Ce poisson des abysses peut vivre jusqu’à 100 ans
Beaucoup pensaient que les cœlacanthes avaient disparu en même temps que les dinosaures. Ils continuent d'étonner les scientifiques, qui viennent de découvrir que ces poissons pouvaient vivre jusqu’à 100 ans et porter leurs œufs pendant 5 ans.
Un cœlacanthe nage dans la baie de Sodwana en Afrique du Sud. Pendant longtemps, on pensait l’espèce disparue avant sa redécouverte en 1938.
Les cœlacanthes sont des poissons primitifs qui peuplent les abysses. Beaucoup pensaient qu’ils avaient disparu en même temps que les dinosaures. Récemment, cette espèce a de nouveau stupéfié la communauté scientifique. Selon une nouvelle étude, ces « fossiles vivants » qui peuvent atteindre 1,80 m de longueur peuvent vivre jusqu’à cent ans, soit cinq fois plus longtemps que ce que l'on pensait jusqu'à présent.
Une étude menée sur les écailles du cœlacanthe africain (Latimeria chalumnae), l’une des deux espèces connues, a révélé que leur espérance de vie avait été estimée à tort à tout juste vingt ans.
En outre, les femelles peuvent porter leurs œufs pendant cinq ans, soit trois ans de plus que ce que les scientifiques pensaient. Elles n’atteignent pas l’âge adulte avant cinquante-cinq ans, explique Kelig Mahe, auteur principal de l’étude de l’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer (IFREMER).
La courte durée de vie présumée du cœlacanthe n’a jamais concordé avec ses taux de reproduction très bas, son métabolisme lent, ni avec son faible taux d’absorption d’oxygène. Toutes ces caractéristiques sont représentatives des animaux marins dont la maturation est lente, comme les requins des profondeurs.
« Ils ont été une énigme pendant toutes ces années », déclare Selena Heppell, directrice du Department of Fisheries Wildlife and Conservation Sciences de l’université d’État de l’Oregon, qui n’a pas participé à la nouvelle étude. « Donc [désormais] c’est bien plus logique. »
Par ailleurs, les résultats publiés le 17 juin dans la revue Current Biology signifient que ce poisson en danger critique d’extinction est bien plus vulnérable face aux menaces qui pèsent sur l’espèce, telles que les prises accidentelles ou les évènements climatiques extrêmes.
ANALYSER LEUR VIEILLISSEMENT
En 1977, la première étude sur le vieillissement des cœlacanthes s’est penchée sur les structures calcifiées présentes sur les écailles de douze cœlacanthes africains, appelées macro-circuli. On pensait que ces structures ressemblaient aux anneaux de croissance des arbres ou des carottes de glaces, des marques où sont enregistrés les intervalles de temps.
Sur la base de l’augmentation du nombre de macro-circuli présents sur les écailles, à l’époque, les scientifiques ont conclu que ces éléments se déposaient deux fois par an. Plus tard, ils ont déterminé qu’ils n’apparaissaient qu’une fois par an, ce qui équivalait à une durée de vie de vingt ans pour ces animaux.
M. Mahe et ses collègues ont été intrigués par ces résultats. Ils ont donc examiné vingt-sept cœlacanthes africains conservés au Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Ils avaient été pêchés entre 1954 et 1991. L’échantillon présentait un jeune poisson et deux embryons.
Lorsqu’ils ont observé les macro-circuli avec un microscope à lumière transmise, comme l’avaient fait les équipes précédentes, leurs résultats se sont avérés identiques aux premiers.
DES INDICES DISSIMULÉS
Toutefois, les chercheurs ont ensuite examiné les écailles des cœlacanthes grâce à la microscopie en lumière polarisée, une technique bien plus avancée qui permet de réduire les reflets et d’augmenter la netteté. Les résultats se sont révélés bien plus probants. La lumière polarisée a mis au jour la présence de nombreux micro-calculi parmi les macro-circuli. L’analyse de ces structures a révélé qu’ils se déposent une fois par an.
Le décompte de ces plus petits circuli annuels a permis de situer l’âge des spécimens du musée entre cinq et quatre-vingt-quatre ans, des conclusions qui correspondent davantage à ce que l’on connaît de la biologie des cœlacanthes.
D’autres analyses utilisant des mesures normalisées pour déterminer l’âge des spécimens ont confirmé ces résultats. De fait, le cœlacanthe possède l’un des métabolismes les plus lents de toutes les espèces marines.
Afin de déterminer la période de gestation du poisson, l’équipe a mesuré les écailles des spécimens embryonnaires avec les mêmes méthodes que pour les adultes. Cette analyse a prouvé qu’elle durait cinq ans.
Bien que le cœlacanthe indonésien (Latimeria menadoensis), également en danger critique d’extinction n’ait pas été étudié, les scientifiques espèrent pouvoir appliquer la même technique à cette espèce.
DES RÉSULTATS PLUS OU MOINS CONVAINCANTS
Selon Brian Sidlauskas, ichtyologue à l’université d’État de l’Oregon qui n’a pas été impliqué dans l’étude, ces résultats sont convaincants.
Elle utilise une approche statistique rigoureuse où les scientifiques « se sont demandé s’ils faisaient confiance à ces données ».
Mark Terwilliger, expert du vieillissement des poissons au Department of Fish and Wildlife de l’Oregon, souligne que les écailles des poissons peuvent se détacher et se réintégrer au corps à mesure que les animaux prennent de l’âge. Selon lui, elles ne constituent pas un indicateur de vieillissement fiable pour les poissons ayant une longue espérance de vie.
De plus, les micro-circuli présents sur les écailles d’autres espèces de poissons osseux ne permettent pas de déterminer leur âge.
« Cela dit, leurs résultats correspondent à ce que j’imagine pour un poisson abyssal dont la croissance est lente », convient M. Terwillger par e-mail.
DES ANIMAUX PARTICULIÈREMENT VULNÉRABLES
Ces résultats sont synonymes de nouvelles inquiétantes pour ce poisson rare, qui prospère généralement à 700 mètres de profondeur au large de la côte est de l’Afrique.
Si un cœlacanthe meurt avant d’avoir pu se reproduire, il ne participera pas au maintien des populations de son espèce, déjà en déclin. Les portées des cœlacanthes africains peuvent s’élever entre trois et trente petits tous les cinq ans.
Ils sont donc « particulièrement vulnérables face à toute perturbation », alerte M. Mahe. Il souhaite ensuite se pencher sur les potentiels impacts du réchauffement des océans induit par le changement climatique sur les cœlacanthes.
Cette étude « nous rappelle qu’il reste encore beaucoup de choses que nous ignorons sur les étranges créatures des océans », conclut Mme Heppell.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.