Les découvertes les plus fascinantes sur les requins
Des requins qui marchent. D’autres qui parcourent des distances extraordinaires... Cette dernière décennie a été synonyme de fascinantes découvertes sur les requins.
Le requin-baleine (Rhincodon typus), un animal qui se nourrit de plancton au large de la péninsule du Yucatán, est capable de contrôler le débit de l’eau pour s’alimenter.
Le requin-chabot (Hemiscylliidae) marche. Le requin-lanterne ninja (Etmopterus benchleyi) brille dans le noir. La femelle requin-baleine (Rhincodon typus) peut porter jusqu’à 300 petits à différents stades de maturité et de pères différents. La femelle requin-zèbre (Stegostoma fasciatum) peut se reproduire seule.
Ce ne sont là que quelques-unes des découvertes les plus fascinantes de la décennie. 500 espèces connues de requins, tout petits ou de la taille d’un bus, sillonnent les eaux de notre planète. Les scientifiques tentent toujours de dévoiler les secrets de ces poissons dentus. Depuis l’an 2000, date à laquelle les chercheurs ont découvert que les populations de requins déclinaient à travers le monde, les travaux de recherche se sont multipliés dans de nombreux domaines d’étude, de la paléontologie aux neurosciences en passant par la biomécanique.
Près d’un quart de siècle plus tard, on se rend enfin compte que les requins ne sont pas ces tueurs fous, comme souvent dépeints dans la culture populaire. Ces poissons disposent de grands cerveaux dont la taille varie d’une espèce à l'autre.
« Notre cerveau est comparable à celui d’un requin », affirme Kara Yopak, neuroanatomiste à l’université de Caroline du Nord à Wilmington. Le requin est l’une des créatures les plus primitives et fait partie des premières espèces à avoir développé certains attributs du cerveau des vertébrés, à savoir les bulbes olfactifs, le cervelet ainsi que des parties des cerveaux antérieur et moyen.
« L’idée reçue la plus répandue est que les requins sont des machines préprogrammées, dotées de petits cerveaux et qui mangent tout sur leur passage », explique Yopak. « Ce n’est pas le cas. »
Il est plus que jamais urgent de protéger les différentes espèces de requins. Les deux tiers sont menacées par la surpêche, le changement climatique, la perte d’habitat et le braconnage. Selon une étude, si on augmente les aires marines protégées de 3 % à travers le monde, cela suffira à sauver 99 des requins les plus menacés, la plupart étant des prédateurs de premier plan qui aident à maintenir l’équilibre des écosystèmes.
Voici quelques découvertes qui ont complètement changé notre perception des requins.
DE SI LONGUES DISTANCES
Des chercheurs comme Barbara Block, biologiste marine à l’université Stanford, équipe les requins de balises GPS pour suivre leurs mouvements et révéler ainsi leurs secrets.
Autrefois, les scientifiques pensaient que les grands requins blancs (Carcharodon carcharias) restaient près du rivage en Californie pour chasser des otaries et des phoques. Cependant, avec les progrès technologiques, les chercheurs ont réussi à suivre les mouvements des requins pendant des périodes plus longues. Block et ses collègues ont appris que les prédateurs parcouraient des milliers de kilomètres chaque hiver pour atteindre une étendue d’eau chaude dans l’océan Pacifique où ils faisaient des plongées nocturnes inexpliquées.
Un grand requin blanc (Carcharodon carcharias) nage au large des îles Neptune au sud de l’Australie. Jadis, les scientifiques pensaient que les prédateurs chassaient près de leur habitat.
Les satellites avaient suggéré que cette région du Pacifique, renommée depuis « café des requins blancs » était dépourvue de nourriture. Ils avaient tort. Les chercheurs ont découvert une zone riche en crevettes, en vers, en Thunnus obesus, en calmars et autres créatures d’eau profonde. Maintenant que nous savons que ce repaire de requins blancs est indispensable à leur cycle de vie, les écologistes œuvrent par tous les moyens à l’inscrire sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Ces dernières années, sur la côte est des États-Unis, un grand requin blanc du nom de Mary Lee a gagné en notoriété, traversant les eaux de la Floride, les Bermudes et la côte du New Jersey, surprenant les scientifiques par ces escapades si fréquentes. Mary Lee n’a plus refait surface depuis 2017 mais a sa propre page Facebook et même un compte Twitter.
D’autres espèces de requins ont un mode de vie moins itinérant mais entreprennent des migrations épiques. En 2014, Lydia devint le premier grand requin blanc de son espèce à traverser l’océan Atlantique alors qu’en 2017, Anne, un requin-baleine (Rhincodon typus), a pulvérisé les records en parcourant près de 20 000 kilomètres à travers l’océan Pacifique en un peu plus de deux ans.
DES DENTICULES CUTANÉS POUR NAGER
La peau de chaque requin est recouverte de centaines de milliers de minuscules denticules qui se régénèrent mystérieusement lorsqu’ils se perdent.
