Arctique : la banquise s'affine de jour en jour, menaçant la survie de la faune

D’après une étude qui vient de paraître, les changements structurels de l’Arctique ont été abrupts et impactent durement la vie des ours polaires comme des algues les plus minuscules.

De Cheryl Katz
Publication 17 mars 2023, 16:14 CET
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Un chasseur inuit se tient sur un morceau de banquise et jauge le paysage marin de Qaanaaq, au Groenland. Les changements que traversent les paysages de l’Arctique affectent non seulement les espèces marines qui y vivent mais aussi les humains dont l’alimentation et la survie dépendent de la banquise.

PHOTOGRAPHIE DE Paul Nicklen, Nat Geo Image Collection

En avril 1895, lorsque le célèbre explorateur norvégien Fridjtof Nansen entreprit de traverser l’océan Arctique en traîneau pour atteindre le pôle Nord, d’interminables rangées de crêtes de pression hachèrent sa course. « À perte de vue, je n’aperçois qu’un chaos de glace tourmentée », écrivit-il dans son compte rendu d’expédition intitulé Vers le pôle. Le tractage d’un traîneau pour passer par-dessus aurait « suffi à épuiser des géants ».

Selon une étude parue dans la revue Nature mercredi, ce paysage de glace noueux qui contraria Fridjtof Nansen appartient désormais en grande partie au passé. La banquise de l’Arctique a subi un bouleversement structurel abrupt, irréversible et lourd de conséquences ; l’épaisse couche de glace et les crêtes ont laissé la place au décharnement et à un relief uniforme. Ce bouleversement s’est produit vers 2007, année où le recul de la banquise, qui n’avait jamais été si prononcé en été, a déclenché une boucle de rétroaction provoquant augmentation de la température de l’océan et chute drastique de la quantité de glace.

Lorsque des fragments de banquise (floes) entrent en collision, la glace plus fine a tendance à se briser à cause de la pression plutôt qu’à former des crêtes ; celles-ci, qui font penser à un accordéon, se forment lorsque la glace s’épaissit. La glace mince et plate se déplace également plus rapidement dans l’océan, ce qui laisse à ces fragments moins de temps pour s’étoffer et nuit aux animaux dont la survie en dépend.

« La banquise est à l’écosystème arctique ce que la terre est à la forêt », fait observer Flavio Lehner, climatologue de l’Université Cornell et de l’association Polar Bears International. « Des changements rapides comme ceux-ci vont affecter l’ensemble de la faune et de la flore qui dépendent de la glace, qu’il s’agisse des algues minuscules vivant sous la glace ou des superprédateurs comme les ours polaires. »

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De la glace épaisse au pôle Nord.

PHOTOGRAPHIE DE Borge Ousland, Nat Geo Image Collection

Les crêtes de pression (ou rides de pression) étoffent la banquise arctique et la rendent plus robuste. Vues d’en haut, elles ressemblent « à des briques de Lego assemblées en une pile allongée », illustre Mats Granskog, membre de l’équipe de recherche qui surveille depuis 1990 la banquise du détroit de Fram, principale ouverture de la région sur l’océan Atlantique. Cette glace épaisse et ridée a diminué de moitié depuis 2007, selon Hiroshi Sumata, auteur principal de l’étude, et ses collègues de l’Institut polaire norvégien.

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    Une mince couche de glace.

    PHOTOGRAPHIE DE Michael Melford, Nat Geo Image Collection

    Désormais, la banquise arctique ressemble plus à un parking enneigé qu’aux blocs de glace chaotiques observés par Fridjtof Nansen. Deux années de fonte extrême de la banquise (2005 et 2007) ont exposé la surface sombre de l’océan à davantage de chaleur solaire, aggravant d’autant, par un cercle vicieux, la fonte des glaces et l’augmentation de la chaleur, souligne Laura de Steur, océanographe et co-autrice de l’étude. Selon Julienne Stroeve, spécialiste de la télédétection et de la banquise du Centre national américain de la neige et de la glace (NSIDC) et de l’Université du Manitoba, les conclusions de la nouvelle étude sont cohérentes avec les observations satellites et avec d’autres études.

