Écosse : cette forêt légendaire a-t-elle réellement existé ?
La grande forêt calédonienne d’Écosse était composée de nombreux pins sylvestres avant de connaître une déforestation massive. Sa superficie originale, perdue entre mythe et histoire, reste cependant difficile à déterminer avec certitude.
Vue de la forêt de Rothiemurchus dans le parc national écossais des Cairngorms, l'un des plus grands fragments de forêt de pins indigènes encore présents dans le pays.
En partant de Kinlochewe, dans les Highlands du nord-ouest de l’Écosse, dirigez-vous vers le nord et vous verrez bientôt apparaître les eaux lisses bordées de montagnes du Loch Maree. Près de soixante-cinq îles inhabitées parsèment ce loch, qui est le quatrième plus grand d’un pays qui en compte des dizaines de milliers.
Sur les îles du Loch Maree, des pins sylvestres aux troncs élancés, devenus en 2014 l’arbre national écossais, se reflètent dans les eaux calmes du loch : une vision qui reflète tout le romantisme de l’Écosse. Et si ces saisissants arbres à l’écorce rouge sont encore omniprésents dans le pays, ils ne représentent plus qu’un petit fragment de ce qu’ils étaient autrefois.
Selon la légende, une ancienne forêt sauvage, principalement composée de pins sylvestres, couvrait une grande partie du territoire écossais, faisant fuir les envahisseurs et abritant les prédateurs (lynx, loups, ours) aujourd’hui disparus. Ceux qui connaissent l’histoire de ce bois l’appellent par le nom que les Romains donnaient à l’Écosse : the Great Wood of Caledon, le Grand Bois de Caledon. Et bien que son histoire soit obscure et imprégnée de légendes, selon les experts, le bois n’était peut-être pas si redoutable, ni si étendu.
Un peuplement de pins sylvestres se reflète dans les eaux du Loch Maree. Sur les îles voisines se trouvent certains des sites forestiers les plus anciens et les plus intacts d'Écosse. Mais faisaient-ils autrefois partie d'un ensemble beaucoup plus vaste ?
« UNE ESPÈCE ASSEZ SPECTACULAIRE »
Bien qu’intrinsèquement lié à l’histoire du grand bois « disparu », le pin sylvestre (Pinus sylvestris) est une espèce remarquablement adaptable et opportuniste. Et elle est présente dans de nombreuses autres régions du monde.
« D’un point de vue écologique, c’est une espèce assez spectaculaire », estime Tom Ovenden, écologiste forestier et doctorant à l’université de Stirling. « Sa distribution est incroyablement étendue ».
Il indique une carte qui dépeint une zone verte, dénotant la distribution du pin sylvestre, sur une grande partie de l’hémisphère nord : d’une partie de l’Écosse à toute la Scandinavie, l’Europe de l’Est et la Russie centrale, en passant par la côte nord du Pacifique aux États-Unis. « C’est l’un des conifères les plus largement distribués au monde. L’enveloppe écologique et environnementale qui est englobée dans cette aire de répartition est énorme. »
Un vieux pin sylvestre révèle une structure de branches resplendissante dans un bois mixte indigène à Glen Strathfarrar, dans les Highlands. Si le pin sylvestre est souvent associé aux contes de Caledon, de nombreuses espèces indigènes composaient la couverture d'arbres autrefois beaucoup plus étendue des Highlands.
Selon Ovenden, l’arbre est une espèce à succession précoce, « comme le bouleau, l’un des [arbres] qui sont les premiers à apparaître dans les zones fraîchement défrichées », en raison de ses graines légères qui se dispersent facilement. « Ils sont adaptés pour grandir rapidement dans des conditions de lumière relativement élevées, et se débrouillent bien dans les sols à drainage libre, plutôt sablonneux. »
Il est également résistant, et pourrait être capable de mieux gérer le réchauffement du climat que d’autres arbres. « Le pin sylvestre est considéré comme une espèce relativement résistante à la sécheresse », explique Ovenden. « L’écorce des arbres plus anciens est épaisse et résistante au feu, de sorte que si des incendies courts, chauds et intenses balayaient le sous-étage, l’écorce isolerait la partie vivante de l’arbre. »
Aussi dispersé que soit le pin sylvestre, aujourd’hui, le principal arbre à bois d’œuvre d’Écosse est l’épicéa de Sitka. Originaire du climat humide de la côte nord-ouest des États-Unis, cet arbre exceptionnellement bien adapté a été introduit en masse pour constituer une réserve nationale de bois après la Seconde Guerre mondiale, et prospère désormais en Écosse, ses régiments denses contrastant fortement avec son ami indigène plus flamboyant.
Un fragment de racine de pin sylvestre émerge de la tourbe dans les Highlands du nord de l'Écosse. Bien que le pin préfère les sols à drainage rapide, sa ténacité lui permet de pousser là où d'autres arbres ne le pourraient pas, et des vestiges d'anciennes forêts apparaissent souvent, préservés dans la tourbe. Ces vestiges peuvent aider les archéologues environnementaux à déterminer où se trouvaient les forêts autrefois.
