« Nous avons un rôle immense à jouer pour le futur de la vie sur Terre »
La journaliste Ann Druyan, productrice exécutive et réalisatrice de COSMOS, revient sur la 3e saison inédite de la série diffusée depuis le 15 mars sur National Geographic.
« Et demain, que deviendrons-nous ? » Cette question, qui n’a jamais eu autant d’écho qu’aujourd’hui, a été posée il y a plus de 20 ans par l’astronome Carl Sagan. À l’époque déjà, lors de la publication de son livre A Pale Blue Dot, le scientifique évoquait les défis majeurs qui attendaient l'être humain s’il voulait garantir la survie de son espèce.
Selon le chercheur décédé en 1996, la plupart des crises mondiales trouveraient leur issue dans la science et surtout dans sa compréhension par les populations. C’est la raison pour laquelle sa femme Ann Druyan et lui ont toujours placé la vulgarisation scientifique au cœur de leurs travaux.
Même si elle tend à explorer les « nouveaux mondes » disséminés dans l’univers, cette troisième saison de COSMOS se refuse à encourager une exode de la population humaine vers d'autres planètes. Au contraire, ses auteurs rappellent à chaque instant que pour envisager une colonie humaine extraterrestre, il est nécessaire pour l’Homme de régler les crises qui menacent chaque jour davantage son existence sur Terre.
L’une de vos missions avec Carl Sagan était de vulgariser la science. Pourquoi est-ce si important pour vous d’initier le plus grand nombre aux mystères de notre univers ?
Avec Carl Sagan, nous avons toujours pensé que quand on est amoureux, on a envie de le crier au monde entier. Eh bien, je suis amoureuse de la science et de son pouvoir à prédire l’avenir.
Nous vivons dans une civilisation entièrement dépendante des sciences et de la technologie, dans laquelle certaines nations aspirent à être des démocraties. Comment peut-on prétendre à une société démocratique dans un monde ou personne ou presque ne comprendrait la science ? C’est la recette parfaite pour un désastre, comme le disait Carl Sagan.
COSMOS – TOUS LES DIMANCHES À 21.00
Jusqu'où nos expéditions spatiales nous auront-elles porté à la fin du prochain millénaire ? Retrouvez la nouvelle saison inédite de la série visionnaire COSMOS tous les dimanches à 21.00 sur National Geographic. COSMOS : NOUVEAUX MONDES vous invite à voyager aux confins de l’univers, à la découverte du futur de l’humanité.
Afin de sauver notre civilisation et toutes ces autres espèces que nous sommes en train d’exterminer à un rythme alarmant, je pense que la chose la plus importante est de transmettre les méthodes, les valeurs et la vision scientifiques. La science nous permet de prendre conscience de l’océan temporel dans lequel nous vivons, un océan qui s’étale sur 13,8 milliards d’années selon nos connaissances actuelles. À cet instant précis, dans un certain sens, nous avons un [rôle] immense à jouer pour le [futur] de la vie sur Terre. Nous avons entre les mains 4 milliards d’années de continuité. Plus que jamais, nous avons aujourd’hui la capacité de comprendre l’immensité de ces échelles temporelles et de l’univers. La science nous offre des engins spatiaux capables de quitter notre système solaire, de sortir de notre « Pale blue dot », pour nous faire découvrir les mondes d’autres étoiles, ou explorer l’infiniment petit.
Ce serait un terrible gâchis de voir ces merveilles réservées à une petite élite. Elles appartiennent à tout le monde car bon nombre d’entre elles ont été financées par l’argent public. Avoir conscience de cette propriété collective, c’est éprouver le désir intense de protéger notre civilisation, la biodiversité et l’habitat de chacune des espèces avec lesquelles nous partageons cette planète.
Que ce soit dans la bible ou dans tout autre mythe de l’espèce humaine, personne n’a jamais eu le pouvoir prédictif de la science. En 1967, un scientifique japonais, Syukuro Manabe, et Richard Wetherald, un scientifique américain, avaient anticipé l’évolution des températures moyennes mondiales sur une échelle de temps dépassant le présent et ils avaient raison.
Une grande partie de cette nouvelle saison de COSMOS est consacrée aux exoplanètes. Pensez-vous qu’il est devenu primordial de découvrir de nouvelles planètes habitables ?
