Exclusif : Alex Honnold réalise l'ascension la plus dangereuse de l'histoire

Alex Honnold est désormais le premier escaladeur en solo intégral à gravir la formation rocheuse El Capitan, haute de 915 mètres, dans le parc national américain de Yosemite.

De Mark M. Synnott
Publication 9 nov. 2017, 02:01 CET
Images de la plus dangereuse escalade sans corde jamais réalisée

PARC NATIONAL DE YOSEMITE, CALIFORNIE — Samedi dernier, le célèbre grimpeur Alex Honnold est devenu le premier homme à escalader El Capitan, l'emblématique mur de granit de près d'un kilomètre, sans aucune corde ni équipement de sécurité, réalisant ainsi le plus grand exploit dans l'histoire de l'escalade libre.

Il est parvenu au sommet en 3 heures et 56 minutes et a presque parcouru la pente finale au pas de course. À 16h28 heure de Paris, sous un ciel bleu et quelques nuages, il a tiré son corps sur le rebord rocheux du sommet et s'est élevé sur la corniche de sable d'environ 9m².

Alex Honnold a entrepris son ascension historique sans corde (un type d'escalade connu sous le nom de « solo intégral ») aux premières lueurs de l'aube à 5h32 (heure locale). Il venait de passer la nuit dans sa camionnette customisée qui lui fait office de campement mobile, s'est réveillé dans la pénombre, vêtu de son tee-shirt rouge préféré et de son pantacourt en nylon et a mangé son petit-déjeuner habituel composé d'avoine, de lin, de graines de chia et de myrtilles avant de prendre la route vers la prairie d'El Capitan.

Le grimpeur Alex Honnold s'entraîne sur la voie Freerider pour la première ascension en solo intégral de l'histoire d'El Capitan, dans le parc national de Yosemite. Il a réalisé cet exploit samedi 3 juin. L'événement historique a été suivi pour la réalisation d'un long métrage par National Geographic et d'un reportage dans le magazine.
PHOTOGRAPHIE DE Jimmy Chin, National Geographic

Il a garé sa fourgonnette et parcouru le chemin parsemé de rochers menant au pied de la falaise. Il a enfilé une paire de chaussures d'escalade antidérapantes, attaché un petit sac de craie autour de sa taille afin que ses mains restent sèches, trouvé la première prise à laquelle s'accrocher puis a entrepris de se hisser vers l'histoire de l'escalade.

Depuis plus d'un an, Alex Honnold s'entraînait pour cette ascension à travers les États-Unis, la Chine, l'Europe et le Maroc. Un cercle restreint d'amis et de collègues grimpeurs qui étaient au courant du projet étaient tenus au secret.

Une équipe de réalisateurs, dirigée par Jimmy Chin (l'un des compagnons d'escalade de longue date d'Alex Honnold) et par Elizabeth Chai Vasarhelyi, a filmé l'ascension dans le cadre de la réalisation d'un documentaire par National Geographic. En novembre dernier, le grimpeur avait réalisé une première tentative en solo intégral avant de faire marche arrière après moins d'une heure d'ascension à cause de conditions météorologiques défavorables.

 

LE PREMIER PAS SUR LA LUNE DE L'HISTOIRE DU SOLO INTÉGRAL

Formé dans une salle d'escalade intérieure de Sacramento, Alex Honnold, âgé de 31 ans, a fait son apparition sur la scène internationale en 2008, suite à deux ascensions extrêmement dangereuses : la face nord-ouest de demi-dôme de Yosemite et le « Moonlight Buttress » du parc national de Zion dans l'Utah. Ces performances en solo intégral ont fasciné le monde de l'escalade et établi de nouveaux points de référence, tout comme Roger Bannister a redéfini le monde de la course de fond lorsqu'il a passé la barre mythique des 4 minutes par mile (1,60 kilomètres) en 1954.

« L'exploit qu'a réalisé Alex sur Moonlight Buttress a remis en cause tout ce pour quoi nous nous entraînions, tout ce que nous avions appris jusqu'ici et ce pour quoi nous pensions être génétiquement conçus », a déclaré Peter Mortimer, un grimpeur qui a réalisé de nombreux films avec Alex Honnold. « Il s'agit du lieu le moins adapté à l'être humain ».

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    Mais ces premières ascensions font pâle figure face à celle d'El Capitan. Les difficultés physiques et mentales que représente l'ascension en solo intégral jusqu'au sommet, considéré par beaucoup comme l'épicentre du monde de l'escalade de roches, sont inimaginables. El Capitan est une paroi rocheuse verticale qui s'élève à près d'un kilomètre, dépassant ainsi le Burj Khalifa de Dubaï, plus haut édifice au monde. Depuis la prairie située au pied d'El Capitan, les grimpeurs sur les hauteurs du sommet sont presque invisibles à l’œil nu.

