Cette île du Pacifique est en train de disparaître

Tuvalu, État insulaire du Pacifique, est aux avant-postes de la crise climatique. Ses habitants luttent pour conserver leurs terres et leur identité.

De Simone Stolzoff
Publication 10 juil. 2024, 15:50 CEST
Un couple à moto passe dans le coin le plus étroit de l'île Fongafale à Funafuti, ...

Un couple à moto passe dans le coin le plus étroit de l'île Fongafale à Funafuti, une région de Tuvalu. L'océan Pacifique s'étend à droite et un bassin à gauche. L'atoll corallien a été identifié comme l'une des îles les plus vulnérables au changement climatique.

PHOTOGRAPHIE DE Sean Gallagher

À la naissance de Taukiei Kitara, ses parents ont coupé son cordon ombilical en deux morceaux, comme le voulait une tradition de son pays natal, Tuvalu. Ils ont planté l'un des morceaux du cordon ombilical à la base d'un cocotier, à environ neuf mètres du rivage et ont offert l'autre à l'océan. Pendant son enfance, Kitara se rendait à l'arbre pour prendre connaissance de son état de santé et brossait les feuilles tombées au sol. 

Tuvalu est un État insulaire habité par moins de 12 000 personnes, et situé à mi-chemin entre Hawaï et l'Australie. L'altitude moyenne du pays est inférieure à trois mètres au-dessus du niveau de la mer, ce qui le rend particulièrement sensible aux effets du changement climatique. Les scientifiques estiment qu'en 2050, 50 % de Funafuti, la capitale dans laquelle plus de la moitié des habitants vit, sera submergée.

Beaucoup considèrent Tuvalu comme un exemple de ce à quoi les autres communautés côtières seront confrontées dans les années à venir. Des chercheurs prévoient que d'ici à 2050, les habitants seront sûrement forcés de migrer à cause du changement climatique. La position précaire de Tuvalu l'a forcé à se poser une question existentielle : que se passe-t-il lorsqu'un pays n'a plus de terres ?

Le mot « terre, territoire » se dit fenua en tuvaluan et fait référence au territoire physique, mais aussi au sentiment d'appartenance enraciné dans l'identité d'une personne. À Tuvalu, les terres sont détenues par la communauté et transmises de génération en génération. Les Tuvalais enterrent leurs ancêtres dans des mausolées à proximité de leurs portes d'entrée. La terre abrite leurs proches, leur histoire et leurs traditions, ce qui rend la question de leur départ insoluble.

« Nous ne pouvons pas considérer que la migration est un fait acquis », explique Maina Talia, ministre du changement climatique de Tuvalu. « Mais si nous nous réveillons demain matin et que la moitié de la population a été anéantie par l'océan, qui devrons-nous blâmer ? »

Dans l'ombre de cette menace existentielle se cache une question personnelle pour les Tuvalais : dois-je rester ou partir ? Certains Tuvalais considèrent l'option de partir pour être en sécurité, mais la majorité des personnes avec qui j'ai pu échanger veulent rester.

« C'est vrai que le changement climatique nous affecte, mais on veut rester », explique Fenuatapo Mesako, un chargé de programme à l'Association de santé familiale de Tuvalu. « On ne veut pas être des Tuvalais dans un autre pays. On veut être des Tuvalais à Tuvalu. »

Une vue aérienne de l'extrémité méridionale de Funafuti à Tuvalu. Partout dans le monde, la montée des eaux empiète sur les régions côtières. Les États insulaires comme Tuvalu sont particulièrement vulnérables. Les régions les plus peuplées de l'état pourraient se retrouver submerger à la fin du siècle.

PHOTOGRAPHIE DE Kalolaine Fainu, Guardian, Redux

 

EN PREMIÈRE LIGNE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Lorsque l'on arrive en avion, l'atoll de Funafuti apparaît comme un croissant de lune vert dans un vaste ciel aquatique.

Au total, les neuf îles qui constituent Tuvalu ont une superficie d'environ vingt-six kilomètres carrés. En plus d'être à la limite de la crise climatique, Tuvalu est connu pour deux choses : c'est l'un des États les moins visités au monde et il possède le suffixe de domaine .tv, qui est la deuxième plus grande source de revenus du pays après la vente des droits sur ses territoires de pêche.

Quelques minutes avant l'atterrissage de l'avion à l'aéroport international de Funafuti, une sirène se déclenche en ville pour inciter les gens à dégager la piste. La piste d'atterrissage, qui n'accueille que quatre vols par semaine, sert à la fois d'autoroute à plusieurs voies, de terrain de volley-ball et de lieu de pique-nique, selon l'heure de la journée.

Le changement climatique est incrusté dans presque tous les aspects de la vie quotidienne. L'eau de mer s'est infiltrée dans le sol de l'île et a rendu difficile la culture de produits de base du régime alimentaire de Tuvalais, tels que le taro, l'arbre à pain et la noix de coco. Les marées royales, qui se sont progressivement intensifiées ces dernières années, balaient l'île depuis l'océan une fois par mois, inondant la piste d'atterrissage et les maisons des habitants.

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    Des enfants font du vélo sur la piste d'atterrissage de l'aéroport international de Funafuti à Tuvalu. Il n'y a que très peu de vols par semaine dans l'atoll. Lorsqu'elle n'est pas utilisée, la piste d'atterrissage est l'endroit où se déroulent des activités communautaires.

