Vous voulez sauver la biodiversité ? Éteignez la lumière.

La lumière artificielle émise par nos villes et nos maisons ne constitue pas une simple nuisance pour les observateurs du ciel nocturne. Elle menace de nombreuses espèces qui se fient depuis des millénaires au cycle du jour et de la nuit pour survivre.

De Sarah Gibbens
Publication 6 avr. 2023, 15:57 CEST
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Les lumières de la ville de La Paz, en Bolivie, éclairent le ciel nocturne. La lumière artificielle provenant des bâtiments, des voitures et des lampadaires peut être fatale pour certains animaux sauvages.

PHOTOGRAPHIE DE Edson Vandeira, Nat Geo Image Collection

Vous l’avez sans doute déjà remarqué : il est difficile, parfois même impossible, d’observer les étoiles et les constellations depuis la ville. Ce phénomène est dû à la pollution lumineuse, qui transforme la nuit en jour sur 80 % de la surface de notre planète.

Le cycle du jour et de la nuit est un élément essentiel de la nature. Il indique aux animaux quand ils doivent sortir pour chasser, se nourrir, migrer et s’accoupler. Lorsque la lumière artificielle perturbe ces signaux lumineux naturels, la faune, mais aussi la flore, en subissent les conséquences.

Ce problème s’aggrave d’année en année. Cependant, selon les experts, des solutions simples et efficaces existent pour aider la vie sauvage et restaurer notre vision du ciel nocturne.

« Lorsque nous regardons le ciel et que nous ne parvenons pas à voir les étoiles, c’est le signe que notre système d’éclairage est mal conçu et qu’il gaspille de l’énergie », explique Christopher Kyba, physicien au Centre allemand de recherche en géosciences (GFZ).

Certaines collectivités repensent les règles relatives à l’éclairage nocturne, en commençant par de simples changements visant à réduire la pollution lumineuse provenant des habitations individuelles.

Un Sky Quality Meter, un instrument de mesure de la qualité du ciel, mesure la luminosité du ciel nocturne dans la Vallée de la Mort, en Californie. Les scientifiques ont étudié le lourd impact de la pollution lumineuse sur 160 espèces différentes, mais de nombreuses conséquences à long terme de cette nuisance demeurent un mystère.

PHOTOGRAPHIE DE Babak Tafreshi, Nat Geo Image Collection

 

L'IMPACT DES LUMIÈRES ARTIFICIELLES SUR L'ENVIRONNEMENT

Dans le cadre d’un rapport publié l’année dernière, plus de 160 espèces de plantes, de poissons, de mammifères et d’insectes ont été examinées dans le but de comprendre les effets de nos lumières artificielles sur les écosystèmes. Les chercheurs ont constaté que les animaux se fient à la lumière du lever et du coucher du soleil et de la lune pour déterminer quand ils doivent sortir de leur cachette pour chasser, chercher de la nourriture, migrer et s’accoupler.

Toutes les espèces sauvages sont touchées par les conséquences de la pollution lumineuse : certains insectes peuvent par exemple être attaqués plus facilement par leurs prédateurs, et certains oiseaux peuvent dévier de leur trajectoire.

« Tout au long de l’histoire de l’évolution, un modèle stable régnait : tous les animaux et toutes les plantes pouvaient anticiper le jour et la nuit », décrit Kyba. « Mais si l’on ajoute de la lumière artificielle, il est évident que le système est perturbé. »

La nuit, les lucioles utilisent la lumière pour se signaler à leurs partenaires potentiels, et les lumières émises par nos villes éclipsent ces signaux à une fréquence alarmante. Selon une étude publiée en 2020, la pollution lumineuse, la perte d’habitat et l’utilisation de pesticides pourraient menacer d’extinction un bon nombre des 2 000 espèces de lucioles recensées à ce jour dans le monde.

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    Gauche: Supérieur:

    Vues d'en haut, les lumières de Chicago illuminent la ville. Selon une étude, réduire la pollution lumineuse émanant des immeubles de Chicago de moitié pourrait suffire à diminuer le nombre de décès d'oiseaux dus aux collisions avec les bâtiments.

    Droite: Fond:

    Une tortue luth se débat sur le rivage pour pondre ses œufs. La pollution lumineuse les décourage de rejoindre leurs sites de nidification sur le rivage.

    Photographies de Jim Richardson, Nat Geo Image Collection

    De même, les oiseaux sont facilement désorientés par les lumières vives des villes, et succombent souvent à des collisions, les bâtiments reflétant la lumière du soleil le jour et émettant de la lumière artificielle la nuit. Un éclairage faible loin de la ville peut suffire à nuire à leur santé.

