Starship : nouvelle explosion en plein vol pour la mégafusée de SpaceX

Les deux étages de la fusée Starship, qui est un élément essentiel des missions de la NASA visant à faire atterrir de nouveaux astronautes sur la Lune, ont explosé en plein vol lors du deuxième lancement d'essai de SpaceX ce samedi 18 novembre.

De Joe Pappalardo
Publication 20 nov. 2023, 18:55 CET
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Le vaisseau spatial Starship de SpaceX, qui est la plus grande et plus puissante fusée au monde, est préparé pour son lancement depuis la rampe de lancement de l'entreprise située à proximité de Brownsville, au Texas.

PHOTOGRAPHIE DE Joe Skipper, Reuters, Redux

Ce samedi 18 novembre, SpaceX a lancé le Starship, la plus grande fusée jamais construite, en direction de l’espace : un événement très attendu qui s’est toutefois soldé par l’explosion de l’engin spatial en plein vol. Bien que la mission de l’entreprise américaine n’ait pas atteint la totalité de ses objectifs, le lancement représente une étape importante pour la mégafusée que la NASA prévoit d’utiliser pour faire atterrir de nouveaux astronautes sur la Lune dans les prochaines années.

Après un décollage à 7h03 depuis la base de Boca Chica, au Texas (14h03 heure de Paris), l’étage de propulsion Super Heavy s’est séparé avec succès du vaisseau Starship, l’étage supérieur de la fusée. Cependant, plutôt que d’aller amerrir dans le golfe du Mexique comme le prévoyait la mission, le propulseur a explosé et est retombé directement sur Terre. Le Starship semblait quant à lui être en bonne voie pour aller jusqu’au bout de sa mission, qui consistait à effectuer un vol autour de la Terre en direction de l’est pour amerrir dans l’océan Pacifique, au large des côtes d’Hawaï.

Quelques minutes plus tard, la communication avec le vaisseau a cependant été perdue. Alors que l’engin arrivait dans l’espace, à 145 000 mètres de hauteur, juste avant que SpaceX ne coupe ses moteurs, le système automatique d’interruption de vol s’est déclenché et a provoqué sa destruction au-dessus du golfe du Mexique.

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    Gauche: Supérieur:

    Lancement de la mégafusée Starship de SpaceX pour un vol d'essai depuis la base de Boca Chica, au Texas, le samedi 18 novembre 2023.

    Droite: Fond:

    Starship franchit le mur du son lors de son deuxième vol d'essai. La fusée s'est séparée avec succès de son propulseur et a atteint l'espace juste avant d'être détruite par un système automatique d’interruption de vol.

    Photographies de Eric Gay, AP Photo

    « Félicitations aux équipes qui ont progressé lors de l’essai de vol d’aujourd'hui », a déclaré Bill Nelson, administrateur de la NASA, sur X, anciennement Twitter, peu après le lancement.

    Les lancements expérimentaux de SpaceX étant souvent marqués par des explosions et incidents, de nombreuses personnes se demandent si l’essai constitue un échec pour l’entreprise d’Elon Musk. En réalité, comme en ont témoigné les acclamations du personnel de SpaceX à Hawthorne, en Californie, le lancement de samedi a atteint ses principaux objectifs. En effet, pour être considéré comme un succès, le lancement d’essai d’une fusée doit être plus performant que le précédent. Lors du premier vol d’essai de Starship en avril dernier, après l’échec de l’opération de séparation des deux étages, la fusée était devenue incontrôlable et s’était autodétruite en plein vol.

    Pour ce nouvel essai, SpaceX s’était tourné vers une tout autre méthode pour accomplir cette étape essentielle de séparation de Starship et Super Heavy : cette fois-ci, l’étage supérieur devait allumer ses moteurs quelques secondes avant de se séparer du propulseur. Ce mécanisme, qualifié de « séparation à chaud », a remarquablement bien fonctionné dès sa première tentative en conditions réelles.

    C’est après avoir accompli cette étape cruciale avec succès que la mission a pris une autre tournure. Plutôt que de rallumer ses moteurs afin de faire demi-tour et de retomber dans les eaux du golfe, le propulseur Super Heavy a explosé pendant sa descente, et peu après, l’étage supérieur s’est détruit automatiquement en raison d’un problème survenu au cours du vol.

    Il est difficile d’imaginer qu’un programme de vols destinés à transporter des humains dans l’espace repose sur de multiples explosions des fusées et vaisseaux de la mission, mais aussi que des missions aussi risquées puissent recevoir l’approbation des autorités nationales et fédérales américaines. Aussi improbable que cela puisse paraître, c'est pourtant ce procédé qui a permis à SpaceX de devenir un acteur essentiel de la nouvelle course spatiale vers la Lune.

