Cinq scénarios climatiques auxquels s’attendre, du plus optimiste au plus étrange

Les cinq scénarios qui composent le dernier rapport du GIEC annoncent des avenirs qui ne se ressemblent pas.

De Madeleine Stone
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Cinq scénarios climatiques forment la colonne vertébrale du dernier rapport du GIEC. Sur cette photo, on voit des plantes grimpantes sur les treillis rouges des Gardens by the Bay, à Singapour.

PHOTOGRAPHIE DE Andrew Moore, Nat Geo Image Collection

Le dernier rapport du GIEC sur l’état du climat nous lance un avertissement austère : l’humanité encourt un avenir fait de catastrophes naturelles apocalyptiques et incessantes. Mais cet avenir n’est pas gravé dans le marbre. Selon les tendances économiques mondiales, le progrès technologique, les changements géopolitiques et, par-dessus tout, selon la volonté que nous mettrons à réduire drastiquement les émissions de carbone, le monde de la fin du XXIe siècle pourrait s’avérer totalement différent. Ou pas.

Les avenirs auxquels il faut s’attendre sont au cœur des projections du sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont le premier chapitre, qui intéresse les sciences du climat, a été publié la semaine dernière. Ce nouveau compte rendu comprend cinq récits qui diffèrent selon l’importance du réchauffement et selon les capacités des sociétés à s’adapter aux changements qui viennent. Chacun de ces scénarios associe différents progrès socio-économiques à diverses trajectoires des émissions de carbone, et les multiples dénouements possibles rappellent la collection Un Livre dont vous êtes le héros, à ceci près qu’ils décrivent les bouleversements climatiques au XXIe siècle.

Certains dénouements dépeignent une humanité à la hauteur du défi climatique et les efforts concertés qu’elle réalise pour réduire la pauvreté et améliorer le niveau de vie de tous. Le monde est plus chaud et la météo plus dangereuse, mais les conséquences dramatiques du dérèglement climatique ont été évitées et les sociétés sont en mesure de s’adapter.

Dans d’autres scénarios, la coopération mondiale est mise à mal par le nationalisme, par la paupérisation, par des émissions qui montent en flèche ou encore par un climat invivable.

Dans ces scénarios, l’ampleur des émissions entraîne un réchauffement et a des répercussions sur la planète. Selon Jessica Tierney, co-autrice du rapport et climatologue à l’Université d’Arizona, les conséquences des différents scénarios socio-économiques occuperont davantage de place dans les deuxième et troisième chapitres du rapport, qui doit paraître en 2022, car ceux-ci s’intéresseront à l’adaptation au changement climatique et à la réduction de ses effets.

« L’adaptation dépend en grande partie de ces récits de type ‘Le monde coopère-t-il, les pays riches aident-ils les pays moins favorisés ?’, explique-t-elle.  La réduction des effets dépend aussi de ces scénarios, car ils dépeignent différentes attitudes à l’égard des progrès technologiques. J’ai vraiment hâte que ces rapports soient publiés. »

À en juger par les tendances mondiales actuelles en matière de consommation d’énergie et de politique climatique récente, certains scénarios semblent plus probables que d’autres. Mais les auteurs du rapport ont choisi de présenter un large éventail de récits pour que les législateurs et le public comprennent les choix qui se présentent à nous tous, mais aussi ce que nous risquons si nous ne prenons pas les bonnes décisions.

 

Anatomie d’un scénario climatique

Les prévisionnistes du cinquième rapport d’évaluation, publié en 2013 et en 2014, ont utilisé des « profils représentatifs d’évolution de concentration », aussi appelés scénarios RCP, afin de déterminer à quoi ressemblera le climat. Dans ces profils, ce qui change la donne, ce sont les efforts faits par l’humanité pour limiter le dérèglement climatique ; cela va du scénario RCP-2,6 où l’on parvient à réduire drastiquement les émissions et à limiter les effets au scénario inverse, le RCP-8,5. Le chiffre qui caractérise chaque scénario indique le « forçage radiatif », soit le supplément énergétique que nos émissions ajouteront au système Terre d’ici à 2100, qu’on exprime en watts par mètre carré. Quand la Terre capte plus d’énergie qu’elle ne peut en relâcher à cause du forçage radiatif, les températures augmentent.