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    Des crêtes de glace sur la banquise.

    PHOTOGRAPHIE DE Rudi Caeyers, UiT The Arctic University of Norway, Norwegian Polar Institute

    Les crêtes se forment lorsque des fragments de glace s’entrechoquent ou se chevauchent. La pression en « défigure » certaines sections en exerçant une contrainte qui fait s’amonceler les blocs de glace en d’imposantes piles. D’après Hiroshi Sumata, ce processus est la façon la plus rapide pour la glace de s’épaissir. Toutefois, lorsqu’elle est trop fine, la glace ne peut former de crêtes aussi imposantes et elle est plus fragile et susceptible de se désintégrer lorsque les floes entrent en collision.

    À l’instar des icebergs, les floes sont immergés à 90 %. Les crêtes situées sur sa face cachée peuvent atteindre près de 20 mètres de profondeur. Celles-ci font office de quilles qui maintiennent la glace en place et lui laissent davantage de temps pour s’étoffer. Mais la vitesse de la dérive transpolaire, le puissant courant que Nansen a découvert en laissant délibérément la glace prendre son bateau, a augmenté d’un tiers depuis 2007 d’après les chercheurs. Avec ses quilles de taille réduite voire tout bonnement absentes, la glace d’aujourd’hui est moins à même de résister aux forces qui s’exercent sur elle et qui la poussent vers les eaux plus chaudes de l’océan Atlantique où elle fond. Il s’ensuit que la durée de vie moyenne d’un floe a baissé de plus d’une année et demi.

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    Un ours polaire grimpe sur une crête de glace.

    PHOTOGRAPHIE DE Keith Ladzinski, Nat Geo Image Collection

    Plus mince, plus plat, plus rapide, le nouveau régime glaciaire pourrait avoir des effets profonds sur l’écosystème de l’Arctique. Les ours polaires doivent par exemple marcher plus rapidement pour rester près des bonnes zones de chasse à mesure que la dérive transpolaire s’accélère. Cela leur fait brûler davantage de calories sur ce « tapis de course de glace », illustre John Whiteman, biologiste de l’Université Old Dominion et chez Polar Bears International. Mais à cause du rétrécissement de la plateforme de glace sur laquelle ils chassent et à cause du raccourcissement de la saison des glaces, leurs réserves énergétiques sont déjà mises à rude épreuve. Ces changements de conditions menacent également les mammifères dont la survie dépend de la glace tels que le phoque à capuchon (Crystophora cristata) et le narval (Monodon monoceros), mais aussi les communautés autochtones de l’Arctique dont l’alimentation dépend de la chasse sur la banquise.

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    Une nuée d’amphipodes sous la glace arctique.

    PHOTOGRAPHIE DE Paul Nicklen, Nat Geo Image Collection

    La face immergée de la banquise regorge elle aussi d’une faune et d’une flore variées dont font partie les amphipodes en photo ci-dessus. La disparition des crêtes sous-marines qui se forment sous la glace pourrait réduire l’habitat de ces micro-organismes, entre autres animaux, qui sont à la base de du réseau trophique et avoir des répercussions sur l’ensemble du système marin. Une glace plus fine et plus plate est également plus vulnérable aux effets destructeurs des cyclones polaires dont la fréquence augmente à mesure que le globe se réchauffe. Ce nouveau régime glaciaire pourrait ouvrir l’Arctique à la navigation et aux espèces invasives. Le champs des conséquences que cela aura demeure incertain. En attendant, les températures de l’eau de l’Arctique continuent d’augmenter. « Désormais, nous en voyons l’hiver en plus de l’été, déplore Laura de Steur. Il est donc encore plus difficile pour la glace la plus fine de survire. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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