     

    UNE NOUVELLE COURSE À L’ESPACE

    Les passionnés de missions spatiales ne sont pas les seuls à suivre les essais de SpaceX avec beaucoup d’attention : Starship faisant partie intégrante du programme Artemis, qui vise à établir un poste permanent sur la Lune au cours de cette décennie, les responsables de la NASA sont eux aussi impatients de voir les avancées du projet. Le lanceur est destiné à être envoyé en orbite lunaire, où des astronautes pourront monter à son bord et entreprendre la première descente sur la surface de notre satellite depuis plus de cinquante ans.

    Les différences culturelles entre l’ingénierie traditionnelle de la NASA et les méthodes de SpaceX sont de plus en plus évidentes à chaque vol d’essai. En effet, tandis que les programmes de développement traditionnels cherchent à concevoir les engins à la perfection avant d’organiser d’un test pour confirmer qu’ils fonctionnent correctement, SpaceX suit des étapes bien différentes : construire, tester, détruire et recommencer. Depuis sa création, l’entreprise d’Elon Musk a ainsi réalisé plus de progrès techniques que n’importe quel concurrent ou programme spatial gouvernemental.

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      Des personnes observent la préparation du vaisseau spatial de nouvelle génération Starship de SpaceX en vue de son lancement depuis la base de lancement de Boca Chica, près de Brownsville, au Texas, le 17 novembre 2023.

      PHOTOGRAPHIE DE GO NAKAMURA, Reuters, Redux

      « SpaceX conçoit des véhicules dont les prototypes peuvent être construits rapidement », explique Garrett Erin Reisman, professeur à l’Université de Californie du Sud, ancien astronaute de la NASA désormais employé de SpaceX. « Si le numéro 10 explose, le 11 est déjà prêt à le remplacer. Il faut continuer à avancer et à apprendre. »

      Lorsqu’elle a commencé à développer ses célèbres lanceurs Falcon 9, l’entreprise a subi quatre échecs en plein vol avant que les différents étages de la fusée ne parviennent à se séparer sans destruction. Falcon 9 est désormais la fusée la plus réutilisée dans le monde ainsi qu’un élément incontournable des missions d’équipage et de ravitaillement de la NASA vers la Station spatiale internationale et le leader industriel des lancements de satellites commerciaux. SpaceX applique la même méthodologie d’ingénierie au projet Starship, mais sur des prototypes beaucoup plus grands. « Notre approche de développement rapide et itérative a été à la base de toutes les avancées majeures de SpaceX en matière d’innovation », a déclaré l’entreprise avant le vol.

      Cette approche et ce rythme intensif ont cependant un prix. Une enquête publiée ce mois-ci par Reuters décrit un environnement de travail dans lequel la sécurité est parfois négligée au profit du progrès. Le rapport fait état de 600 blessures en l’espace de neuf ans, dont un décès sur le lieu de travail. En 2014, Lonnie LeBlanc, employé de SpaceX, est décédé après avoir été projeté d’un véhicule en mouvement sur le site d’essai de McGregor, au Texas, alors qu’il tentait de maintenir un morceau de mousse isolante pour un réservoir sous pression.

      Au sein d’un établissement gouvernemental, un tel décès aurait attiré davantage d’attention. En engageant SpaceX, la NASA est cependant en mesure de profiter des fruits du rythme agressif de l’entreprise privée sans avoir à en endosser la responsabilité. « La réputation de la NASA ainsi que les autorités auxquelles elle doit rendre des comptes sont très surveillées », révèle Laura Seward Forczyk, fondatrice d’Astralytical, une société de conseil spatial. « Elle a le Congrès. SpaceX, de son côté, n’a de comptes à rendre qu’à ses investisseurs et ses clients. »

      Compte tenu des problèmes soulevés par le bilan relatif à la sécurité au sein de SpaceX, nombreux sont ceux qui se demandent si d’autres entreprises devraient adopter cette approche agressive, et si, pour un même niveau de prise de risque, elles parviendraient elles aussi à s’en sortir indemnes.

      « Selon moi, on accorde un droit d’échec exceptionnel à SpaceX », commente Casey Dreier, responsable de la politique spatiale à la Planetary Society. « C’est un avantage immense que nous n’examinons pas suffisamment. »

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      Des personnes observent le décollage de la fusée Starship de SpaceX lors d'un vol d'essai sans équipage, depuis la ville de South Padre Island, au Texas.

      PHOTOGRAPHIE DE GO NAKAMURA, Reuters, Redux

      Le soutien apporté à SpaceX découle de son histoire, qui est unique en comparaison de celles des autres entreprises spatiales. « Désormais, SpaceX n’est plus une entreprise inconnue, effrontée et qui doit faire ses preuves. Il s’agit désormais du cocontractant le plus fiable et le plus performant de la NASA », note Dreier. « Dans le monde, seules trois entités ont la capacité de lancer des personnes dans l’espace de manière indépendante : la Russie, la Chine et SpaceX. Le gouvernement américain n’a plus cette capacité. »

      Une urgence géopolitique a refait surface dans les vols spatiaux et, sans SpaceX, la NASA continuerait d’acheter des trajets à la Russie pour transporter ses astronautes dans l’espace. Par ailleurs, Bill Nelson, administrateur de la NASA, présente le programme lunaire chinois comme un rival d’Artemis qui pourrait atteindre la surface lunaire avant lui, ce qui atteste de la compétition qui s’est mise en place entre les pays. Le succès de SpaceX est essentiel pour la NASA si celle-ci souhaite conserver sa place dans cette nouvelle course à l’espace.

