De la cocaïne a été retrouvée dans l’organisme de requins

Une récente analyse menée sur des requins aiguilles brésiliens a révélé que des drogues illicites finissaient dans l’océan et contaminaient la faune marine.

De Joshua Rapp Learn
Publication 26 juil. 2024, 15:33 CEST
Le biologiste Paulo dos Santos mesure un requin aiguille brésilien capturé par des pêcheurs dans l’État de ...

Le biologiste Paulo dos Santos mesure un requin aiguille brésilien capturé par des pêcheurs dans l’État de São Paulo en 2023. Ce requin n’est pas l’un des 13 spécimens de sa récente étude.

PHOTOGRAPHIE DE Victor Moriyama, Nat Geo Image Collection

Des « requins cocaïne » sillonnent les eaux côtières de Rio de Janeiro. Non, ce n’est pas le titre d'un film de série B, mais bien une découverte sans précédent.

Une récente analyse menée sur des requins aiguilles brésiliens a révélé que des drogues illicites finissaient dans l’océan et contaminaient la faune marine.

Dans le cadre de cette étude, les chercheurs ont disséqué treize requins capturés accidentellement par des pêcheurs entre septembre 2021 et août 2023 dans les eaux du Recreio dos Bandeirantes, un quartier de Rio de Janeiro aux longues plages de sable blanc.

L’équipe a alors découvert de la cocaïne et de la benzoylecgonine (un métabolite produit lors de la dégradation de la cocaïne par l’organisme) dans les tissus musculaires et hépatiques des treize requins.

Les déchets pharmaceutiques, qu’ils soient légaux ou illégaux, constituent une menace pour la faune des océans, des rivières et des lacs. Des scientifiques ont également détecté des traces de cocaïne et d’autres drogues illégales près de grandes villes comme Londres et au large des côtes de Floride.

On ne sait pas encore comment la cocaïne, ce stimulant issu des feuilles de coca, affecte le requin aiguille brésilien, une espèce que l’Union internationale pour la conservation de la nature considère comme vulnérable, principalement en raison de la surpêche.

La biologiste Rachel Ann Hauser-Davis et l’écotoxicologue Enrico Saggioro, tous deux membres de l’Institut Oswaldo Cruz, un organisme fédéral de recherche en santé publique situé à Rio de Janeiro, ont précisé qu’ils n’avaient pas analysé la santé des requins dans leur nouvelle étude.

Cependant, selon les auteurs de l'étude qui s’appuient sur des études antérieures ayant révélé les effets néfaste de la cocaïne sur des poissons zèbres et des moules, il est « probable » que les requins pâtissent eux-aussi de la présence de cocaïne dans leur organisme.

« [La cocaïne] pourrait causer des problèmes de santé, tels que d’éventuels problèmes de reproduction, ainsi que des problèmes d’interaction entre proies et prédateurs », expliquent les deux scientifiques, dont l’étude a été publiée dans la revue Science of The Total Environment.

 

DES REQUINS VULNÉRABLES

L’étude a également révélé que les taux de cocaïne dans l'organisme des treize requins étaient trois fois plus élevés que les taux de benzoylecgonine, ce qui implique qu’une majeure partie de la drogue à laquelle ils ont été exposés n’a pas été préalablement métabolisée dans l’organisme d’humains ou d’autres animaux. Une partie de cette drogue a ainsi dû être déversée directement dans l’eau. 

« Ça ne m’étonne absolument pas qu’on retrouve des métabolites de cocaïne dans l’eau, comme on en retrouve dans l’urine humaine. En revanche, je suis surprise qu’on y retrouve de la cocaïne [telle quelle] », déclare Tracy Fanara, océanographe à l’université de Floride.

Le Brésil est l’un des principaux « marchés de consommation de la cocaïne en Amérique du Sud, avec environ 1,5 million de consommateurs, soit près de 8 % du total de consommateurs dans le monde », selon l’étude. 

Les chercheurs avancent deux hypothèses pour expliquer la présence de cocaïne dans l'organisme des requins : celle-ci proviendrait d’une part des déchets des toxicomanes rejetés dans les égouts, et d’autre part de la cocaïne pure rejettée par des laboratoires clandestins de raffinage dans les égouts du canal de Sernambetiba, lequel se jette ensuite dans l’océan au niveau du Recreio dos Bandeirantes.

