Comment partager nos côtes avec les requins ?
Alors que les populations de proies des requins se reconstituent et que le tourisme balnéaire s’intensifie, nous découvrons comment assurer tant notre sécurité que celle des requins.
Sur cette photo prise aux Bahamas, le Dr Samuel « Doc » Gruber, aujourd’hui décédé, éminent chercheur sur les requins et fondateur de la Bimini Biological Field Station (une station de recherche scientifique spécialisée dans la biologie marine) appâte un requin de récif des Caraïbes (Carcharhinus perezi) sous le regard d’un groupe de plongeurs. Le Shark Lab de Bimini sensibilise le public au sujet des requins en organisant des visites guidées et des recherches sur le terrain.
« CAUTION! « WARNING! » « SEVERE BLEEDING! » (ou en français : « DANGER! », « ATTENTION ! », « SAIGNEMENT SÉVÈRE ! »). Voici certains des panneaux sur lesquels les amateurs de plages peuvent tomber en transportant glacières et parasols à travers les dunes et les plages de Cape Cod, dans le Massachusetts, l’une des plus célèbres côtes d’Amérique.
Ces lettres majuscules en rouge vif, placardées à côté de photographies de requins aux dents acérées, ont pour but d’avertir la population que de plus en plus de grands requins blancs ont été observés ces dernières années le long de la côte de la Nouvelle-Angleterre. Ces prédateurs, qui peuvent mesurer jusqu’à 5,5 mètres de long, sont attirés par les phoques gris, une espèce qui s’est rétablie le long de la côte est des États-Unis depuis la promulgation en 1972 de la loi américaine sur la protection des mammifères marins, qui prohibe, entre autres, la chasse de cette espèce.
La reconstitution des populations d'animaux dont se nourrissent les requins ainsi que l’intensification du tourisme balnéaire, ont contribué à une augmentation progressive des cas de morsures de requins dans le monde depuis 1970, selon les données recueillies par l’International Shark Attack File, une base de données tenue par le musée d’histoire naturelle de Floride. Cependant, les chiffres semblent avoir diminué ces dernières années : seulement cinquante-sept morsures de requins non provoquées ont été recensées dans le monde en 2020, contre soixante-six en 2018. Dix de ces morsures ont causé la mort en 2020 ; bien que cela représente une forte augmentation par rapport à la moyenne de quatre décès par an, les experts affirment que ce nombre relativement élevé est probablement exceptionnel.
Tomber nez à nez avec un requin est extrêmement rare et lorsque cela arrive, les requins mordent presque toujours les êtres humains par erreur, pensant qu’il s’agit d’un phoque ou d’une autre proie. Il est donc plus risqué de se baigner dans des eaux peuplées par les sources de nourriture naturelles des requins. Cape Cod et Cape Town, en Afrique du Sud, sont « les deux seuls endroits au monde où l’on trouve une forte densité de personnes, de phoques et de grands requins blancs » nageant ensemble près du rivage, explique Christopher Pepin-Neff, chercheur en sciences sociales à l’université de Sydney, qui étudie la façon dont le public perçoit les requins.
Une visiteuse de la Bimini Biological Field Station, aux Bahamas, s’apprête à caresser un bébé requin citron (Negaprion brevirostris). Les requins sont élevés dans un enclos dans le cadre d’une étude comportementale.
Un bébé requin citron nage parmi les racines de palétuviers.
Bien que les morsures de requins fassent couler beaucoup d’encre, seules trois espèces de requins sont responsables de la plupart des morsures non provoquées sur les êtres humains : les grands requins blancs, les requins-tigres et les requins-taureaux.
REDORER L’IMAGE DES REQUINS
Ces dernières années, les requins ont bénéficié d’un regain de notoriété, car de nouvelles recherches leur ont permis de passer du statut de tueur insensé à celui d’animal capable de nouer des liens d’amitié et de vivre 400 ans. Et nous savons à quel point les requins, en tant qu’espèces clés de voute jouant un rôle essentiel dans le maintien des écosystèmes océaniques, sont importants pour la santé des océans.
Les chercheurs et les éducateurs spécialisés dans les requins tentent d’aider le public à mieux comprendre le comportement des requins, et leur démarche semble porter ses fruits. Certains chercheurs ont suggéré de remplacer le terme « attaques de requins » par « morsures de requins » ou, plus largement, par « rencontres avec des requins », comme l’a rapporté le Sydney Morning Herald en 2021. En effet, jusqu’à un tiers des rencontres avec des requins ne provoque aucune blessure, comme c’est le cas lorsque quelqu’un marche par erreur sur un petit requin tapi au fond de l’eau, précise l’article.
À Cape Cod, l’Atlantic Shark Center, un musée supervisé par l’Atlantic White Shark Conservancy, a enregistré une augmentation d’environ 3 000 visiteurs par an depuis son ouverture en 2016 (à l’exception de 2020, en raison de la baisse du tourisme pendant la pandémie), explique Marianne Long, directrice de l’éducation de l’organisme. « La première question que posent les visiteurs est : "Sur quelle plage puis-je aller pour voir un requin ?" », raconte Long. D’après les experts, éveiller la curiosité des gens à l’égard des requins en suscitant leur intérêt pourrait être la meilleure façon de communiquer sur les risques et de partager nos océans avec ces animaux impressionnants en toute sécurité.
LE RÔLE DES DRONES
Et si les prévisions météorologiques du jour nous indiquaient à quel moment notre plage préférée est particulièrement fréquentée par les requins ? Ce n’est pas aussi improbable qu’il n’y paraît. L’émission Sky Sharks: Closer Than You Think de National Geographic montre comment les drones ont révolutionné la recherche sur les requins et aident les chercheurs à suivre les mouvements de ces prédateurs lorsqu’ils se rapprochent du rivage. Ces vues aériennes, ainsi que l’analyse de facteurs tels que la température de l’eau, la présence de prédateurs et le fait que les requins soient jeunes ou en gestation, peuvent nous aider à mieux comprendre quand et pourquoi les requins s’approchent si près des baigneurs.
Fondée sur les recherches du scientifique Chris Lowe, directeur du Shark Lab de l’université d’État de Californie à Long Beach, l’émission étudie les vagues saisonnières d’observations de grands requins blancs le long de la côte de la Californie du Sud. Des images tournées par drone au large de Santa Barbara montrent des requins s’approcher à quelques mètres des baigneurs et se faufiler sous des planches de surf sans être détectés.
Un drone révèle un grand nombre de requins bordés (Carcharhinus limbatus) dans les eaux chaudes et peu profondes de la côte de Miami.
Les requins présents dans les eaux peu profondes seraient presque tous des juvéniles. Selon les scientifiques, ils s’y abriteraient pour se protéger de leurs prédateurs comme les orques ou les grands requins blancs adultes.
Un peu plus au sud, à San Diego, les dizaines de requins-léopards qui longent régulièrement les côtes sont pour la plupart des femelles en gestation : ces futures mères pourraient avoir été attirées par les eaux plus chaudes du rivage. Les résultats sont convaincants sur le plan scientifique et ont également une application pratique puisque comprendre quelles sont les conditions propices à la présence de requins pourrait permettre au public de mieux savoir quand prendre de plus amples précautions à l’occasion d’une sortie à la plage. Les baigneurs sont habitués à ce qu’on les alerte sur les courants d’arrachement ou sur l’approche d’une tempête ; pourquoi ne pas aussi les prévenir de la présence de requins ?
« Une fois que nous aurons compris ce qui attire les requins », explique Jennie Hammond, responsable de l’émission, « nous pourrons prendre de l’avance et prédire leurs déplacements ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.