    « Il s'agit du premier pas sur la Lune de l'histoire du solo intégral », a affirmé Tommy Caldwell qui est lui-même entré dans l'istoire en 2015 suite à son ascension du Dawn Wall, la côte la plus difficile d'El Capitan ; son partenaire Kevin Jorgeson et lui avaient eu recours à des cordes ainsi qu'à d'autres équipements uniquement par sécurité, et non pour les assister dans leur progression.

    Ce qu'ont fait Tommy Caldwell et Kevin Jorgeson s'appelle de l'escalade libre : les grimpeurs n'utilisent aucun matériel pour les aider à gravir la montagne mais sont attachés à des cordes qui les rattrapent s'ils viennent à tomber. En solo intégral, le grimpeur est seul et n'utilise aucune corde ni aucun autre équipement qui l'aide ou le protège lors de son ascension, ne lui laissant aucune marge d'erreur.

    D'autres grimpeurs spéculaient depuis des années sur une éventuelle ascension d'El Capitan en solo intégral, mais seules deux personnes ont déclaré publiquement qu'elles y songeaient sérieusement, dont Michael Reardon, un grimpeur en solo intégral qui s'est noyé en 2007 après avoir été emporté par les vagues sur un rebord situé en dessous d'une falaise marine en Irlande. Le second était Dean Potter, décédé dans un accident de saut extrême à Yosemite en 2015.

    John Bachar, plus grand escaladeur en solo intégral des années 1970 mort en 2009 à l'âge de 52 ans alors qu'il grimpait sans corde, ne l'avait jamais envisagé. Lorsqu'il était au sommet de sa gloire, El Capitan n'avait jamais été gravi en escalade libre. Peter Croft, qui a réalisé le solo intégral des années 1980 qui a fait date (l'Astroman de 305 mètres de Yosemite), n'a jamais réellement songé à gravir El Capitan. Il savait cependant que quelqu'un finirait par le faire.

    « C'était à l'évidence la prochaine étape », explique Peter Croft. « Mais je ne vois vraiment pas quelle peut être la suite. C'est le grand saut classique. »

    Photo d'Alex Honnold au sommet d'El Capitan, dans le parc national de Yosemite, en Californie.
    PHOTOGRAPHIE DE Jimmy Chin

    Fin 2014, les exploits d'Alex Honnold lui ont valu une renommée internationale. Il est apparu en couverture de National Geographic, New York Times Magazine, Outside et 60 Minutes. Plusieurs d'entreprises l'ont sponsorisé, il a co-écrit un mémoire à succès et fondé une ONG. Il avait toutefois la sensation de ne pas avoir laissé la marque qu'il espérait dans l'histoire de l'escalade.

    En janvier 2015, lorsque Tommy Caldwell et Kevin Jorgeson sont arrivés au sommet du Dawn Wall, un projet sur lequel ils ont planché et pour lequel ils se sont entraînés pendant des années, Alex Honnold est venu les rencontrer. Kevin Jorgeson a déclaré à un journaliste : « Je pense que chacun d'entre nous a son Dawn Wall secret qu'il souhaite accomplir un jour ».

    Alex Honnold s'est alors demandé : « Quel est mon Dawn Wall ? ». Il connaissait déjà la réponse. Depuis plusieurs années, il songeait à gravir El Capitan en solo intégral.

     

    CONTRÔLER SA PEUR

    La voie choisie par le grimpeur afin d'atteindre le sommet d'El Capitan, connue sous le nom de Freerider, est l'une des immenses côtes les plus prisées dans le parc national de Yosemite. L'itinéraire comporte 30 sections (ou pentes) et est si dangereux que l'arrivée au sommet d'un grimpeur avec des cordes de sécurité ne manquait pas de faire l'actualité, même au cours des dernières années.

    Il s'agit d'une odyssée en zigzag qui dessine plusieurs réseaux de fissures dignes de toiles d'araignées, certaines béantes, d'autres à peine plus larges qu'une phalange. Lors de son parcours, Alex Honnold fit entrer son corps dans des cheminées étroites, a franchi sur la pointe des pieds des corniches de la largeur d'une boîte d'allumettes et, à certains endroits, était suspendu du bout des doigts dans le vide.

