En 30 ans, le plus haut glacier de l’Everest a perdu 2 000 années de glace
Malgré l’altitude élevée à laquelle il se trouve, le glacier pourrait fondre en quelques décennies ; une découverte étonnante, qui alarme les environnementalistes.
Devant le sommet de l’Everest, Mariusz Potocki et une équipe de Sherpas extraient une carotte de glace forée à la haute altitude jamais enregistrée. Celle-ci a révélé qu’en l’espace de 30 ans, l’Everest a perdu 2 000 années de glace.
Sur l’Everest, toit du monde, le doute n’est plus permis : le changement climatique se fait déjà ressentir. Le plus haut glacier de la plus haute montagne au monde perd chaque année des décennies de glace.
C’est la découverte qu’ont fait des chercheurs après l’analyse d’une carotte de glace extraite du glacier du col sud de l’Everest, que les alpinistes traversent lors de leur ascension de la montagne. Leur étude, parue dans Climate and Atmospheric Science de la revue Nature Portfolio, révèle que ce géant de glace aurait perdu près de la moitié de sa masse depuis les années 1990 en raison de l’augmentation des températures dans la région. Il pourrait complètement disparaître d’ici 2050.
Ces conclusions découlent de l’expédition Everest Perpetual Planet, menée par National Geographic et Rolex. Celle-ci, qui a réuni 34 scientifiques népalais et internationaux, ainsi que plusieurs Sherpas, a posé une série de défis logistiques.
Au cours de cette expédition de grande envergure sous la houlette de Paul Mayewski, les chercheurs ont foré des carottes de glace, prélevé des échantillons biologiques, créé une carte haute-résolution et étudié la qualité de l’eau ainsi que l’histoire des glaciers de l’Everest. L’équipe a également installé cinq stations météorologiques (deux d’entre elles sont situées aux points les plus élevés au monde).
« Cette expérience scientifique était la plus aboutie jamais menée sur la face sud de l’Everest », souligne Paul Mayewski.
Selon l’alpiniste Ryan Waters, qui a gravi l’Everest à six reprises, mais n’a pas pris part à l’étude, le glacier du col sud offre un panorama incroyable aux grimpeurs au cours de la dernière étape de leur ascension. « Vous vous rendez rapidement compte de la quantité énorme de neige et de glace du glacier provenant de l’Everest qui vient se fixer au-dessus du camp d’altitude », décrit-il.
Avec le changement climatique, les glaciers de montagne connaissent une fonte rapide partout dans le monde ; c’est pourquoi cette expédition s’intéressait notamment au glacier du col sud. Mais, comme le souligne Paul Mayewski, glaciologue et directeur de l’Institut sur le changement climatique de l’université du Maine, aux États-Unis, il existe peu d’informations sur les glaciers situés à des altitudes élevées.
« L’une des questions était de savoir si les glaciers de l’Everest, même situés à 8 000 mètres d’altitude comme celui du col sud, où il fait évidemment beaucoup plus froid, fondaient. »
Paul Mayewski tient une carotte de glace prélevée au camp de base de l’Everest.
FORAGE SUR LE PLUS HAUT GLACIER
L’étude a essentiellement consisté en l’extraction d’un morceau cylindrique de glace du glacier, à une altitude supérieure de 1 000 mètres par rapport à la précédente carotte de glace forée à la plus haute altitude. Pour ce faire, il a fallu modifier les équipements de forage existants afin de les alléger pour pouvoir les acheminer dans la montagne à la main, mais aussi pour les faire fonctionner dans l’air raréfié. Bien que l’équipe ait effectué des essais dans des conditions de froid extrême dans le Maine, en Islande et dans l’Himalaya, rien ne garantissait que l’équipement fonctionnerait lors de l’expédition.
« C’était très stressant », raconte Mariusz Potocki. Glaciochimiste et doctorant à l’université du Maine, c’est lui qui a prélevé la carotte de glace. « C’était un grand soulagement que tout ait fonctionné ».
Les résultats ont cependant étonné le glaciochimiste et l’équipe. Lors de l’analyse de la carotte de glace de 10 mètres, la datation au carbone a révélé que la glace en surface était âgée d’environ 2 000 ans. Autrement dit, la glace qui s’était formée sur le glacier au cours de deux derniers millénaires avait tout simplement fondu. En mesurant l’épaisseur des couches de croissance annuelle de la glace, qui s’apparentent aux cernes des arbres, et en supposant que le taux de dépôt de la glace soit resté identique au fil du temps, l’équipe a calculé que le glacier avait perdu environ 55 mètres de glace.
Ces flacons d’échantillonnage contiennent des prélèvements de toutes les carottes de glace extraites sur l’Everest. La glace fondue sera analysée pour déterminer sa chimie.
Sur la base des données relatives au réchauffement et à la fonte des glaces obtenues ailleurs dans l’Himalaya, les chercheurs ont déduit que cette fonte est survenue en grande partie depuis les années 1990. Si elle se poursuit à ce rythme, le glacier du col sud « disparaîtra sans doute d’ici quelques décennies », avance Paul Mayewski, avant d’ajouter : « C’est une transition assez remarquable ».
L’ampleur du changement a surpris les scientifiques. Pourtant, les alpinistes comme Ryan Waters observent ce phénomène depuis des années, sur le glacier du col sud, mais aussi aux quatre coins de l’Himalaya.
« Je me suis rendu pour la première dans l’Himalaya il y a 20 ans et j’ai depuis remarqué que de nombreux glaciers de la région de l’Everest et des alentours ont changé de manière significative », explique Ryan Waters. « La cascade de glace Khumbu a également beaucoup changé au fil des ans. Le glacier le plus haut n’est pas le seul touché, il semble tous l’être ».
PLUSIEURS PHÉNOMÈNES EN CAUSE
Selon les chercheurs, la fonte de la glace serait grandement accélérée par le processus de sublimation, qui correspond à l’évaporation de la neige et de la glace sans qu’elles passent à l’état liquide. La sublimation est courante dans les climats froids et secs, en particulier à haute altitude, qui connaissent un ensoleillement et des vents importants, des critères que remplit la face sud de l’Everest. La fonte presque totale de la couverture neigeuse du glacier en surface exacerbe aussi ce phénomène, souligne Mariusz Potocki.
La neige a un albédo élevé, c’est-à-dire qu’elle réfléchit la plupart des rayons solaires dans l’atmosphère. « Lorsque la neige fraîche fond, la glace, qui est plus sombre, absorbe davantage les rayons solaires. La fonte et la sublimation semblent plus importantes, et la glace fond plus vite », explique le glaciochimiste.
« Avec Mariusz, nous avons prélevé des carottes de glace partout dans le monde. Nous avons mis au point un équipement de forage pour cette expédition, en pensant qu’il commencerait par forer la carotte dans la neige, puis dans la glace », raconte Paul Mayewski. « Nous ne nous attendions absolument pas à ce que la surface de la glace soit ainsi exposée ».
Pour le glaciologue, les conclusions de leur étude viennent s’ajouter à la liste grandissante des preuves que le changement climatique affecte désormais aussi les régions les plus reculées de la planète de manière importante.
« Nous savons que les océans sont pollués ; nous savons qu’ils se réchauffent et s’acidifient », explique-t-il. « Nous savons qu’il arrive en plein hiver que des masses d’air chaud atteignent le pôle Nord et que les températures y sont positives. Nous savons qu’il arrive en été que la surface entière de la calotte glaciaire du Groenland fonde.
Et maintenant, nous avons la preuve que même la glace du plus haut glacier de la plus haute montagne au monde fond rapidement. C’est un véritable coup de semonce ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.