Je pense que la chose la plus importante est de protéger ce monde. Notre monde est bien plus important que n’importe quelle exoplanète. Cela dit, une fois nos problèmes réglés sur Terre, l’idée d’explorer d’autres mondes devient très attrayante. Nous disposons de nouvelles méthodes pour étudier l’atmosphère ou la surface de ces planètes sans avoir à les visiter. Tout cela, nous en sommes aujourd’hui capables. Notre histoire a commencé dans une sorte de quarantaine planétaire, nous n’avions aucune connaissance de ce qu’il y avait en dehors de notre planète dont même certaines régions nous étaient inconnues. Désormais, grâce au courage et à l’ingéniosité de nos prédécesseurs, nous sommes en mesure de comprendre bien des choses. C’est ce qui maintient en vie notre civilisation. Donc oui, les exoplanètes sont importantes mais pour le moment, ce qui est important ce n’est pas de vivre là-bas mais de vivre ici et de faire tout notre possible pour préserver ce monde.
L’une des principales caractéristiques de la série COSMOS est qu’elle fait la part belle aux chercheurs qui nous ont permis de comprendre l’univers. Était-ce important pour vous de ne pas simplement toucher à la dimension purement scientifique du sujet ?
Oui ! Notre espèce est profondément animée par le récit, par l’Histoire. Je ne suis pas une scientifique et je sais que si je ne comprends pas une information, si elle ne provoque pas d’émotions, alors il y a de grandes chances que ce soit pareil pour les autres personnes. Il faut donc trouver un chercheur en particulier et dans cette nouvelle saison, je suis très fière des histoires que personne ne connaît, des histoires qui n’ont jamais été racontées. C’est comme pour les explorations, certains pensent qu’il faut des missions habitées pour obtenir l’attention et susciter l’enthousiasme du public.
Afin de donner vie au sujet, il peut être intéressant de retracer les difficultés vécues par la personne à l’origine d’une découverte ainsi que son cheminement, afin de comprendre ce à quoi elle était confrontée. Nos connaissances actuelles sur le génome humain ou l’univers quantique, sur ces mondes cachés dont l’existence nous serait toujours inconnue sans l’aide de la science, n’ont pas été faciles d’accès. Elles se sont construites au prix d’une lutte permanente et le fait de s’intéresser à ces luttes menées par nos prédécesseurs constitue une source d’espoir pour nous aujourd’hui, dans notre propre combat contre le changement climatique.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées au cours de la réalisation de cette nouvelle saison de COSMOS ?
Aucune, vraiment aucune. J’ai bénéficié du merveilleux soutien de National Geographic et de Fox Television Network. J’ai travaillé avec 986 autres personnes toutes aussi impliquées que moi dans ce projet. Nous avons su attirer des figures de l'industrie audiovisuelle du monde entier, des personnes qui auraient pu gagner bien plus d’argent mais qui souhaitaient contribuer à COSMOS simplement en raison de l'attachement du public à cette série. Pour mon coauteur Brannon Braga et moi-même, le plus difficile a été de comprendre un minimum de physique quantique et de maîtriser suffisamment le sujet pour l'expliquer de la façon la plus claire possible au public.
Si vous aviez l’occasion d’envoyer un nouveau message dans l’espace à bord de la prochaine mission Voyager, quel serait-il ?
Je pense avoir donné le meilleur de moi-même au premier envoi (rires). J’en suis très fière. À l’époque, ce qu'on appelle aujourd'hui « musiques du monde » n'existait pas, tout le monde ne pensait qu'à la musique populaire américaine ou au vivier de musiciens européen et j’étais très contente de voir que nous avons pu changer cela avec l'équipe du disque Voyager. Nous avons créé un message pour les cinq milliards d’années à venir dans lequel figuraient différentes espèces, les principales traditions musicales du monde entier et le portrait de ce qu’était la vie au délicieux printemps de l’année 1977. Encore aujourd’hui, ce message évoque une certaine vivacité et offre une belle représentation de notre monde.
Je pense que le prochain message devrait être créé par des personnes plus jeunes, dotées d’une oreille à la sensibilité nouvelle pour capter les sons de la Terre. Si c’était moi, je ne changerais rien (rires). Lorsque nous avons fait écouter l’enregistrement aux administrateurs de la NASA, leur première réaction était « Qu’est-ce que c’est ? Franchement ? De la musique javanaise ou gamelan ? Vous plaisantez ? Où est Frank Sinatra ? Le chant des baleines à côté de messages de bienvenue ? Qu’est-ce que vous faites ? »
Honnêtement l’affection que le public porte au disque vaut pour moi toute la reconnaissance du monde. Un porte-parole de la NASA m’a confié il y a quelques années qu’aucune de leurs prouesses n’avait jamais généré autant d’intérêt que la mission Voyager, l’image « Un point bleu pâle » et la mission Voyager Interstellar, pas même les rovers envoyés sur Mars ou le programme Apollo, donc je ne changerais vraiment rien.
La nouvelle saison inédite de la série COSMOS est diffusée sur National Geographic tous les dimanches depuis le 15 mars.