Les scénarios décrits par le sixième rapport d’évaluation contiennent en outre des paramètres humains qui les rendent un peu plus difficile à décoder. À l’instar des RCP, chaque projection est accompagnée d’une trajectoire des émissions chiffrée par une estimation du forçage radiatif à la fin du siècle ; ici, ce chiffre va de 1,9 W/m2 dans le meilleur des cas à 8,5 W/m2, ce qui serait synonyme de cataclysme digne d’un film à gros budget.

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    Selon Zeke Hausfather, en charge du climat et de l’énergie à l’Institut Breakthrough, centre de recherches s’intéressant aux solutions technologiques, le scénario à 1,9 W/m2, qui prévoit un réchauffement climatique de 1,5°C au maximum, a été créé en conséquence directe de la signature de l’accord de Paris. Comme son prédécesseur, le sixième rapport inclut des scénarios où le forçage radiatif est de 2,6 W/m2 et de 4,5 W/m2, mais aussi un scénario extrême à 7 W/m2.

    La grande nouveauté de ce rapport est que ces trajectoires ne viennent plus seules. Elles sont accompagnées de « scénarios socio-économiques partagés » (SSP). Ceux-ci regroupent des projections démographiques et économiques mais aussi des tendances technologiques et géopolitiques qui peuvent toutes avoir un impact sur nos émissions comme sur notre capacité à les réduire ou à nous adapter aux dérèglements qu’elles entraînent. Chaque SSP peut-être apparié à diverses trajectoires d’émissions et donc donner des dénouements différents.

    Dans ce rapport, le GIEC propose cinq scénarios principaux : deux relativement optimistes (le SSP1-1,9 et le SSP1-2,6), un modéré (le SSP2-4,5) un pessimiste (le SSP3-7,0) et un étrange (le SSP5-8,5).

     

    Deux scénarios optimistes, un pessimiste et un étrange

    Les deux projections optimistes correspondent aux objectifs fixés par l’accord de Paris : maintenir le réchauffement climatique sous la barre des 2°C. Dans ces prédictions, les nations agissent sans attendre et réduisent drastiquement l’usage qu’elles font des énergies fossiles. La neutralité carbone est atteinte au milieu du XXIe siècle et les émissions finissent par devenir négatives, car l’humanité commence à en retirer de grandes quantités de l’atmosphère à l’aide de technologies qui pour le moment doivent encore faire leurs preuves à grande échelle. À la fin du siècle, la Terre s’est réchauffée de 1,4°C (premier scénario) à 1,8°C (deuxième scénario). Cette différence de 0,4°C s’explique par la vitesse à laquelle nous réduirons nos émissions et par le rythme auquel nous déploierons des technologies capables de piéger le carbone.

    Même si un réchauffement d’ampleur limitée comme celui-ci accroîtrait la fréquence et la virulence des épisodes météorologiques extrêmes, et provoquerait une montée des eaux de 60 cm, des répercussions sérieuses seraient évitées. En plus de cela, dans ces deux scénarios optimistes, une forte croissance économique et des investissements importants dans l’éducation et la santé élèveraient le niveau de vie dans le monde entier. À la fin du XXIe siècle, les inégalités auraient été réduites, le monde serait plus riche et les sociétés s’adapteraient plus facilement aux effets du dérèglement climatique qu’elles ne le feraient en coopérant moins et en ne partageant pas leurs ressources.

    Le scénario modéré est relativement moins optimiste. Dans celui-ci, les émissions de CO2 demeurent élevées jusqu’au milieu du siècle et commencent à chuter. À la fin du XXIe siècle, les températures ont augmenté de 2,7°C. Selon Zeke Hausfather, cette projection est « à peu près cohérente » avec les engagements pris à l’horizon 2030 par les nations qui ont signé l’accord de Paris. C’est donc pour l’instant cet avenir qui nous est promis si nous n’arrivons pas à prendre des mesures plus drastiques en matière de réduction des émissions.

    C’est aussi l’avenir qui correspond le plus aux développements socio-économiques observés jusqu’ici dans l’histoire. Cette projection intermédiaire envisage une croissance mondiale inégale avec des pays qui s’enrichissent et parviennent à réduire les inégalités et d’autres qui restent à la traîne. La natalité resterait élevée dans les pays en voie de développement, nous serions près de 9,5 milliards d’humains sur Terre à la fin du siècle et certaines parties du monde continueraient de subir des effets sévères dus au dérèglement climatique.