La canopée de pins sylvestres dans la forêt d'Abernethy, à Perth and Kinross. Abernethy est le plus grand fragment de forêt de pins anciens d'Écosse.
UN ARBRE QUI LAISSE SA TRACE
Bien qu’il s’agisse d’une espèce ancienne, le pin sylvestre n’est pas si vieux que l’on pourrait le croire. On trouve des chênes millénaires en Angleterre ; de nombreux séquoias de la forêt géante de Californie datent d’avant l’ère du Christ. Un if se dresse encore dans le village écossais de Fortingall, et pourrait être un lien vivant avec l’âge du bronze. L’arbre le plus ancien de tous est peut-être un pin : un pin Bristlecone de Californie qui, avec ses 4 800 ans, poussait à la même époque de la construction de Stonehenge. Les pins sylvestres n’ont pas une telle longévité, ayant une durée de vie typique d’environ 250 ans, mais qui peut aller jusqu’à environ 500 ans. Ce qui perdure, en revanche, c’est l’environnement cultivé par sa présence.
« Parce que le pin sylvestre est là depuis longtemps, beaucoup d’autres espèces existent dans l’habitat qu’il crée », explique Ovenden. « Les fourmis des bois Formica, entre autres. »
La superficie exacte que couvrait l’ancienne forêt en Écosse n’est presque que spéculations, mais lorsqu’il arrive de trouver des indices, ces derniers peuvent être spectaculaires. « Les meilleures indices trouvés sont les restes de troncs d’arbres ou de racines conservés dans la tourbe », explique Richard Tipping, ancien professeur de l’université de Stirling dont les travaux de recherche ont porté sur l’archéologie environnementale de l’Écosse et les changements de végétation au fil du temps. « Les pins poussaient parfois sur des surfaces de tourbe sèche, où ils avaient un avantage concurrentiel sur les autres espèces d’arbres. Comme la tourbe en croissance réduit l’oxygène et donc la décomposition, les "os" blanchis sont des preuves tangibles de l’endroit où les arbres se tenaient autrefois. »
Peu de parcelles vivantes de la forêt ancienne demeurent. Ces vestiges, trente-huit fragments substantiels, quatre-vingt-quatre si l’on compte les peuplements individuels, sont généralement classés comme des forêts de pins calédoniennes. Ce terme n’est cependant pas tout à fait exact, car si certaines zones des anciennes forêts sont dominées par le pin, d’autres sont dominées par le bouleau ancien et, le long de la côte atlantique, par le chêne.
Mais si l’idée d’une forêt sauvage ancienne et contiguë est une légende qu’il est tentant de croire, la véritable histoire de la grande forêt écossaise pourrait être bien moins captivante.
Le tétras, membre de la famille des tétraonidés, a été réintroduit en Écosse en 1837 et s'est immédiatement installé dans les forêts de pins indigènes. Sur cette photographie, trois grands tétras occidentaux (Tetrao urogallus), femelles et mâle, pendant la saison des amours au printemps dans une forêt de conifères.
L'habitat du chat sauvage écossais était similaire à celui des forêts de pins isolées. Peu à peu, son aire de répartition s'est détériorée, et le mélange avec les chats domestiques en a fait une espèce génétiquement compromise, sauf dans quelques endroits. Après l'extinction locale du lynx, il est le seul félidé sauvage de Grande-Bretagne.
UNE HISTOIRE OU UN MYTHE ?
« Je ne pense pas du tout que le Grand Bois de Caledon soit une œuvre de la nature. Je pense qu’il a été construit par les Romains. Ou du moins, sa réputation l’a été ». C’est ce qu’affirme Jim Crumley, un écrivain écossais spécialiste de l’histoire naturelle et dont le livre The Great Wood a approfondi la légende de Caledon.
Selon Crumley, les Romains ont exagéré la grandeur du bois pour expliquer à leurs supérieurs pourquoi, après avoir atteint la frontière septentrionale de leur empire dans le sud de l’Écosse actuelle, ils ne sont pas parvenus à aller plus loin dans un territoire aux terrains cahoteux, au climat furtif et aux tribus sauvages qui défiaient toute répression. Ce qu’il fallait à ces conquistadors nerveux, c’était une excuse que même les généraux de leur pays pourraient accepter.
« Ce témoignage a été rapporté à Rome par des soldats qui avaient trouvé, dans les Highlands écossaises, un royaume au-delà de leur zone de confort… mais qui préféraient ne pas l’admettre », écrit Crumley dans un e-mail adressé à National Geographic (UK). En réalité, ces murmures « dissimulaient leur retraite sous des histoires de forêt impénétrable. Tacite l’a écrit, et Ptolémée a inscrit les mots "Caledonia Silva" [forêt écossaise] sur une carte ».
