Disparition de la mer d’Aral : quels enseignements tirer de ce désastre écologique ?
La mer d’Aral a été vidée pour irriguer les champs de coton, laissant derrière elle un sol salinisé et peu fertile. Les leçons tirées devraient aider d’autres régions du monde confrontées au changement climatique.
Autrefois le quatrième plus grand lac au monde, la mer d’Aral a été vidée pour irriguer les champs de coton. Aujourd’hui, elle ne s’étend plus que sur un quart de sa surface d’origine et les scientifiques utilisent la région pour identifier les plantes résistantes aux conditions environnementales extrêmes.
Difficile de croire, en voyant le poussiéreux village de Karauzyak entouré d’herbes sèches et d’une terre croûtée de sel, qu’il se trouvait jadis au bord d’une rivière en crue, à une cinquantaine de kilomètres du quatrième plus grand lac au monde. En plus de cinquante ans, ce lac, connu sous le nom de la mer d’Aral et situé dans l’ouest de l’Ouzbékistan, s’est presque complètement asséché. Un phénomène souvent décrit comme la « pire catastrophe environnementale au monde ». Résultat : plus rien ne pousse Karauzyak, hormis de l’atriplex (aussi connu sous le nom d’arroche).
Dans une parcelle de 3,5 hectares toute proche du village, une équipe de chercheurs japonais fait pousser cette plante halophyte afin de déterminer si elle pourrait constituer une culture viable pour les agriculteurs de la région et même permettre le développement d’une petite industrie laitière. En nourrissant des vaches d’une ferme voisine avec, les scientifiques se sont rendu compte que l’atriplex permettait de maintenir le peu d’humidité présente dans le sol asséché et qu’elle pouvait être cultivée sans trop d’engrais.
Une branche verte grisée d’atriplex à la main, Kristina Toderich, spécialiste des halophytes à l’université Tottori au Japon, explique les raisons pour lesquelles la plante halophyte suscite l’intérêt des scientifiques. « Elle n’a pas besoin d’eau. Elle n’a besoin de rien ».
Kristina Toderich est l’un des chercheurs principaux d’un projet utilisant l’ancien fond marin et le delta voisin comme laboratoire à ciel ouvert. Celui-ci est mené dans le cadre de la SATREPS, une initiative d’aide étrangère et de collaboration scientifique japonaise. Les chercheurs travaillent main dans la main avec l’UZGIP (service hydrométéorologique de l’Ouzbékistan) pour collecter des données sur le climat et des images satellites en temps réel afin de mieux comprendre les conditions dans la région de la mer d’Aral, comme la quantité d’eau qu’il reste, le rythme auquel elle disparaît et les types de plantes qui y sont cultivées.
Sur la base de leurs résultats, ils conçoivent actuellement un modèle d’agriculture durable dans la région, dans lequel ils recommandent aux agriculteurs d’adopter de nouvelles méthodes d’irrigation et de cultiver des plantes plus résistantes aux sècheresses et au sel, explique Kenji Tanaka, hydrologue spécialiste des effets du changement climatique sur les ressources hydriques et responsable du projet SATREPS.
« Quelles sont les zones asséchées ? Quelles sont celles où il y a suffisamment d’eau ? ». C’est en répondant à ces questions que « nous pouvons distribuer l’eau là où il faut », expose l’hydrologue.
Kristina Toderick, spécialiste en agriculture biosaline à l’université Tottori au Japon, tient dans sa main des graines d’amarante. La chercheuse développe avec l’équipe du SATREPS un modèle d’agriculture adaptée au changement climatique pour la région.
L’objectif ultime des scientifiques est de redonner vie à une région dévastée par l’agriculture intensive. Mais ces changements environnementaux ne concernent pas uniquement la mer d’Aral.
Selon la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULD), les sècheresses, la salinisation et l’utilisation intensive des terres ont conduit à la dégradation d’une superficie équivalente à celle de l’Asie centrale depuis 2015. En identifiant les plantes susceptibles de pousser dans la mer d’Aral, le SATRPS pourrait fournir des solutions à d’autres régions du monde confrontées aux mêmes problèmes, comme le basin du lac Chad en Afrique de l’Ouest ou le Great Salt Lake aux États-Unis.
L’ADAPTATION, SINON RIEN
Dans les années 1960, les Soviétiques ont détourné les fleuves qui se jetaient dans la mer d’Aral pour produire du coton dans les champs voisins. Ainsi privé d’eau, le lac a commencé à s’évaporer et son niveau a chuté. En reculant, la mer a laissé derrière elle un sol de plus en plus salinisé, où il est impossible de faire pousser des cultures conventionnelles. On y cultive cependant toujours du coton, alors même que la région ne reçoit que 100 millimètres de précipitation par an.
