Le cap Cod aurait la plus forte densité de grands requins blancs au monde

“Ils peuvent incroyablement bien se camoufler. Les baigneurs peuvent se trouver juste à côté d’eux et ne pas les voir."

De Melanie Haiken
Publication 6 juil. 2023, 15:59 CEST
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Un grand requin blanc traque des phoques gris au large du cap Cod. Ces dernières années, les requins se sont multipliés dans la région et la présence de phoques gris, leur proie préférée, a favorisé une incroyable concentration de requins, nulle part égalée dans le monde.

PHOTOGRAPHIE DE Brian J. Skerry, Nat Geo Image Collection

Il n’y a pas si longtemps, les nageurs et les surfeurs barbotaient le long des plages du cap Cod, aux États-Unis, insouciants du fait qu’un grand requin blanc pouvait être à l’affut à quelques mètres d’eux.

Aujourd’hui cependant, cette réalité s’ancre dans les villes populaires du bord de mer puisque les requins blancs sont revenus dans cette zone qu’ils n’avaient pas fréquentée depuis plusieurs décennies. Alors que les communautés cherchent des solutions pour assurer la sécurité des plages, une question domine : combien y a-t-il de requins blancs ?

Ce nombre est difficile à estimer car ce n’est pas une mince affaire de recenser ces prédateurs discrets et à l’aire de répartition étendue. Mais les chercheurs de l’Atlantic White Shark Conservancy ont enfin une réponse, obtenue en associant suivi acoustique, identification photographique et modélisation statistique.

Résultat : quelque 800 requins (et peut-être jusqu’à 900) ont sillonné les eaux du cap Cod entre 2015 et 2018. À titre de comparaison, on estime à 300 le nombre de requins blancs sur la côte centrale de Californie, tandis que la population de l’île Dyer, en Afrique du Sud, connue sous le nom de Shark Alley, comprendrait entre 800 et 1 000 individus.

COMPRENDRE : Les requins

Le cap Cod possède « potentiellement la plus forte densité de requins au monde », affirme Megan Winton, une scientifique spécialiste de la pêche dont les données sont encore au stade de la prépublication.

« Nous savions qu’il y avait beaucoup plus de requins dans ces eaux, mais c’est la première fois que nous disposons d’une évaluation du nombre de requins blancs dans une partie de son aire de répartition en Atlantique Nord : c’est extraordinaire », explique Winton.

Les résultats sont frappants non seulement en raison du nombre de requins, mais aussi parce qu’ils se concentrent sur seulement 900 kilomètres de côtes protégées. 

Ces quatre années de suivi ont également révélé que les requins, pour la plupart des adultes de 2,5 à 3,5 mètres de long, passaient environ la moitié de leur temps dans 4,5 mètres de profondeur ou moins.

« Les gens savent peut-être qu’il y a des requins, mais pensent qu’ils sont loin au large », explique Winton.

« Nous avons vu des requins de 4,5 mètres de long dans seulement 1 à 1,5 mètre d’eau. Ils peuvent incroyablement bien se camoufler. Les baigneurs peuvent se trouver juste à côté d’eux et ne pas les voir ».

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    Au large du cap Cod, un grand requin blanc mord un leurre en forme de phoque que le photographe Brian Skerry avait équipé de son propre appareil photo. 

    PHOTOGRAPHIE DE Brian J. Skerry, Nat Geo Image Collection

     

    ÉVALUER LES RISQUES

    Les requins blancs reviennent au cap Cod pour une raison simple : leur proie favorite, le phoque gris, est de nouveau au menu. Chassée presque jusqu’à l’extinction, la population de phoques a commencé à se reconstituer avec l’adoption de la loi américaine sur la protection des mammifères marins (Marine Mammal Protection Act) en 1972.

    Aujourd’hui, la population de phoques dépasse les 50 000 individus. Il a fallu plus de temps aux requins blancs, considérés comme vulnérables par l’Union internationale pour la conservation de la nature, pour suivre le mouvement. Cependant, leur nombre n’a cessé de croître au large de la côte est des États-Unis depuis leur protection à l’échelle nationale en 1997 et leur protection par l’État du Massachusetts en 2005

    « Il n’existe aucun autre endroit où les requins blancs qui tentent de chasser le phoque se superposent à l’activité humaine », explique Greg Skomal, scientifique spécialisé dans la pêche et chercheur principal au Massachusetts Division of Marine Fisheries et coauteur de l’étude à paraître. 

    Le risque de se faire mordre par un requin est très faible, souligne Skomal. Les baigneurs risquent davantage de mourir noyés. Cela dit, cinq requins ont mordu des baigneurs au cap Cod depuis 2012, et une personne est morte en 2018, attaquée alors qu’elle faisait du bodyboard à Wellfleet.