    Dans la prévision pessimiste du GIEC, la coopération internationale s’effondre à mesure que s’installent des gouvernements nationalistes. La croissance économique et le progrès social prennent du retard. Dans les pays les plus défavorisés, la natalité reste élevée, et la population mondiale est de 12 milliards à la fin du siècle. Les émissions de CO2 continuent d’augmenter également et font monter la température de 3,6°C en moyenne par rapport à l’ère préindustrielle. Les épisodes de sécheresse et d’inondations s’aggravent considérablement, la banquise arctique disparaît l’été, et les vagues de chaleur qui ne survenaient qu’une fois tous les 50 ans se produisent 40 fois plus souvent.

    Et puis il y a le scénario étrange, une prévision digne d’un film de science-fiction. Dans ce monde, l’humanité n’arrive non seulement pas à inverser la courbe des émissions, mais en plus, elle poursuit l’extraction d’énergies fossiles et son mode de vie énergivore. Les pays extraient et brûlent de plus en plus de charbon au fil du siècle et la planète se réchauffe de, tenez-vous bien, 4,4°C. Les températures que nous connaîtrons alors n’auront pas été atteintes depuis des millions d’années.

    Et pourtant, dans ce monde, l’engagement en faveur du développement socio-économique de l’ensemble des pays est synonyme de démocratisation des énergies fossiles, partout. Cela donne ce que Zeke Hausfather décrit comme une fin de siècle « très aisée financièrement, socialement juste, et high-tech au possible ». La Terre est alors une étuve, mais les humains sont mieux équipés pour s’adapter au climat qu’ils ne le seraient dans un monde inégalitaire et paupérisé gangréné par le nationalisme.

     

    Les dénouements marginaux : improbables mais graves

    Cette description surprenante de l’avenir est sans doute une expérience de pensée intéressante, mais un monde où les humains brûlent plus de charbon en un siècle qu’il n’en existe dans les réserves connues est tout à fait invraisemblable, surtout étant donné que les tendances du marché et les politiques climatiques mises en œuvre entraînent désormais un déclin dans l’usage du charbon dans les pays développés. (Le charbon produit désormais moins de 20 % de l’électricité américaine. Ce chiffre était de 50 % en 2007).

    Le GIEC le reconnaît d’ailleurs dans son rapport. Si ce scénario étrange a été inclus, c’est en partie par volonté de continuité entre les rapports (le SSP5-8,5 est globalement similaire au RCP8,5 du précédent rapport) mais aussi, explique Zeke Hausfather, parce que les chercheurs qui étudient les effets du dérèglement climatique trouvent souvent cela « utile de frapper le climat à grands coups de marteau ».

    Il est également possible que par effet de rétroaction climatique (mettons qu’une expulsion gigantesque de gaz à effet de serre due à la fonte du pergélisol se produise) nous connaissions un réchauffement digne des pires projections, et ce sans même parler d’un retour de l’utilisation du charbon. La même chose pourrait se produire si le climat s’avère en fait plus sensible aux émissions de CO2 humaines que ce que les scientifiques croyaient.

    « Quand on est au GIEC, il faut aussi s’intéresser à ces éventualités marginales, affirme Jessica Tierney. Si vous ne proposez que des scénarios que vous trouvez probables, vous ne pouvez pas savoir comment ça pourrait finir. »

    Le scénario optimiste qui prévoit une augmentation de la température de moins de 1,5°C a l’air relativement invraisemblable lui aussi au vu du peu de mesures qui ont été prises jusqu’ici. Mais cela pourrait changer.

    Zeke Hausfather fait remarquer que les pays responsables de deux tiers des émissions mondiales se sont engagés à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Si ces pays parviennent à tenir leurs promesses, et si d’autres pays en voie de développement suivent (c’est loin d’être gagné, bien entendu) « on peut tout à fait s’attendre à un réchauffement de 1,5 à 2 [degrés]. »

    « Il est encore temps que nous nous engagions sur la bonne voie », rappelle Zeke Hausfather.

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