      Selon le calendrier actuel, le premier alunissage d’Artemis par la NASA devrait avoir lieu en 2025. Des retards sont toutefois à prévoir, notamment en ce qui concerne le Space Launch System de la NASA, la fusée qui permettra de transporter les astronautes depuis la Floride jusqu’à l’orbite lunaire, où un vaisseau Starship les attendra pour la descente sur la Lune. Cette place essentielle au sein du programme lunaire de la NASA confère à SpaceX une influence non négligeable, à Washington D.C. et au-delà.

       

      DES AMIS BIEN PLACÉS

      La branche du gouvernement américain qui a le plus d’influence sur SpaceX est l’administration fédérale de l’aviation (FAA). Cela pourra surprendre les amateurs de SpaceX, mais compte tenu de ses lancements souvent destructeurs, l’agence s’est en réalité montrée plutôt conciliante avec l’entreprise. Bien que le délai nécessaire à l’obtention des autorisations de la FAA ait retardé le programme Starship de plusieurs mois, les exigences imposées à SpaceX en termes de modifications matérielles et d’atténuation des impacts environnementaux ont été plutôt modérées.

      Depuis le dernier vol d’essai explosif, la FAA a déjà commencé à récolter les informations nécessaires à l’approbation du prochain lancement. Comme le veut l’Endangered Species Act, une loi fédérale américaine destinée à protéger les espèces menacées, l’agence a collaboré avec le Fish and Wildlife Service (FWS) pour approuver chacun des changements apportés à la fusée et à la rampe de lancement. Dans le cas de ce deuxième essai, le problème provenait du nouveau système de déluge, qui a pulvérisé jusqu’à 1,3 million de litres d’eau, dont la majeure partie a été transformée en vapeur, pendant le décollage de Starship. Cette eau était destinée à refroidir une nouvelle plaque d’acier installée par SpaceX pour protéger sa rampe de lancement, qui avait subi des dommages importants lors du premier vol d’essai de Starship en avril dernier.

      La pression exercée sur le FWS ne venait pas simplement du compte X de Musk. Une semaine avant le lancement de samedi, Nelson, administrateur de la NASA, avait déclaré au Washington Post : « Il est essentiel pour nous que SpaceX puisse tester sa fusée. » Tony Gonzales et Vicente Gonzalez, deux représentants des États-Unis (un démocrate et un républicain, tous deux du sud du Texas), ont adressé une lettre publique au FWS afin de demander une approbation rapide. « Les États-Unis sont actuellement engagés dans une course à l’espace avec le reste du monde », ont-ils écrit. « Le gouvernement fédéral se doit de ne pas entraver le développement des entreprises publiques qui poussent les États-Unis à rester un leader dans le domaine de l’exploration spatiale. »

      Mercredi dernier, le FWS et la FAA ont annoncé que le nouveau système de déluge était couvert par un permis de lancement existant déposé en 2022. « Aucun changement environnemental significatif n’a été observé », a affirmé la FAA, autorisant ainsi le lancement de samedi.

      Des décisions permissives comme celle-ci sont désormais habituelles, et ce malgré l’envergure de la fusée et des incidents liés à la retombée de débris enflammés dans des réserves naturelles publiques. Jim Chapman, président de Friends of the Wildlife Corridor, une organisation locale de protection de l’environnement, a accusé la FAA d’être « presque un partenaire » de SpaceX. Son groupe s’est joint au Sierra Club, entre autres organisations, pour intenter une action en justice contre l’État du Texas dans l’objectif de mettre un terme aux essais de la mégafusée, affirmant que les autorités avaient violé la constitution de l’État en faisant des exceptions pour le site de lancement de SpaceX sur la plage de Boca Chica. L’action a échoué en septembre, levant ainsi l’un des rares obstacles aux ambitions de Starship en matière d’essais sur le site texan.

      Elon Musk a triomphé devant les tribunaux, mis les régulateurs à l’épreuve et dominé le secteur des lancements spatiaux commerciaux. Malgré ces indéniables capacités d’exploitation, de manipulation et de persuasion, la science et la physique constitueront cependant les seuls facteurs qui pourront réellement décider du succès du projet Starship. « Je pense qu’ils ont de bonnes chances de réussir », admet Dreier au sujet de la fusée. « Mais cela reste encore à prouver. »

      Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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