    PHOTOGRAPHIE DE Kalolaine Fainu, Guardian, Redux

    « Quand j'étais plus jeune, la vie était différente », souligne Menimei Melton, âgée de vingt-cinq ans. « J'ai connu le changement climatique lorsque j'étais enfant, mais je ne voyais pas vraiment à quel point ça nous affectait. »

    Bien que le changement climatique ait contribué à rehausser le profil du pays sur la scène internationale, les habitants veulent s'assurer que Tuvalu n'est pas défini uniquement par sa relation avec une crise qu'ils n'ont que peu contribué à produire. D'après Climate Watch, Tuvalu est l'un des vingt-cinq pays dont l'empreinte carbone par habitant est la plus faible au monde.

    « Je pense que les nouvelles effraient inutilement les gens », soupire Afelee Falema Pita, l'ancien ambassadeur de Tuvalu auprès des Nations unies, qui a quitté une vie à New York pour ouvrir avec sa femme un centre de villégiature écologique. « Nous pouvons organiser un atelier après l'autre, mais si nous passons 365 jours par an à parler du changement climatique, nous ne vivons pas nos vies ici. »

    C'est un équilibre délicat à trouver. D'une part, le changement climatique n'est pas un phénomène lointain à Tuvalu : il exige une attention immédiate. Et pourtant, Tuvalu ne se résume pas à ses marées montantes.

    En marchant dans les rues de Funafuti, les mélodies des hymnes religieux se mêlent aux voix des familles qui chantent au karaoké. Vous tomberez peut-être sur quarante personnes âgées jouant au bingo sous le toit de chaume de la salle des fêtes, ou sur un groupe de jeunes d'une vingtaine d'années pratiquant le fatele, la danse traditionnelle des Tuvalais, où les danseurs se déplacent sur un rythme de plus en plus rapide jusqu'à ce qu'ils soient pris d'un fou rire contagieux.

    À Tuvalu, les valeurs ne sont pas juste évoquées, elles sont vécues. Falepili se manifeste de multiples façons, qu'il s'agisse de l'absence de criminalité et de sans-abri, des fréquents repas publics ou de la politique étrangère du pays. La culture qui fait de cet État ce qu'il est n'est pas facilement transposable sur un autre continent.

     

    COMPORTEMENTS INSULAIRES

    En novembre dernier, Tuvalu et l'Australie ont signé un accord bilatéral sur le climat et la migration, l'accord Falepili, qui offre à Tuvalu 16,9 millions de dollars australiens (environ 10 millions d'euros) pour des projets de restaurations côtières et des visas pour 280 Tuvalais qui deviendront des résidents permanents de l'Australie la même année. Les habitants de Funafuti ont des opinions mitigées concernant cet accord. Certains le voient comme un parcours de bienvenue pour ceux souhaitant partir. D'autres ont peur que cet accord empiète sur la souveraineté de Tuvalu.

    « La meilleure chose que l'Australie puisse faire pour soutenir des pays comme Tuvalu est d'arrêter ses industries de combustibles fossiles », déclare Richard Gorkrun, directeur exécutif du Tuvalu Climate Action Network.

    Le gouvernement essaie d'assurer que Tuvalu gardera sa souveraineté et ses droits dans ses territoires de pêche même si le changement climatique rend les îles inhabitables. En septembre dernier, le Parlement de Tuvalu a adopté à l'unanimité un amendement visant à conserver son statut d'État à perpétuité, qu'il demande à présent aux autres nations de reconnaître officiellement.

    Le pays fait également l'objet de deux projets d'infrastructure de grande envergure. La première est une initiative de récupération des terres, principalement financée par le Fonds vert pour le climat des Nations Unies, qui consiste à transporter du sable depuis le milieu de l'océan pour construire cinq kilomètres carrés de nouvelles terres protégées à Funafuti. Le second est le projet Future Now, une « migration touristique » des services gouvernementaux et des objets historiques vers le métavers, qui permettra à Tuvalu de conserver son identité culturelle même si sa terre disparaît sous les flots.

    Un projet de récupération des terres dans le centre de Funafuti vise à fournir de nouveaux bâtiments pour le gouvernement local. Du sable transporté depuis le milieu de l'océan a permis de créer cinq kilomètres carrés de terre à Tuvalu.

    PHOTOGRAPHIE DE Sean Gallagher

    Dans la mesure de ses possibilités, Tuvalu essaie de laisser ses valeurs communautaires guider sa façon de naviguer dans l'incertitude de l'avenir. Lorsque des feux de forêt meurtriers ont ravagé l'Australie en 2020, par exemple, le gouvernement tuvalais a fait don de près de 280 000 € pour soutenir les opérations de secours, même s'il s'agissait, à l'époque, d'un don plus important en proportion du PIB que ce que l'Australie avait jamais donné à Tuvalu. Certains fonctionnaires du gouvernement ont refusé : « 300 000 $, c'est qu'une goutte d'eau dans l'océan pour un pays aussi gros que l'Australie, ont-ils pensé. Quelle différence cela ferait-il ? »

    Mais le montant du don n'a pas d'importance. « Il ne peut y avoir de décalage entre la manière dont nous agissons au sein du gouvernement et la façon dont nous vivons au niveau communautaire », a déclaré Simon Kofe, qui était à l'époque ministre des Affaires étrangères de Tuvalu. « Si c'est le cas, nous nous comportons comme n'importe quelle autre nation, guidés uniquement par notre intérêt général. »

    Ainsi, si la communauté internationale prend Tuvalu en pitié en raison de sa vulnérabilité à l'élévation du niveau des mers, ce sont peut-être les Tuvalais qui devraient plaindre les pays occidentaux développés qui, dans leur quête d'une richesse matérielle et d'une croissance sans fin, ont largement perdu de vue l'action collective nécessaire pour faire face à la crise climatique.

    « C'est parce que chaque nation pense à son propre intérêt que nous nous sommes retrouvés dans ce pétrin », relève Kofe. « Nous devons cesser de nous comporter comme si nous étions tous sur des îles. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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