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    Sur la côte peu profonde du cap Cod, les requins patrouillent dans les creux entre les bancs de sable jusqu’à ce qu’un phoque affamé s’aventure dans l’eau pour manger.

    PHOTOGRAPHIE DE Brian J. Skerry, Nat Geo Image Collection

     

    UNE MÉTHODE INNOVANTE

    Pour réduire la probabilité que requins et humains ne se croisent, les scientifiques doivent savoir où se rendent les requins et à quel moment.

    Pour le savoir, les scientifiques du cap Cod ont créé un catalogue, ou journal de bord, des requins identifiés à la fois par le marquage et la documentation photographique de leurs motifs de pigmentation et des profils de leur nageoire dorsale entre 2015 et 2018.

    L’équipe a ensuite mené une étude de trois ans pour comparer le nombre d’individus nouvellement enregistrés avec ceux précédemment recensés, reconstituant ces rencontres par le biais d’une modélisation statistique pour estimer la population. Contrairement aux études précédentes menées en Afrique du Sud, en Californie et ailleurs, le modèle de Winton prend en compte les mouvements des individus.  

    Les anciens modèles supposaient que « tous les individus agissent et exploitent ces zones de la même manière or cela peut avoir une incidence sur la qualité des estimations obtenues », explique Winton. « Nous avons créé un nouveau modèle qui prend en compte le fait que les requins puissent entrer et sortir de la zone, et qui tient compte des lieux le long de la côte où les individus aiment "traîner". »

    L’avènement des caméras sous-marines portables haute résolution, utilisées par l’équipe du cap Cod, a également permis d’identifier les requins plus facilement et avec plus de précision, explique Taylor Chapple, professeur assistant à l’université d’État de l’Oregon, qui n’a pas participé à l’étude.

    « Ce type d’étude est novateur pour des espèces comme le requin blanc car nous pouvons identifier une très grande partie de la population, ce qui tend à confirmer nos résultats », explique Taylor Chapple, qui a étudié les populations de requins blancs en Californie. Les requins blancs vivent généralement jusqu’à 70 ans.

    En outre, les chercheurs du Center for Coastal Studies, installé au cap Cod, utilisent des sonars pour cartographier les mouvements des requins. Cette méthode a révélé que les requins du cap Cod avaient une stratégie de chasse tout à fait unique dans la région. 

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    Le gouvernement fédéral a protégé les requins blancs en 1997, suivi par le Massachusetts en 2005. Depuis, leur nombre n'a cessé de croître le long de l'est des États-Unis.

    PHOTOGRAPHIE DE Brian J. Skerry, Nat Geo Image Collection

    Les requins blancs sont des chasseurs embusqués, qui traquent généralement leur proie en eaux profondes et s’élancent vers la surface pour prendre par surprise leur proie insouciante. 

    Mais le long de la côte du cap Cod, bordée de bancs de sable, les requins sont contraints de chasser en eaux peu profondes. Les scientifiques ont découvert comment ils s’y prenaient : ils patrouillent dans des dépressions entre les bancs de sable jusqu'à ce qu'un phoque affamé s'aventure dans l'eau pour manger.

    Comprendre ce comportement inhabituel aidera les experts à prévoir les mouvements des requins et à identifier les zones particulièrement dangereuses pour les nageurs.

     

    AMÉLIORER LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

    Les systèmes de détection des requins permettent également aux scientifiques et au public d'avoir une meilleure idée de l'activité des prédateurs, ce qui permet d'améliorer la sécurité publique.

    Depuis 2009, les chercheurs du cap Cod ont marqué 303 requins à l'aide d'émetteurs acoustiques. Cinq détecteurs acoustiques installés sur les plages du cap peuvent détecter des impulsions sonores lorsqu'un requin marqué passe à proximité, envoyant ces informations en temps réel aux sauveteurs, aux gestionnaires des plages, aux scientifiques et au public via l'application Sharktivity.

    En 2022, l'association de conservation a enregistré 193 475 détections de requins. Bien que ces données soient à nuancer, puisqu’un requin rôdant autour d'un moniteur peut le déclencher à plusieurs reprises, elles ont le mérite de donner une idée générale de la situation, précise Winton. 

    « Certains sauveteurs nous ont avoué que le système d'alerte avait réellement changé leur vision des requins », raconte Winton. « Ils pensaient avant qu'ils s’approchaient des côtes de temps en temps, mais qu'ils restaient le plus souvent au large. Maintenant, ils se rendent compte qu’ils sont là presque tout le temps en été et à l’automne ».

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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