Comme les requins aiguilles brésiliens vivent généralement dans les zones côtières, ils sont particulièrement sensibles à cette pollution et à d’autres formes de pollution urbaine. 

 

QUELLES CONSÉQUENCES SUR LES REQUINS ?

Comment les requins ingèrent-ils la cocaïne ? Là aussi, deux hypothèses sont avancées : il se pourrait que les requins absorbent directement la cocaïne par leurs branchies ou qu'ils mangent des proies ayant auparavant ingéré la drogue. Selon les auteurs de l’étude, cette bioaccumulation dans la chaîne alimentaire pourrait expliquer pourquoi les requins présentaient des taux de cocaïne plus élevés que d’autres organismes aquatiques testés lors de recherches antérieures. 

Il se pourrait également que les requins ne métabolisent pas la cocaïne aussi rapidement que les êtres humains et que la présence prolongée de la drogue dans leur organisme perturbe leur système endocrinien et donc la régulation hormonale, explique Daniel D. Snow, professeur et directeur de laboratoire au Nebraska Water Center, qui a étudié la présence de stéroïdes dans les rivières

Tout produit chimique biologiquement actif peut provoquer un déséquilibre qui, à son tour, pourrait rendre les requins, déjà en déclin, plus sensibles aux maladies, explique Snow.

« C’est la preuve du danger croissant de la pollution par la cocaïne », soutient Anna Capaldo, professeure d’anatomie comparée à l’université de Naples Federico II en Italie, qui a étudié l’impact de la cocaïne sur les anguilles européennes. Ses recherches ont montré que les anguilles exposées présentaient des altérations musculaires et une perturbation hormonale conduisant à un stress accru.

Capaldo, qui a examiné la récente étude brésilienne, soutient néanmoins qu’il faudrait étudier les organes de requins aiguilles brésiliens contaminés « pour pouvoir déterminer avec certitude » si la drogue affecte oui ou non leur santé.

 

LES REQUINS DE FLORIDE ÉGALEMENT MENACÉS

Fanara a étudié l’impact potentiel de la cocaïne au large de la Floride, où les ballots de cocaïne (des blocs enveloppés de plastique utilisés pour le transport illégal) tombent parfois des bateaux des trafiquants de drogue et se retrouvent dans l’eau. Dans d’autres cas, ces ballots sont cachés sous l’eau dans des filets lestés, pour être ramassés plus tard. Bien que Fanara et son équipe n’aient pas encore trouvé de preuves de la présence de cocaïne chez les requins de Floride, ces derniers sont probablement contaminés.

L’étude brésilienne est préoccupante, dit-elle, car les requins aiguilles brésiliens, « qui sont classés comme espèce vulnérable, passent toute leur vie exposés à cette drogue ».

Elle ajoute néanmoins que l’étude présente une faiblesse « majeure » : les scientifiques n’ont pas prélevé d’échantillons d’eau à l’endroit du Recreio dos Bandeirantes où les requins ont été capturés.

C’est pourquoi, afin d’obtenir une vision globale de la présence de cocaïne dans l’écosystème, Saggioro travaille à la détection de la drogue dans l’ensemble du bassin hydrographique de Rio de Janeiro.

 

Y A-T-IL DES SOLUTIONS ?

Selon Daniel D. Snow, il est difficile de contrôler les rejets de cocaïne, et même de médicaments et de substances légaux, dans les océans.

« On peut bien sûr traiter les eaux usées de manière à ne pas rejeter ces produits chimiques dans l’eau, mais cela coûte extrêmement cher. »

Dans leur étude, les chercheurs appellent les organismes de réglementation brésiliens à reconnaître la présence de drogues illicites dans les écosystèmes marins et à surveiller et réduire leur présence par le biais de la législation.

La découverte de cocaïne dans les requins, écrivent-ils, « souligne l’urgence qu’il y a à instaurer des cadres juridiques solides et de mesures proactives pour faire face à cette nouvelle menace environnementale ».

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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