Un nouveau tombeau pour les ruines radioactives de Tchernobyl
31 ans après la catastrophe, une structure géante remplacera le sarcophage vieillissant construit à l’époque soviétique pour contenir la radioactivité du site.
PRIPYAT, UKRAINE – Lorsqu’Ilya Suslov a appris pour la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, le 26 avril 1986, il travaillait comme chef de chantier dans une ville secrète de la République socialiste soviétique d’Ouzbékistan. Il s’est immédiatement porté volontaire pour être « liquidateur », un de ces centaines de milliers de soldats et de civils soviétiques, pour la plupart enrôlés, qui ont été chargés de nettoyer le site.
La mission de Suslov était d’aider à la conception du « sarcophage » géant, autrement dit, une tombe en béton et en acier construite en huit mois pour contenir les restes fumants de l’Unité 4 de la centrale nucléaire. Trente-et-un ans plus tard, ce sarcophage a été remplacé par un autre, cette fois-ci pensé pour durer au moins un siècle. Conçue et construite par les géants français du BTP Bouygues et Vinci, l’arche a été inaugurée le 29 novembre 2016. Le réacteur 4 détruit en dans la nuit du 25 au 26 avril 1986 peut enfin être démantelé.
Revenons en 1986, lorsque Suslov s’est rendu sur le site ayant connu le pire accident nucléaire de l'histoire. On lui a alors simplement dit : « Bon, tiens-toi prêt. » Sur place, on lui a ensuite fourni des vêtements de travail légers, ainsi qu’un bonnet et un masque de chirurgien. Aucune protection pour les ondes radioactives. Alors qu’il se penchait à l’angle du bunker duquel ils coordonnaient les ouvriers chargés de faire couler le béton et de souder l’acier du fameux « abri », comme ils l’appelaient, son patron l’a tiré vers l’intérieur en criant : « Hey ! Que fais-tu ? Tu cherches à te faire irradier ? »
Aujourd’hui, Ilya Suslov s’en sort à peine avec ses revenus d’électricien à temps partiel. Sa pension n’est pas plus élevée que celle de n’importe quel retraité soviétique, bien qu’il ait dû mettre sa santé en danger. Comme beaucoup dans une Ukraine à court d’argent aujourd’hui, son frigo est vide à la fin du mois. Et même ainsi, il reste fier du travail accompli à Tchernobyl. « Si nous n’avions pas construit ce sarcophage, la contamination radioactive ne se serait jamais arrêtée. Le sarcophage était comme une boîte de conserve, une canette qui a tout isolé, mais cela restait une simple canette », déclare-t-il.
Il sait que le sarcophage a fait son temps. Il y a quelques années, il menaçait de s’effondrer et a dû être renforcé pour éviter une seconde catastrophe qui aurait de nouveau projeté de la poussière et des débris radioactifs dans l’atmosphère. « Dieu merci, mon sarcophage a tenu 30 ans », raconte Ilya Suslov. « Mais il est temps de penser à l’avenir. »
Effectivement, la nouvelle arche de confinement, une chape géante en acier inoxydable, a été mise en place au-dessus du réacteur. Financée par un consortium international de donateurs, elle confine près de 5 500 tonnes de sable radioactif, de plomb, d’acide borique et 220 tonnes d’uranium et autres isotopes instables, sans oublier des dizaines de milliers de tonnes de béton armé et d’acier contaminés.
Déplacement du plus grand objet jamais conçu
En matière d’ingénierie, l’arche est un accomplissement sans pareil. « C’est la Mecque pour un ingénieur. Bien sûr, j’espère que nous n’aurons jamais à reconstruire une telle arche ailleurs – c’est parce qu'il y a eu catastrophe nucléaire que nous en sommes là – mais pour un ingénieur, cela frise la perfection », déclare Nicolas Caille, directeur du projet mené par le consortium international Novarka.
Ressemblant à un hangar d’avion surdimensionné, la structure est faite de kilomètres de tubes d’acier maintenus par 600 000 boulons conçus sur mesure pour le prix de 15 euros pièce environ. Coûtant 2,1 milliards d’euros, l’énorme arc se dresse à près à 110 mètres de haut, pour 165 mètres de long et plus de 250 mètres de large ; ce sont des longrines en acier inoxydable traitées au téflon qui ont permis son acheminement jusqu’à son emplacement final. Ce qui fait de l’arche de Tchernobyl le plus grand objet construit par l’Homme à déplacer au sol.
L’arche est revêtue d’un manteau brillant d’acier inoxydable, que l’on peut apercevoir depuis le toit des immeubles de la ville abandonnée de Pripyat, à 3 kilomètres du site environ, derrière une forêt qui se repeuple progressivement de loups, lynx, biches, sangliers, élans et autres castors.
L’espace prévu entre les carapaces interne et externe est prévu pour faire circuler de l’air sec qui évitera que la construction ne rouille ; il est également dépressurisé afin de minimiser le risque de fuite de poussières radioactives.
Conçu pour résister à l’intense chaleur d’un incendie et les durs hivers ukrainiens, tout en maintenant sa flexibilité, le bâtiment est aussi capable de résister à un tremblement de terre ou une tornade dont les vents atteindraient 330 km/h.
Pour parvenir à un tel résultat, l’équipe d’ingénieurs fait preuve de créativité. Trop grosse pour rouler, la nouvelle arche de confinement a été glissée à la vitesse d’un escargot en novembre 2016, pour finalement se mettre en place autour des vestiges de l’Unité 4, tel un énorme bloc de Tetris. Par ailleurs, la membrane qui scelle le sarcophage à l’ancienne structure soviétique est faite du même matériau qui sert à empêcher l’eau de mer de pénétrer lorsqu’un sous-marin ouvre une écoutille pour tirer un missile balistique.
Une fois la construction scellée, deux énormes grues flottantes pesant aussi lourd qu’un Boeing 737 ont soulevé des bras manipulateurs contrôlables à distance, une carotte de forage, un concasseur de béton et un aspirateur de dix tonnes pour détruire et nettoyer le réacteur.
Moins de 5 % de la radioactivité contenue dans l’Unité 4 s’est échappée dans l’environnement lors de l’accident ; la majorité demeure sur site et mettra des dizaines d’années à disparaître.
« Le premier objectif était de contrôler la contamination », explique Caille. « Le second de fournir les outils nécessaires à la déconstruction du réacteur qui a explosé. » Mais la visée finale est de « tout contenir, pour s’assurer qu’un tremblement de terre ou l’effondrement du sarcophage existant ne mène pas à la contamination de l’Europe. »
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