Les feux de forêts intensifient les tempêtes destructrices à des centaines de kilomètres de distance
Des scientifiques ont observé que l'impact des feux de forêts qui frappent de plus en plus l'ouest des États-Unis intensifient des phénomènes météorologiques extrêmes tels que les tempêtes de pluie et de grêle, et ce à plus de 2 500 km de distance.
Un incendie de forêt à Calistoga, en Californie, crée une lueur orange dans le ciel. Selon une nouvelle étude, la chaleur, les cendres et d'autres particules provenant d'incendies comme celui-ci peuvent modifier les conditions météorologiques à proximité et à très grande distance.
Avec la chaleur et la sécheresse sans précédent que nous connaissons depuis quelques années dans le monde, les feux de forêt sont de plus en plus grands, puissants et graves.
Selon une nouvelle étude, les impacts de ces incendies ne se limiteraient toutefois pas uniquement aux régions qu’ils touchent directement. La chaleur, les cendres, les gaz et toutes les autres particules projetées dans l’air peuvent influer sur les conditions météorologiques à plus grande échelle, et rendre jusqu’à 38 % plus intenses les tempêtes de pluie et de grêle qui ont lieu des centaines de kilomètres plus loin.
Cette illustration de la façon dont les différentes régions touchées par le changement climatique sont reliées entre elles est frappante, commente Jiwen Fan, scientifique au Pacific Northwest National Laboratory et l’un des auteurs principaux de l’étude, publiée ce lundi 17 octobre dans Proceedings of the National Academy of Sciences. « La quantité de dégâts supplémentaires qui peuvent être causés par cette augmentation est impressionnante. »
UN IMPACT SIGNIFICATIF
Avec l’intensification des feux de forêt observée ces dernières années, des scientifiques ont commencé à cataloguer l’influence que pouvaient avoir ces événements massifs sur la météo. Cependant, jusqu’à présent, tous s’étaient penchés sur des échelles soit immenses, soit relativement petites.
Les panaches de fumée qui se propagent dans la haute atmosphère peuvent affecter les températures sur tout l’hémisphère, voire la planète entière. Les feux de forêt qui ont ravagé l'Australie en 2019 et 2020 ont par exemple relâché une telle quantité de fumée jusque dans la stratosphère qu’ils ont agi comme une éruption volcanique, bloquant la lumière solaire entrante, finissant ainsi par refroidir l’hémisphère sud, et ce sur plusieurs années.
D’autres scientifiques ont étudié la manière dont les conflagrations produisent des phénomènes météorologiques spectaculaires à proximité. Des équipes ont conduit des camions chargés d’instruments jusqu’aux tornades de feu, qui se forment à partir de brasiers intenses, dans le but de comprendre les raisons de leur formation. De même, elles ont fait voler des avions à travers des nuages d’orage, appelés pyrocumulonimbus, qui se dressent au-dessus de l’incendie et projettent souvent des braises ardentes accompagnées d’éclairs.
Pendant la saison des incendies dévastateurs de 2018 en Californie, qui était alors la pire saison jamais enregistrée, Jiwen Fan a toutefois commencé à se poser des questions. Était-il possible que les incendies, de plus en plus fréquents et intenses dans l’ouest des États-Unis, affectent la météo non seulement dans les alentours proches, mais également jusqu’à près de 2 500 kilomètres de distance, dans le sens du vent ?
De manière générale, aux États-Unis, les phénomènes météorologiques majeurs ont tendance à se déplacer d’ouest en est, en fonction des vents dominants. Fan a remarqué que, quelques jours seulement après le déclenchement de l’incendie Carr en Californie à la mi-juillet, ce qui était étonnamment tôt par rapport à la saison des incendies prévue, une énorme tempête de plusieurs jours avait frappé des États comme le Wyoming et le Colorado, avec des pluies diluviennes, des grêlons de la taille de balles de baseball et des rafales de 145 kilomètres par heure. La tempête a causé plus de 100 millions d’euros de dégâts. Était-il possible que ces deux phénomènes soient liés entre eux ?
Son équipe disposait des bons outils pour étudier la question. Tout d’abord, celle-ci a parcouru dix années de données de météo et d’incendies pour trouver des exemples d’autres grandes conflagrations survenues juste avant des tempêtes majeures, et a découvert que le phénomène était en réalité assez rare. Cela s’explique par le fait que, dans le centre des États-Unis, la saison des tempêtes a principalement lieu au début de l’été ; par le passé, cette saison touchait à sa fin au moment où la saison des feux de forêt commençait en août et en septembre. Désormais, les feux de forêt se déclenchent cependant de plus en plus tôt, poussés par la sécheresse et la chaleur causées par le changement climatique. Depuis 2010, l’équipe a identifié plusieurs grandes tempêtes dans le centre qui coïncidaient avec des incendies majeurs dans l’Ouest.
