Découverte : les krills s’enfuient quand ils voient des excréments de manchots
Ces crustacés translucides minuscules ne sont pas aussi impuissants face à la menace qu’on pourrait le croire au premier abord.

Une récente étude suggère que la présence de guano de manchot suscite chez les krills une perte d’appétit, entre autres comportements observés.
Le krill est en quelque sorte le popcorn de l’océan Austral : des baleines aux phoques en passant par les poissons et les manchots, tout le monde veut se repaître des minuscules crevettes qui le composent.
Toutefois, d’après une nouvelle étude, ces crustacés translucides de la taille d’un auriculaire ne sont pas aussi impuissants face à la menace qu’on pourrait le croire au premier abord.
En Antarctique, dans la station de recherche Palmer, des scientifiques ont soumis des krills capturés dans la nature à une batterie de tests pour voir s’ils étaient capables d’identifier la présence d’un prédateur – en l’occurrence des manchots Adélie – en injectant une soupe d’excréments de manchots dans l’aquarium de ces crustacés. Puisque chaque test ne portait que sur six à huit individus, les scientifiques ont pu mesurer leurs réactions.
« On pouvait voir immédiatement qu’ils adoptaient ces comportements d’évitement », se souvient Nicole Hellessey, scientifique spécialiste de la vie marine antarctique à l’Université de Tasmanie à Hobart, en Australie, et autrice principale de la nouvelle étude publiée dans la revue Frontiers in Marine Science. « Ils commençaient alors à zigzaguer dans tous les sens. »
Plus précisément, les krills nageaient plus vite et effectuaient jusqu’à trois fois plus de virages que d’ordinaire, et ce à des angles plus aigus.
Parfois, les krills s’arrêtaient tout simplement de nager et se laissaient porter par le courant jusqu’au bord de l’enceinte de leur bassin. Nicole Hellessey observe que si le courant éloigne les krills d’un prédateur, alors d’un point de vue énergétique, il est plus avantageux pour ceux-ci de patienter et de se laisser dériver.
Il est intéressant de noter que les krills semblaient également perdre l’appétit en présence de guano de manchot ; ils se nourrissaient 64 % moins efficacement qu’en conditions normales.

La nouvelle étude, qui établit un lien entre le guano des manchots et le comportement des krills, pourrait permettre aux chercheurs de mieux comprendre les habitats de ces derniers.
Jusqu’à 700 000 milliards de krills adultes peuplent les eaux entourant l’Antarctique. Ces découvertes pourraient donc avoir des répercussions majeures sur la façon dont les scientifiques envisagent la chaîne alimentaire de la région. D’après Nicole Hellessey, si le public a tendance à célébrer les grands animaux charismatiques de l’Antarctique, comme les manchots et les baleines, les krills forment le maillon essentiel qui relie tout cet écosystème.
ÉCHAPPER AUX MANCHOTS ADÉLIE
Comme les krills sont la proie de nombreux prédateurs, il est probable qu’ils doivent recourir à des manœuvres différentes selon les situations.
Si nous avons tendance à nous représenter les krills sous la forme de nuages rose géants, de bancs, ces animaux peuvent aussi nager seuls dans l’océan. Et ces deux situations comportent leurs propres risques.
Les baleines à bosse et les baleines bleues ciblent des amas géants de krills, car cela leur permet d’en avoir le plus possible pour leur argent, pour ainsi dire. Dans le même temps, le nombre offre une certaine sécurité.
« Il y aura toujours ces krills qui sont capables de simplement, [de justesse], s’enfuir », note Nicole Hellessey.
Mais la découverte que les krills peuvent détecter le guano de manchot dans l’eau apporte des réponses potentielles à un grand mystère. C’est peut-être la raison pour laquelle les crustacés se tiennent à bonne distance des grandes colonies terrestres de manchots, alors même que le ruissellement du guano de manchot dans la mer favorise la prolifération des algues, dont les krills raffolent.
Il semble que cette zone tampon que les krills évitent de franchir constitue une preuve supplémentaire que ces crustacés aux yeux tout ronds savent que les prédateurs sont proches et préfèrent s’en tenir éloignés.
« Cela va avoir un gros impact sur l’endroit où se trouve l’habitat [des krills] et sur la distance à laquelle ils peuvent s’approcher de la terre », explique Nicole Hellessey.
Comme l’observe Nicole Hellessey, le changement climatique pousse aussi les manchots à coloniser de nouvelles zones ou bien à rester dans certaines régions plus longtemps que d’ordinaire. Et cela pourrait avoir des conséquences négatives pour les krills. En effet, la nouvelle étude met en évidence une diminution de leur capacité à se nourrir en la présence de manchots.
CE QUE NOUS POUVONS APPRENDRE DU COMPORTEMENTS DES KRILLS
Kim Bernard, écologue des océans à l’Université d’État de l’Oregon et exploratrice National Geographic, trouve cette étude intéressante, mais elle n’est pas convaincue que la réaction des krills au guano de manchot suffise à entraîner les effets écologiques plus vastes suggérés par l’étude.
« Pour que cela ait un impact à grande échelle, il faudrait que le guano soit présent dans des concentrations constamment élevées sur la plupart de l’aire où évoluent les krills, ce qui semble improbable puisque le guano se concentre principalement près des colonies de manchots », explique Kim Bernard, qui n’a pas pris part aux recherches présentées ici. « Qui plus est, les krills ont affaire aux manchots depuis longtemps. »
Dans le même temps, affirme-t-elle, l’étude éclaire le lien entre les signaux des prédateurs et le comportement des krills.
« Vient à l’esprit la théorie écologique dite du "paysage de la peur", où les espèces ne font pas que réagir à la prédation directe mais modifie également leur comportement en réaction au risque de prédation, ce qui crée une sorte de structure écologique façonnée par la peur », explique Kim Bernard.
En ce qui la concerne, Nicole Hellessey souhaiterait approfondir ces résultats en testant la réaction des krills face aux excréments d’autres prédateurs, comme les phoques et les baleines. Elle souhaite également faire varier la concentration de la solution pour voir s’il existe un seuil minimum susceptible d’activer l’instinct de fuite de ces crustacés.
Il est clair qu’il reste un grand nombre de choses à apprendre sur ces créatures minuscules mais essentielles.
« Je pense qu’il y a beaucoup de choses dans l’océan qui ne bénéficient pas d’autant d’attention que les gros animaux mignons ou câlins, déplore Nicole Hellessey. Mais il est tout aussi important d’étudier [les krills], car sans eux, vous ne pourrez plus observer les manchots et les phoques. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