Le gouvernement ouzbek suivra-t-il les recommandations de l’équipe du SATREPS ? Nul ne le sait. Mais le pays semble, jusqu’à présent, ouvert au changement. Le président Shavkat Mirziyoyev, qui avait promis d’assouplir les politiques strictes héritées de l’ère soviétique de son prédécesseur, Islam Karimov, a levé l’obligation pour tous les Ouzbeks de récolter du coton si cela leur était demandé. Il a également pris la parole aux Nations Unies pour dénoncer les effets de la désertification et de la dégradation des terres dans son pays.
Face à l’action du changement climatique, il est plus que jamais urgent de s’adapter. Ainsi, depuis 1968, les températures moyennes dans le bassin de la mer d’Aral ont augmenté d’environ 2°C. L’assèchement de la mer d’Aral a aussi des conséquences sur le climat : à mesure que l’eau disparaît, l’air devient plus sec et ne permet plus de rafraîchir le lac, ce qui crée un cercle vicieux qui favorise les conditions météorologiques plus chaudes et sèches. Les tempêtes de sable répandent de la poussière et des métaux lourds nocifs dans les villages avoisinants, tandis que le retrait de l’eau a entraîné l’accumulation de sel dans le sol.
Le projet de Kenji Tanaka comporte plusieurs volets. Outre l’atriplex, les chercheurs du SATREPS font également pousser du sorgho, des haricots mungo et de l’amarante dans des parcelles expérimentales. L’objectif est de découvrir lesquelles de ces cultures résistent le mieux dans un sol sec et salinisé. Ils ont aussi créé des variétés prometteuses d’orge et de blé d’hiver.
Le Centre d’innovation international pour le basin de la mer d’Aral fait pousser du coton non loin de l’ancien lac pour en trouver de nouvelles variétés moins gourmandes en eau.
L’équipe collecte également des données satellites afin de mesurer le niveau des précipitations, le rayonnement solaire et l’humidité dans le sol dans la région de la mer d’Aral. Celles-ci serviront à aider les agriculteurs à choisir les cultures à planter et à déterminer quand les irriguer. Connue sous le nom d’agriculture de précision, ce type d’analyse en temps réel est couramment utilisé au Japon. Kenji Tanaka espère qu’avec la mise à disposition des données à titre gratuit dès le début d’année prochaine, le projet SATREPS sera en mesure d’aider les entreprises et les agences gouvernementales à créer des outils à destination des agriculteurs facilitant la planification de l’irrigation.
DES DONNÉES PRÉCIEUSES
En parallèle, les partenaires du SATREPS mènent également leurs propres expériences. L’Institut karakalpak de l’agriculture et de l’agrotechnologie a testé différentes méthodes d’irrigation, telles que le système du « goutte-à-goutte » qui arrose des plantes spécifiques, pour identifier la technologie la moins gourmande en eau. Le Centre d’innovation international pour le bassin de la mer d’Aral, quant à lui, cultive des plantes rustiques dans de la terre provenant de l’ancien lit du lac.
Toutes ces données serviront à l’agriculture, mais pas uniquement.
En 2018, une tempête de sable dévastatrice, qui a détruit les cultures et tué le bétail, a tiré la sonnette d’alarme dans la région, par son ampleur inédite, rapporte Bakhytzhan Khabibullaev, le directeur du centre. Suite à cela, le gouvernement ouzbek a fait planter du saxaul, une plante halophyte endémique, dans le lit asséché du lac pour fixer le sol et lutter contre les tempêtes de poussière et de sel.
Les chercheurs tiennent toutefois à préciser que la mer d'Aral ne pourra jamais être « sauvée » ni retrouver son état antérieur. Leurs efforts se concentrent plutôt sur le développement de nouvelles formes d'agriculture et d'industrie susceptibles d'aider les communautés locales à s'adapter aux changements déjà survenus ainsi qu’à ceux à venir.
« Cela fait cinquante ans » que la mer d'Aral a commencé à se retirer, explique Temur Khujanazarov, chercheur à l'université de Kyoto qui collabore avec Kristina Toderick et Kenji Tanaka pour étudier le potentiel de l'agriculture halophyte dans la région de la mer d'Aral. « Nous devons passer à autre chose. Nous devons nous tourner vers l’avenir » plutôt que d'attendre qu'elle revienne, conclut-il.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.