Les scientifiques se sont concentrés sur une tempête de 2018. À l’aide d’un modèle météorologique qui ajoutait les effets de la chaleur et de la fumée émise par les incendies, ils ont créé plusieurs simulations d’événements orageux durant plusieurs jours. Une première reproduisait la situation réelle, avec des feux massifs qui ravageaient l’Ouest ; une deuxième faisait comme si ces feux n’avaient pas eu lieu ; et une autre série d’expériences incluaient et excluaient les effets de certains feux locaux plus petits qui avaient eu lieu à ce moment-là.
Les différences étaient spectaculaires. L’impact combiné des incendies lointains de l’Ouest et des incendies locaux a entraîné une augmentation de 38 % des pluies plus abondantes : il est tombé plus de 2 centimètres de pluie en une heure. Les chutes de grêle, avec des grêlons de plus de 5 centimètres, ont été 34 % plus fréquentes dans les cas où la tempête suivait un incendie. Les feux lointains, quant à eux, ont eu un effet encore plus important.
« L’impact est significatif. C’était un peu surprenant », affirme Fan.
COMMENT LES INCENDIES AFFECTENT-ILS LES TEMPÊTES ?
En analysant les résultats du modèle, ils ont également pu identifier deux raisons principales expliquant pourquoi les incendies avaient un effet aussi spectaculaire.
Ils ont ainsi constaté l’existence d’une zone de très haute pression autour des feux de forêt de l’Ouest, probablement influencée par les énormes rejets de chaleur, de gaz et de particules provenant des incendies. L’air circule de la haute vers la basse pression ; la pression particulièrement élevée à l’ouest amplifiait les vents qui se dirigeaient vers la zone de tempête à l’est. Et alors que l’air à proximité immédiate des incendies était extrêmement sec, il était normal ou un peu plus humide en aval. Les vents très forts ont transporté ce riche filon d’humidité directement vers les zones de tempête.
L’air très humide et les vents forts sont deux ingrédients clés qui alimentent les orages violents. Lorsque l’air humide s’élève, l’eau passe de l’état de gaz à celui de gouttelette, un processus qui libère de la chaleur supplémentaire dans l’air environnant. Comme de l’air chaud s’élève, toute chaleur supplémentaire le fait monter encore plus vite et de manière plus explosive, entraînant encore plus de chaleur et de pluie. En outre, les vents forts peuvent souvent accroître les forces de torsion dans l’atmosphère, intensifiant ainsi les tempêtes.
Le feu avait également un deuxième effet. L’épaisse couche de cendres et d’autres particules flottait dans le sens du vent, jusqu’à la zone de tempête. L’eau se condense plus facilement dans l’air lorsqu’elle a quelque chose à quoi s’accrocher : ici, les particules supplémentaires. Et si ces dernières sont aspirées par un fort courant ascendant, se dirigeant vers l’air de plus en plus froid en altitude, elles ont plus de chances de former de la grêle. Des recherches antérieures ont par ailleurs démontré que les particules de fumée provoquaient souvent des grêlons plus gros dans le centre des États-Unis.
« La fumée n’est pas à l’origine de l’événement, mais elle l’intensifie », explique Pablo Saide, spécialiste de l’atmosphère à la UCLA, et qui n’était pas impliqué dans les recherches. Selon lui, c’est un bon exemple de l’influence que le changement climatique a sur la météo, non pas en ajoutant de nouveaux événements, mais en modifiant le caractère de ceux qui existent déjà, ce qui, en général, revient à les aggraver.
Les recherches soulignent également que le changement climatique relie des communautés qui sont éloignées les unes des autres. Ainsi, des événements tels que les feux de forêt dans l’ouest du pays « touchent désormais une population beaucoup plus importante ».
COMPRENDRE LES CAUSES ET LES CONSÉQUENCES
Avec le changement climatique, les feux de forêt devraient continuer à s’intensifier. L’agence californienne de lutte contre les incendies a déjà prévenu qu’il n’y avait plus de « saison » des feux de forêt : les incendies sont désormais possibles tout au long de l’année, et de manière plus fréquente. Les saisons des orages s’allongent également. Les possibilités de chevauchement entre ces dernières étant ainsi plus nombreuses, la possibilité de tempêtes renforcées par les incendies ne peut qu’augmenter.
Pour comprendre le fonctionnement exact de ces processus, ainsi que l’importance des effets que ces derniers pourraient avoir, les recherches devront continuer. Mike Fromm, météorologue au Naval Research Laboratory, souhaite une exploration beaucoup plus détaillée de ce phénomène à l’échelle continentale, mais aussi du processus qui engendre la pluie et la grêle. « Nous avons encore beaucoup de questions sur le déroulement de cette danse qui a lieu entre la pollution environnementale et l’orage lorsqu’il éclate », prévient-il.
Néanmoins, il est de plus en plus clair que les incendies ont de nombreuses conséquences qui ne se limitent pas à leurs effets « directs ». Rebecca Buchholz, spécialiste de l’atmosphère au Centre national de recherche atmosphérique, étudie les effets de la fumée des feux de forêt qui se propage loin des foyers d’incendie sur la santé. Selon elle, cette étude souligne que les incendies de l’Ouest ont « un énorme impact supplémentaire à travers le continent dans le sens du vent, et pas uniquement au niveau régional dans l’ouest des États-Unis. Leur impact est bien plus vaste ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.