    Une étude menée sur les diamants mandarins (Taeniopygia gutatta) a révélé des marqueurs chimiques de stress chez les oiseaux exposés à un faible éclairage en laboratoire pendant seulement trois semaines. Les scientifiques ne savent pas encore ce que ces constatations impliquent pour la santé des oiseaux à long terme, précise Valentina Alaasam, autrice de l’étude et biologiste à l’Université du Nevada, à Reno.

    Bien que les oiseaux et les insectes soient souvent considérés comme les principales victimes de la pollution lumineuse, tous les animaux sont concernés par les effets de la lumière artificielle, déplore Kyba. Même les plantes sont perturbées par les signaux lumineux.

     

    DES GESTES SIMPLES ET EFFICACES

    Contrairement à la pollution de l’air ou de l’eau, la pollution lumineuse peut être éliminée en un instant. Pour cela, il suffit par exemple d’éteindre nos lumières, d’installer des détecteurs de mouvement qui limitent l’allumage non nécessaire des lumières, ou d’ajouter des variateurs qui permettent d’atténuer la luminosité émise par une ampoule.

    « L’avantage de ces solutions, c’est qu’elles nous permettent également de faire des économies », explique Alaasam. « En éteignant la lumière plus souvent, on économise de l’électricité et on réduit nos émissions de carbone. C’est gagnant-gagnant. »

    Bien que les ampoules LED soient moins chères et plus durables que leurs prédécesseures incandescentes, leur adoption généralisée a eu des effets néfastes sur la biodiversité. Ces ampoules produisent en effet une lumière bleue riche en ondes courtes qui attire encore plus les insectes et les oiseaux, et perturbe le rythme circadien des mammifères. Les ampoules dotées de filtres teintés en jaune peuvent minimiser ces effets.

    Des lucioles illuminent la forêt de Sakleshpur, en Inde. Ces insectes utilisent leurs lumières clignotantes pour communiquer, mais la lumière artificielle obscurcit leurs messages, ce qui rend leur survie plus difficile.

    PHOTOGRAPHIE DE Prasenjeet Yadav, Nat Geo Image Collection

    « Le type de lumière que nous utilisons est fondamental. Les effets sur les oiseaux sont bien moins nombreux lorsque l’on utilise une teinte plus chaude et plus jaune. »

    Les protections des lampadaires et des éclairages extérieurs permettent de concentrer la lumière directement vers le bas, là où nous en avons besoin.

    Le simple fait de fermer nos volets, nos stores ou nos rideaux peut également aider à empêcher la lumière artificielle de sortir dans l’environnement. Dans le cadre d’une étude portant sur vingt années de collisions d’oiseaux à Chicago, des chercheurs sont parvenus à montrer qu’en réduisant de moitié la lumière qui s’échappe de nos fenêtres, nous pouvions réduire le nombre de collisions d’oiseaux de 60 %.

     

    DES VILLES ET PAYS S'ENGAGENT

    La pollution lumineuse est en augmentation chaque année, parfois jusqu’à 10 %, selon une étude.

    Si les changements individuels apportés à l’éclairage des maisons peuvent aider la faune locale, c’est en travaillant ensemble que les communautés peuvent avoir le plus d’impact.

    « Des millions de personnes sont responsables des décisions en matière d’éclairage », reprend Kyba. « Pour réaliser de réels progrès, toutes ces personnes doivent agir. »

    À l'observatoire de Kitt Peak, en Arizona, la pollution lumineuse de Tucson brille à droite, et la lueur de Phoenix se profile à gauche. De vastes constellations étaient autrefois visibles ici, mais seul Jupiter brille désormais dans le ciel nocturne.

    PHOTOGRAPHIE DE Babak Tafreshi, Nat Geo Image Collection

    Certaines communautés montrent déjà que ces changements sont possibles, et la forme que ceux-ci peuvent prendre. La Nouvelle-Zélande s’efforce actuellement de respecter les normes en matière de pollution lumineuse, et l’île de Niue, dans le Pacifique, est devenue en 2020 le premier pays à être désigné « Sanctuaire international de ciel étoilé ».

    En 2018, la France a imposé une nouvelle loi fixant des limites strictes quant aux heures d’allumage et d’extinction, aux proportions de lumière, ou encore aux températures des couleurs. Aux États-Unis, le programme Lights Out de la National Audubon Society encourage les villes à réduire leur éclairage nocturne pendant les périodes de passage des oiseaux migrateurs. Selon une étude réalisée en 2017, le fait d’atténuer l’éclairage des villes pendant trente minutes peut suffire à prévenir les collisions mortelles avec les oiseaux.

    Si vous n’osez pas encore vous battre pour prôner la mise en place de nouvelles politiques, commencez par de petites actions, conseille Kyba.

    « Lorsqu’une lumière vous dérange ou que vous pensez qu’elle peut poser problème, il est important de le signaler », explique-t-il. « Souvent, il existe des solutions très simples qui ne coûtent pas beaucoup d’argent, et qui peuvent résoudre entièrement le problème. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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