Mais malgré toutes ces rumeurs de forêt impénétrable, il est probable que, au moment où les Romains l’ont vue, elle n’était déjà plus que l’ombre de ce qu’elle était auparavant.
Les forêts de pins s’étaient progressivement établies dans les paysages dénudés de l’Écosse après le dernier retrait glaciaire, il y a environ 13 000 ans, une époque où la mousse était presque le seule à recouvrir cet environnement semblable à de la toundra. La couverture d’arbres était probablement à son apogée il y a environ 6 000 ans, et déjà considérablement réduite par différents facteurs lorsque les Romains l’ont découverte, près de 3 000 ans plus tard.
Selon l’écrivain, l’emplacement de la forêt sur les cartes romaines a été reproduit à partir du 16e siècle. Mais il existe d’autres raisons de douter de la perception de la forêt comme un fourré infranchissable : il est possible qu’elle n’ait été étendue que pour survivre.
« L’idée ancienne d’une forêt sauvage sombre, humide, dense et interdite s’est estompée, principalement parce que de nombreux arbres ne montent pas en graine dans leur propre ombre », explique Richard Tipping. « Pour la régénération, il faut des espaces ouverts. »
Des pins sylvestres regroupés sur les bords du Loch Maree en Écosse, avec la montagne de Slioch en arrière-plan.
UNE DÉFORESTATION PROGRESSIVE
Quoi qu’il en soit, la forêt est beaucoup moins grande qu’elle ne l’était autrefois : environ 18 000 hectares d’habitat de pins seulement, contre 150 000 hectares estimés à son apogée. En conséquence, il y a moins de couverture pour les prédateurs, moins de biodiversité et moins d’ordre naturel que ce dont la nature a besoin. « L’être humain… est à l’origine de la majeure partie de ce déclin. Les communautés agricoles ont besoin de terrains ouverts », explique Tipping.
Cette déforestation progressive de la forêt a probablement commencé à l’âge du bronze, il y a environ 4 000 ans, avec l’abattage des arbres pour ouvrir le paysage, d’abord pour la chasse, puis pour le pâturage. Cette réduction s’est poursuivie à l’âge du fer, puis au Moyen Âge, alors que la demande de bois était en constante augmentation pour les navires et les bâtiments, les terres ouvertes pour les établissements humains et le combustible pour les forges.
Au fil des siècles, la chasse a fait disparaître les derniers grands prédateurs de la forêt. Puis, à partir de la fin du 18e siècle, l’expulsion forcée des habitants des Highlands, appelée « Highland Clearances », a vu d’immenses étendues de terres utilisées pour l’élevage de moutons. Cela a détruit toute chance de régénération des semis et a rapidement fait disparaître les jeunes arbres, ne laissant que les arbres plus âgés.
L’exploitation des pins a alimenté la révolution industrielle, lorsque le bois d’œuvre permettait la construction navale à Glasgow et Édimbourg. Les arbres ont tapissé les tranchées des Alliés pendant la Première Guerre mondiale. La Seconde Guerre mondiale a galvanisé le désir de la Grande-Bretagne de disposer d’une source autosuffisante de bois, et c’est ainsi que l’épicéa de Sitka a fait son arrivée depuis l’Amérique du Nord. Sa croissance rapide a conduit à un défrichement généralisé pour la création de plantations, qui a atteint son apogée dans les années 1960 et 1970, détruisant la forêt ancienne et mettant en danger de nombreuses espèces indigènes, dont l’écureuil roux, le grand tétras et la martre des pins, qui prennent désormais part à des programmes de conservation.
D’autres, tels le chat sauvage écossais, ne tiennent plus qu’à un fil. Le sanglier et le castor, l’ours brun, le lynx boréal et le loup, ont été rayés de la carte des espèces indigènes il y a bien longtemps. Et des plantes telles que la lumineuse et délicate linnée boréale (Linnea borealis), une relique de l’ère glaciaire, n’existent plus que dans une poignée de fragments de pin.
La plupart des anciens vestiges de la forêt de pins occupent aujourd’hui des sites élevés, éloignés ou inaccessibles. Des projets de conservation ont vu le jour dans les années 1990 pour contribuer à la restauration et à l’extension des bois. Le contrôle de la répartition des cerfs et une approche moins invasive de la croissance du bois (l’épicéa de Sitka et le pin sylvestre sont toujours plantés comme arbres à bois) jouent également un rôle dans cette entreprise. Mais l’espoir de recréer un paysage d’une autre époque serait vain, et ce même si quelqu’un savait à quoi ce paysage ressemblait.
Quant au Grand Bois de Caledon, s’il suscite l’émerveillement et l’appréciation, le fait que sa nature spécifique relève du mythe importe-t-il réellement ? « Ça me dérange car ce que nous savons de la vérité de la nature est infiniment plus fascinant », déclare Jim Crumley. « Mais ce que je sais, c’est qu’une meilleure compréhension de cette vérité nous aidera à entreprendre la seule tâche qui importe dans le paysage [du Grand Bois] : le guérir. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.