L’interdiction de pêcher est-elle préjudiciable aux pêcheurs ? Pas dans cette réserve marine

Selon une nouvelle étude, la vie marine prospère dans le parc national de Revillagigedo, au Mexique, tout comme l’industrie de la pêche commerciale en dehors de celui-ci. « Nous pouvons avoir du poisson mais aussi en manger ».

De Natasha Daly
Publication 1 juin 2023, 16:00 CEST
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Le parc national de l’archipel Revillagigedo, la plus grande zone protégée d’Amérique du Nord, abrite un riche écosystème marin. Ici, les requins-corail, les badèches du Pacifique, les poissons-papillons à nez noir et les zancles peuplent un récif.

PHOTOGRAPHIE DE Enric Sala, National Geographic

Dans une zone de haute mer entourant quatre îles volcaniques au large de la côte ouest du Mexique, les requins et les raies mantas nagent en toute liberté. Les baleines à bosse y mettent bas et élèvent leurs petits. Plus de 300 espèces de poissons, dont 36 n’existent nulle part ailleurs à l’état sauvage, sont protégées de la pêche. 

Surnommé les « Galápagos du Mexique », le parc national de Revillagigedo, d’une superficie de 148 000 kilomètres carrés, constitue la plus grande concentration de mégafaune au monde et la plus grande zone marine protégée d’Amérique du Nord. 

Cinq ans après la création du parc, une nouvelle étude révèle qu'il a été bénéfique pour la faune et la flore, mais aussi pour l’industrie de la pêche mexicaine : l’interdiction de pêcher à l’intérieur de la réserve n’a pas affecté la capacité des navires de pêche commerciale à trouver et à capturer du poisson. Ces résultats sont la preuve qu'un écosystème océanique essentiel peut être protégé sans sacrifice économique.

En d’autres termes, « nous pouvons avoir du poisson mais aussi en manger », déclare l’écologiste Enric Sala, explorateur National Geographic en résidence et coauteur de l’étude, publiée le 30 mai dans la revue Science Advances

 

2 000 BATEAUX DE PÊCHE SURVEILLÉS

L’initiative Pristine Seas d’Enric Sala a contribué à la création de la réserve fin 2017. La réserve s’est heurtée à l’opposition des acteurs de l’industrie de la pêche commerciale du pays, qui ont affirmé que l’aire marine protégée entraverait considérablement leur capacité à pêcher. Selon Sala, l’opposition de l’industrie de la pêche n’avait initialement aucun fondement  : les navires de pêche commerciale mexicains ne passaient que 7 % de leur temps à pêcher dans les eaux de la réserve avant qu’elles ne soient protégées. Cinq ans après l’entrée en vigueur de l’interdiction, Sala a collaboré avec une équipe de chercheurs américains et mexicains pour voir si les choses avaient changé.

L’équipe a examiné deux types de données : les lieux de pêche des bateaux et ce qu’ils capturaient, avant et après que l’archipel de Revillagigedo a été intégralement protégé. Les données sur les captures, recueillies par l’Institut national de la pêche du Mexique, ont révélé que le volume des captures n’avait pas changé au cours des quatre années qui avaient suivi la protection de la réserve, aussi bien pour les bateaux qui avaient toujours pêché dans la réserve que pour les autres.

L’équipe souhaitait également savoir si les bateaux s’étaient bel et bien mis à pêcher en dehors de la réserve et, auquel cas, quels étaient leurs nouveaux itinéraires depuis l’interdiction. À l’aide des données satellitaires obtenues grâce aux systèmes de localisation des bateaux, l’équipe a utilisé une technologie d’intelligence artificielle pour détecter les lieux de pêche à partir de la vitesse et des mouvements des bateaux (des mouvements légers ou en zigzag peuvent signifier qu’un bateau est en train de pêcher du thon, par exemple).

Les données ont révélé que la pêche à l’intérieur de la réserve a diminué de 82 % après que ses eaux ont été entièrement protégées en 2017. Elles indiquent également que la zone de pêche globale des bateaux a diminué de 55 % en moyenne ; la protection de Revillagigedo n’a donc pas amené les navires à s’aventurer plus loin pour attraper du poisson.

Ces résultats viennent « s’ajouter à une littérature grandissante prouvant que les possibilités de pêche et la conservation des océans ne sont pas inconciliables et qu’elles peuvent être bénéfiques l’une pour l’autre », déclare Matthew Savoca, chercheur postdoctoral à la Hopkins Marine Station de l’université de Stanford, qui n’a pas participé à l’étude.

 

LES PÊCHEURS N'ONT PAS ÉTÉ AFFECTÉS

L’argument selon lequel la création de zones marines protégées aurait des répercussions économiques négatives sur l’industrie de la pêche constitue un obstacle courant et efficace à la création de réserves. À l’heure actuelle, moins de 3 % de l’océan mondial est entièrement protégé, un chiffre bien en deçà de l’objectif de l’initiative communautaire mondiale qui est de protéger 30 % de l’océan d’ici à 2030.

Les gouvernements craignent, « ce qui est compréhensible », que la protection de certaines zones de l’océan ne nuise à la production halieutique, explique Sala. Or, preuve est faite que les zones marines protégées peuvent en réalité renforcer la santé des zones de pêche environnantes en offrant un refuge aux grandes femelles (souvent visées par les captures) qui produisent le plus grand nombre d’œufs. 

« Les grosses femelles ne se trouvent que dans les zones où la pêche est interdite donc le nombre de bébés qu’elles produisent est beaucoup plus élevé que dans les zones où elles ne sont pas protégées », explique Sala. Cette progéniture contribue ensuite à repeupler les zones de pêches autour des réserves, ajoute-t-il.

Sala espère qu’à l’avenir, la même technologie innovante d’IA pourra être utilisée avec des données satellitaires pour suivre les activités de pêche dans et autour d’autres zones marines protégées. 

« Auparavant, les gens pouvaient avancer ce qu’ils voulaient sur la pêche », explique-t-il, car nous n’avions qu’une visibilité très limitée sur ce que faisaient les navires. Aujourd’hui, « les outils modernes nous permettent de vérifier les affirmations de l’industrie de la pêche et des défenseurs de l’environnement. Cela nous permet d'être plus rigoureux ».

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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