« Ces denticules ressemblent à nos dents. Ils sont dotés de cavités pulpaires, de dentine et d’émail », précise George Lauder, ichtyobiologiste et roboticien à l’université Harvard. « Nos dents proviennent sans doute d’anciennes écailles qui recouvraient la peau d’animaux comme les requins il y a 400 millions d’années. »
Les progrès récents en matière de technologie d’imagerie, d’impression 3D et de robotique ont montré comment les denticules aident les requins à nager. Au cours d’expériences en laboratoire, Lauder a remarqué que le matériau semblable à la peau de requin se déplaçait plus rapidement et utilisait moins d’énergie que le matériau lisse.
Pourquoi donc ? Les denticules réduisent la traînée tout en favorisant la poussée. La taille est également importante. Plus les denticules sont petits, plus ils augmentent la vitesse. Au contraire, plus ils sont grands, plus la vitesse est réduite. La forme et la taille des denticules varient en fonction du requin.
LES POISSONS FILTREURS
Les scientifiques pensaient que tous les poissons filtreurs se servaient de leur bouche comme passoire. Tout ce qui était trop grand pour passer à travers les trous demeurait bloqué. Le reste passait avec l’eau. Cependant, Erin « Misty » Paig-Tran, anatomiste à l’université d’État de Californie à Fullerton, a remis cette hypothèse en question. Les raies Manta et les requins-baleines se nourrissent au même endroit, au même moment mais très différemment.
En testant des modèles 3D de filtres de requins et de raies en laboratoire, l’anatomiste a réussi à lever le voile sur la stratégie adoptée. En adaptant leur vitesse de nage et la largeur de leur bouche ou de leurs fentes branchiales, les animaux peuvent attraper leurs proies préférées en filtrant l’eau avec leurs branchiospines. En général, plus l’eau coule à grande vitesse, plus les particules de nourriture ingérées sont petites.
Les espèces qui filtrent leur nourriture adoptent des stratégies différentes. Le requin-baleine s’arrête, aspire son repas puis émerge de l’eau avant de l’engloutir ou nage la bouche ouverte. Le requin grande-gueule (Megachasma pelagios) prend de très grandes bouchées à l’aide de ses filtres couverts de denticules. Le requin-pèlerin (Cetorhinus maximus) nage la bouche ouverte.
CES REQUINS OMNIVORES
En 2007, les chercheurs qui étudiaient le régime alimentaire du requin-marteau tiburo (Sphyrna tiburo) ont constaté que son estomac était rempli à 60 % d’herbes marines.
« Tout le monde pensait – et moi la première – que les requins étaient carnivores », dit Samantha Leigh, spécialiste en physiologie animale à l’université d’État de Californie à Dominguez Hills. Bien sûr, ils auraient pu manger des herbes par accident mais que feraient-ils de toute cette verdure ?
Une décennie plus tard, Leigh, alors étudiante à l’université de Californie à Irvine, a nourri des Sphyrna tiburo d’herbes équipées de traceurs isotopiques – des molécules spéciales qui lui permettaient de voir où les nutriments provenant de l’ingestion d’herbes se déplaçaient dans le corps. Elle a alors découvert que les poissons avaient digéré près de la moitié de la matière organique contenue dans les herbes et incorporé les nutriments dans leur corps.
« Cela ressemble beaucoup aux matières digérées par certaines jeunes tortues de mer », indique-t-elle. C’est le premier régime omnivore jamais constaté chez un requin. On ne connaît toujours pas le mécanisme mais Leigh suppose que les requins sont aidés par des micro-organismes contenus dans leurs tripes – tout comme les êtres humains.
LES AVANTAGES DE L’EFFET PEAU DE REQUIN
L’étude des denticules a permis à George Lauder de l’université Harvard par exemple de créer des véhicules sous-marins hydrodynamiques dont les surfaces facilitent le déplacement dans l’eau.
En 2012, Lauder a testé une sorte de maillot de bain qui, à l’image de la peau de requin, permet de réduire la traînée. 80 % des nageurs l’ont porté lors des jeux olympiques de Sydney. Les combinaisons LZR de Speedo, désormais interdites car conférant un avantage déloyal, ont amélioré la performance des nageurs de 7 % environ, selon Lauder. Les fabricants de vêtements de bain comme Speedo sont actuellement en train de concevoir de nouvelles combinaisons pour remplacer la LZR, loin de tout « dopage technologique ».
Les recherches de Lauder ont montré que les combinaisons ne réduisaient pas la traînée pour les nageurs. « Elles ne ressemblent en rien à la vraie peau de requin », souligne Lauder. C’est juste que la combinaison moulante couvre tous les reliefs du corps humain.
Paig-Tran affirme que les requins filtreurs inspirent la création de filtres industriels autonettoyants et à haut rendement énergétique pour le traitement des eaux usées ou l’élimination des micro-plastiques dans les étendues d’eau.
« En dix ans, on a avancé à pas de géant », conclut Paig-Tran. « Plus on apprend sur les requins, plus ils deviennent fascinants. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.