Les glaciers du monde entier fondent plus vite que prévu

C’est grâce à un fragile équilibre, s’épaississant d’une part et fondant d’autre part, que les glaciers ont pu perdurer. La balance a néanmoins penché ; une nouvelle étude nous montre avec précision à quel point.

De Theo Nicitopoulos
Publication 19 nov. 2024, 14:43 CET
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La lumière d’un drone éclaire de façon spectaculaire le glacier Pastoruri dans la Cordillère Blanche, au Pérou. Les glaciers de ce type fournissent de l’eau potable aux communautés pendant les saisons sèches. À mesure qu’ils fondent, cette réserve d’eau s’amenuise et la perte de glace entraîne la montée des océans.

PHOTOGRAPHIE DE Reuben Wu, Nat Geo Image Collection

En 1971, des chercheurs ont fait une découverte surprenante en étudiant la glace du Groenland : voici des milliers d’années, les températures sur l’île avaient augmenté de façon très importante sur de courtes périodes. Cette découverte a montré qu’un réchauffement brutal pouvait se produire en l’espace de quelques décennies seulement, faisant ainsi évoluer la manière dont nous concevions le changement climatique naturel.

Aujourd’hui, le monde est en proie à un autre bouleversement, cette fois dû à l’activité anthropique. Les scientifiques font désormais des prévisions sur la manière dont la glace évoluera avec le réchauffement des températures.  

Dans une nouvelle étude publiée ce jour dans la revue The Cryosphere, des chercheurs ont modélisé l’ampleur de la fonte des glaciers d’ici à 2100. Les résultats montrent que la quantité de glace qui disparaîtra sera plus importante que celle prévue dans le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), généralement considéré comme un consensus scientifique sur l’état du changement climatique.

« Nous avons un programme sur le terrain, au niveau d’un glacier en Suisse, où nous allons et venons pour voir quelle quantité de glace a fondu et les variations sont absolument considérables », avance l’auteur principal et glaciologue Harry Zekollari, de l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ) et de la Vrije Universiteit Brussel.

La grande majorité des 200 000 glaciers de la planète montrent également des signes évidents de réchauffement, leur épaisseur diminuant entre un peu moins d’un mètre et près de deux mètres par an en moyenne.

 

PRÉDIRE LES FUTURS ÉCOULEMENTS DE GLACIERS

Se contenter d’enregistrer les pertes annuelles de chaque glacier afin de prédire la quantité de glace qu’il restera ne permet pas d’obtenir des prévisions précises.

« En raison de leur mode d’écoulement, les glaciers réagissent au climat de manière non linéaire », explique Lizz Ultee, glaciologue au centre de vol spatial Goddard de la NASA, qui n’a pas participé à l’étude.

Pour expliquer ce phénomène, Harry Zekollari et ses collègues ont utilisé deux modèles mathématiques afin de simuler la physique complexe qui se cache derrière le déplacement et le changement de masse des glaciers.

Ils les ont d’abord exécutés pour les années 2000 à 2019, en ajustant avec précision les paramètres afin de faire correspondre au mieux les changements de masse prévus à ceux qui se sont réellement produits. Ces derniers ont pour la première fois été documentés dans un article publié en 2021.

« Nous avons désormais en notre possession des observations par satellite des glaciers du monde entier que nous avons utilisées pour calibrer nos modèles », détaille le co-auteur et hydrologue Rodrigo Aguayo, également de la Vrije Universiteit Brussel.

L’équipe a ensuite lancé des simulations jusqu’à la fin du siècle en se servant de scénarios climatiques basés sur le niveau de réduction des émissions de gaz à effet de serre atteint dans le monde.

Les résultats montrent qu’au niveau mondial, entre près d’un quart et la moitié du volume des glaciers sera perdu d’ici à 2100, en fonction de l’ampleur du réchauffement.

Si l’on parvient par exemple à atteindre « zéro émission nette » vers le milieu du siècle, l’estimation la plus basse s’appliquera, tandis que si les émissions se poursuivent aux niveaux actuels, voire plus élevés, cela aboutira progressivement aux estimations les plus hautes.