    Le Freerider met à l'épreuve presque tous les aspects des capacités physiques d'un grimpeur : la force des doigts, des avant-bras, des orteils et de l'abdomen, ainsi que la souplesse et l'endurance. Les conditions météorologiques, telles que le soleil, le vent ou l'apparition potentielle de pluies torrentielles sont également des facteurs dont Alex Honnold devait méticuleusement tenir compte.

    Mais la véritable épreuve pour le grimpeur était d'être capable de garder son calme, seul sur un front de falaise, à des centaines voire des milliers de mètres au-dessus du sol tout en exécutant des postures d'escalades complexes, alors même que l'espace séparant la vie et la mort reposait sur la position d'un pied posé légèrement trop bas ou trop haut. Des escaladeurs de renom ont loué la capacité unique d'Alex Honnold à garder son calme et à analyser la situation même dans les conditions les plus dangereuses, une aptitude qu'a progressivement développé le grimpeur au cours des 20 années passées à escalader.

    S'il existe d'autres grimpeurs qui, d'un point de vue physique, jouent dans la même catégorie qu'Alex Honnold, aucun d'entre eux n'a cette capacité mentale de contrôle sur la peur. Sa tolérance envers les situations terrifiantes est telle que des neuroscientifiques ont étudié les zones de son cerveau liées à la peur, à la recherche d'éventuelles différences avec celui du commun des mortels.

    L'escaladeur l'exprime en des termes plus pragmatiques : « lors de performances en solo intégral, j'ai évidemment bien conscience que je suis en danger, mais la peur ne m'est d'aucune aide lorsque je suis là-haut. Elle ne fait qu'entraver ma performance, alors je la laisse simplement de côté. »

    Sur la voie Freerider, deux longueurs de roches raides et ondoyantes situées à environ 200 mètres de haut ont représenté l'un des défis physiques et mentaux les plus redoutables pour Alex Honnold. Polies par les glaciers au fil des millénaires, le granit n'y offre aucune prise, ne laissant d'autre choix au grimpeur que de monter uniquement à l'aide de ses pieds. L'alpiniste a eu recours à une technique subtile appelée le « frottement » qui consiste à presser ses chaussures en caoutchouc contre la roche afin de créer une adhérence suffisante pour supporter son poids lorsqu'il est incliné. Il devait équilibrer parfaitement son poids et se pencher suffisamment vers l'avant pour ne pas glisser. « C'est comme marcher sur du verre », a-t-il déclaré.

    Au cours du week-end du jour du Souvenir, Alex Honnold s'est entraîné sur Freerider avec Tommy Caldwell. Les deux compagnons ont atteint le sommet en un peu plus de cinq heures et demi, battant ainsi leur propre record de vitesse. « Alex était survolté », a déclaré Tommy Caldwell. « Je ne l'ai jamais vu escalader aussi bien. »

    Quelques jours avant son ascension, Alex Honnold a marché jusqu'au sommet d'El Capitan et a descendu Freerider en rappel afin de s'assurer qu'une pluie récente n'avait pas effacé les marques qu'il avait faites à la craie. Tout était sec et en parfait état. Il ne lui restait plus qu'à se reposer et à se préparer mentalement pour l'ascension de sa vie.

    « Il y a plusieurs années, quand j'imaginais ce que pouvait représenter Freerider en solo intégral, il y avait environ six longueurs où je me disais "Ce pas et cet enchaînement sont vraiment dangereux. Et ce petit bloc. Et cette traversée." », a expliqué Alex Honnold. « Il y avait tant de sections minuscules où je me suis dit : "Oula !" en ayant un mouvement de recul. Mais au fil des années, j'ai repoussé les limites de ma zone de confort et l'ai rendue de plus en plus grande, jusqu'à ce que ces objectifs qui me semblaient totalement fous finissent par me paraître réalisables. »

    Samedi dernier, la possibilité est finalement devenue réalité. Après s'être fié à ses compétences et son endurance sur des centaines de prises, aussi bien avec les mains qu'avec les pieds, et dompté sa peur pendant un peu moins de quatre heures, Alex Honnold a hissé son corps sur les derniers rebords. Jimmy Chin et son assistant Cheyne Lempe avaient fait descendre en rappel leurs caméras depuis le sommet, afin de suivre le grimpeur alors qu'il escaladait la moitié supérieure de la paroi, allant jusqu'à utiliser des jumars (une sorte de manivelle mécanique) pour se hisser. Le suivre n'a pas été une mince affaire.

    Jimmy Chin, haletant et trempé de sueur, s'est précipité pour pouvoir filmer Alex Honnold sur le sommet du monde.

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