manchots Adélie.
On savait que les îles Danger abritaient des manchots, mais y accéder sur des eaux embâclées, l'homonyme des îles, rendait l'étude de cette population difficile. C'était sans compter sur les satellites, de plus en plus utilisés par les écologistes pour cartographier la vie en Antarctique.
« C'est comme si tout le monde étudiait l'Antarctique perchés sur des lampadaires », a indiqué Heather Lynch, biostatisticienne à la Stony Brook University (États-Unis) et co-auteur de l'étude. « Utiliser des satellites revient à allumer la lumière ».
Les méga-colonies de manchots sont tellement immenses qu'elles laissent dernière elles une énorme quantité de guano ou d'excréments. Les paysages tachetés par ces derniers sont facilement identifiables depuis les airs, permettant aux satellites en orbite tels que la flotte LANDSAT de la NASA de les repérer.
En 2014, Heather Lynch et son collègue Matthew Schwaller ont développé un algorithme capable d'analyser les photos satellites prises de l'Antarctique et de signaler les zones souillées. Les îles Danger, un archipel composé de neuf îles, ont alors été identifiées comme une zone d'intérêt.
Mais le pouvoir des algorithmes a ses limites. Sur les images provenant du LANDSAT, un seul pixel représente environ 30 mètres de large, bien trop imprécis pour repérer des manchots seuls. « C'est comme si l'on disait que l'on avait vu de la fumée mais y a-t-il vraiment un incendie ? », a précisé Hanumant Singh, roboticien à l'université Northeastern et co-auteur de l'étude.
En décembre 2015, l'équipe d'Heather Lynch s'est donc aventurée sur les îles pour se faire une idée de la réalité. Pour cela, ils ont compté les excréments sur le terrain mais aussi dans les airs à l'aide d'un drone. L'équipe a ensuite fabriqué une photomosaïque géante de quelques îles et a programmé un réseau neuronal afin de compter les sites de nidification. Pour vérifier le travail de l'algorithme, certains chercheurs ont également dû compter manuellement sur le terrain.
« Les biologistes sont les individus les plus patients que je connaisse », a déclaré M. Singh.
AU SERVICE DE LA PROTECTION
Cette découverte sert déjà à définir la stratégie de la CCAMLR (qui se prononce « camel-arr »), la commission internationale en charge de la conservation de la vie marine de l'Antarctique.
Selon Mercedes Santos, scientifique de l'Institut argentin de l'Antarctique, qui aide la CCAMLR dans la création des aires marines protégées (AMP), cette découverte est un véritable atout pour l'AMP proposée, qui inclut la péninsule Antarctique ouest et l'arc des Antilles australes.
Dans un communiqué, Mercedes Santos a indiqué que l'AMP suggérée inclut une zone de protection de 30 kilomètres autour des colonies de manchots afin de préserver les aires d'alimentation des oiseaux lorsqu'ils se reproduisent. Les colonies qui vivent sur les îles Danger sont également concernées.
« Les îles Danger sont tellement minuscules qu'elles n'apparaissent même pas sur la carte de planification que la CCAMLR utilise », a ajouté Heather Lynch. « C'est incroyable qu'une zone si petite puisse accueillir autant de manchots ».
Par la suite, l'équipe d'Heather Lynch tentera de déterminer comment ces immenses colonies parviennent à vivre avec si peu. Pour cela, être sur le terrain est un avantage supplémentaire. Grâce aux échantillons de tissus et de sols prélevés lors de l'expédition de 2015, il sera possible de savoir si les manchots se nourrissent de krill ou de poisson et depuis quand ils vivent sur l'île.
« Bien que l'on puisse identifier des zones grâce à l'imagerie satellite, c'est sur le terrain que nous obtiendrons les meilleures données », a précisé Heather Lynch. « Ce n'est pas possible de tout faire depuis l'espace ».
Craig Welch a contribué à cet article.