Le mois dernier, les Nations Unies ont publié le tout nouveau Rapport 2024 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions, qui indique que, si les pays n’adoptent pas assez rapidement des énergies plus propres, le monde se dirige vers une tendance à mi-chemin.

Comprendre : les glaciers

L’équipe a également évalué les pertes glaciaires à plus petite échelle, qui sont apparues bien souvent plus importantes.

« Certaines régions sont vouées à devenir presque entièrement dépourvues de glace, même avec un réchauffement limité », affirme Harry Zekollari.   

Cela comprend les glaciers situés dans l’Ouest canadien, aux États-Unis, dans l’est de l’Asie du Sud et en Europe centrale.

 

QUE SE PASSE-T-IL LORSQUE LES GLACIERS DISPARAISSENT ?

Ces pertes pourraient également avoir des répercussions importantes sur les populations qui dépendent des glaciers pour s’approvisionner en eau.

Rodrigo Aguayo fait remarquer que les pourcentages de volumes de glace perdus ne traduisent pas nécessairement le niveau d’amoindrissement de cette ressource.

« Ça pourrait être pire », signale-t-il, évoquant le fait que les eaux de fonte pourraient être réduites de façon significative durant les périodes sèches dans certains bassins versants dont les communautés dépendent pour leur approvisionnement en eau potable.

Les populations qui ne vivent pas à proximité des glaciers pourraient également être touchées par l’élévation du niveau de la mer.

Les glaciers du monde retiennent près de 30 centimètres d’élévation de cette dernière et ont déjà fait monter son niveau de presque 1,3 centimètres au cours des vingt dernières années.

« Ça ne semble pas tant que ça », expose Catherine Walker, glaciologue à l’Institut océanographique de Woods Hole, qui n’a pas participé à l’étude.

Cependant, « si vous commencez à réfléchir aux réalités physiques d’un endroit où les ondes de tempête atteignent plus de 3 mètres, je pense que vous préféreriez ne pas avoir 30 centimètres de plus provenant de la fonte de tous ces glaciers », poursuit-elle.

Les résultats de l’équipe sont similaires aux prévisions d’un modèle que les chercheurs ont utilisé l’année dernière. Celui-ci avait également été calibré à l’aide des mêmes données, spécifiques aux glaciers, dans le cadre des scénarios climatiques les plus récents.

 « Nous sommes désormais plus confiants en ce qui concerne les chiffres que nous pouvons fournir aux décideurs politiques », révèle Harry Zekollari.

Un autre avantage des nouveaux modèles est leur capacité à effectuer des prévisions à différentes échelles.

« Le fait qu’ils puissent à la fois modéliser à l’échelle mondiale et nous dire ce qu’il adviendra de chaque glacier est stupéfiant », s’enthousiasme Catherine Walker.

 

LA POURSUITE DU RÉCHAUFFEMENT APRÈS 2100

Selon Harry Zekollari, même si l’étude s’est concentrée sur les prévisions jusqu’à la fin du siècle, les glaciers peuvent mettre beaucoup plus de temps à réagir complètement au climat.

« Il est clair qu’à plus long terme, les pertes seront bien plus importantes », ajoute-t-il.

Lizz Ultee attire l’attention sur le fait que les fjords du Groenland présentent déjà une récente perte de glace de plusieurs trentaines de mètres. « C’est vraiment saisissant », poursuit-elle.

Ailleurs, la glace de glacier a disparu, laissant derrière elle des scènes de désolation emplies de débris rocheux.

Pour les glaciers, qui ont réussi à perdurer pendant des milliers d’années grâce à un fragile équilibre, s’épaississant d’une part et fondant d’autre part, les changements sont également extraordinaires.

« Les glaciers ne sont pas des éléments permanents du paysage », conclut Lizz Ultee. « Ils peuvent changer très rapidement à l’échelle de l’humanité ; nous pouvons y assister. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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