La mission Euclid de l'ESA révèle 26 millions de galaxies
Avec seulement sept jours d’observation à son actif en 2024, Euclid a d’ores et déjà découvert le nombre ahurissant de 26 millions de galaxies, ainsi que quelques centaines de singularités astronomiques.

Le télescope spatial Euclid a pour but de sonder un tiers du ciel étoilé au cours de sa mission de six ans. Il zoomera cependant sur trois régions du ciel (en jaune sur l’image ci-dessus) de manière répétitive afin de capturer des clichés en longue exposition de l’espace profond. Ses premières photographies ont révélé l’existence de 26 millions de galaxies.
Une mission spatiale dont le but est de créer une carte en trois dimensions de l’Univers vient de dévoiler des données très précieuses. Et c’est à couper le souffle : des galaxies de toute forme et taille semblent nager dans un sombre océan cosmique moucheté d’étranges petits cercles de lumière stellaire et de trous noirs géants.
L’équipe de la mission Euclid, ce satellite de l’Agence spatiale européenne (ESA), a en tête un projet ambitieux : comprendre les forces qui assurent la cohésion du cosmos tout en pouvant le détruire. Pour ce faire, Euclid a pour mission d’observer des milliards de galaxies au cours des six prochaines années. Les scientifiques se serviront de ces informations pour tenter de répondre à certaines des plus grandes questions astronomiques.
Avec seulement sept jours d’observation à son actif en 2024, Euclid a d’ores et déjà découvert un nombre ahurissant de 26 millions de galaxies, ainsi que quelques centaines de particularités astronomiques étranges. « C’est absolument fascinant », s’émerveille Carole Mundell, astrophysicienne et directrice scientifique de l’Agence spatiale européenne.
Il s’agit de la première salve de données d’Euclid. Les scientifiques, qui viennent tout juste de se pencher sur les clichés capturés par le télescope, ont des étoiles plein les yeux. « La première réaction, humaine, c’est de se rendre compte de leur beauté. Elles nous emportent à travers une aventure au cœur du cosmos profond », raconte Carole Mundell. « C’est une merveille d’ingénierie qui se cache derrière tout cela. »
QUELS MYSTÈRES LES DONNÉES D’EUCLID POURRAIENT-ELLES PERMETTENT DE RÉSOUDRE ?
Parmi les plus grands mystères de l’astrophysique, la matière noire et l’énergie noire, qui constituent 95 % de l’Univers, obsèdent les scientifiques. Que sont-elles exactement et pourquoi affectent-elles l’Univers de cette façon ? La matière noire est une matière indétectable qui lie les galaxies et leurs étoiles plus intimement que la seule gravité ne pourrait l'expliquer. L’énergie noire, quant à elle, est une force invisible qui accélère l’expansion de l’Univers, bien que des mesures récentes du cosmos suggèrent que cette énergie s’affaiblirait au cours du temps.
Les scientifiques ne peuvent pas (encore) détecter l’énergie noire ou la matière noire directement. À la place, ils font ce qui s’en rapproche le plus : estimer la forme du cosmos en étudiant un grand nombre de ses galaxies, leur configuration, leur mouvement et leur position.

L’objectif d’Euclid est de cartographier les formes, tailles et positions des galaxies qu’il découvre. Cette carte aidera les scientifiques à lever le voile sur la dénommée toile cosmique, le vaste réseau de filaments de matière qui connecte les amas de galaxies.
C’est le maître dessein d’Euclid, télescope spatial européen qui doit son nom au mathématicien grec que l’on surnomme le « maître de la géométrie ». Lancé en 2023, il se trouve dans une partie gravitationnellement stable de l’espace, à 1,5 million de kilomètres de la Terre. Là-bas, il s’affairera à étudier un tiers du ciel, en zoomant de manière répétitive sur trois parties spécifiques, connues sous le nom de champs profonds d’Euclid. En découlera la découverte de milliards de galaxies.
« Chaque galaxie est magnifique », déclare Adam Amara, astrophysicien et scientifique en chef de l’Agence spatiale du Royaume-Uni. « Nous n’avons cependant pas conçu [Euclid] pour fournir de beaux clichés. Nous l’avons conçu pour faire de la science dure. »
Idéalement, les télescopes sont équipés de larges champs de vision pour qu’ils puissent observer de vastes portions du ciel, d’une imagerie de haute résolution pour voir au mieux les détails sur leurs clichés et d’une sensibilité élevée pour détecter même la lueur la plus diffuse et la plus éloignée de la lumière d’une étoile. « Nous pouvons habituellement ne choisir que deux de ces trois options. Et, pour la première fois de l’histoire, Euclid a les trois », explique Carole Mundell. « C’est pour moi le véritable pouvoir de ce télescope. »
LA BOÎTE À OUTILS DE L’UNIVERS SOMBRE
La chasse aux galaxies d’Euclid se résume à l’utilisation de trois outils. Le premier, son télescope d’1,20 mètre dont le miroir capture la distante lumière des étoiles avant qu’un filtre, comme un prisme, ne la divise en lumière visible et infrarouge, chacune redirigée vers un outil spécialisé.
L’instrument d’imagerie visible (VIS) est un appareil photo très sensible d’une résolution de 600 mégapixels, 50 fois supérieure à celle de beaucoup de nos smartphones. Grâce à un champ de vision très large et à la capacité de photographier l’espace profond en exposition extrêmement longue, cet appareil peut repérer des milliards de galaxies situées à des distances remarquables, exposant clairement leurs formes et leurs idiosyncrasies.
« Euclid a déjà capturé plus de clichés du ciel que ne l’a fait Hubble en 25 ans », se vante Mike Walmsley, chercheur en machine learning appliquée à l’astronomie et scientifique du consortium Euclid de l’université de Toronto, au Canada.
Le second instrument est le spectromètre et photomètre de proche-infrarouge (NISP), un autre appareil ultra-sensible qui capture la lumière infrarouge et qui peut, entre autres choses, mesurer la distance qui sépare les galaxies de la Terre. Combinées aux images du spectre de la lumière visible d’Euclid, ces données devraient permettre aux scientifiques de générer une carte tridimensionnelle.
« L’association de ces deux instruments nous permettra vraiment de tester l’énergie noire », explique Valeria Pettorino, physicienne et scientifique affectée au projet Euclid de l’ESA.
L’Univers a 13,8 milliards d’années. La magie technologique d’Euclid lui permettra d’observer des galaxies qui se sont formées il y a plus de 10,5 milliards d’années. Cela signifie qu’« Euclid n’est pas simplement un détective de l’Univers sombre, c’est aussi une machine à remonter le temps », confie Carole Mundell.

Un zoom sur l’une des vues d’un champ profond d’Euclid nous montre la nébuleuse de l’Œil de Chat, ou NGC 6543, qui brille au milieu d’un océan de galaxies et d’étoiles. La nébuleuse abrite une étoile mourante et se trouve à peu près à 3 000 années-lumière de la Terre.
LES GALAXIES DÉCOUVERTES PAR EUCLID
Parmi les millions de galaxies découvertes par Euclid, le télescope a documenté une suite de quasars éloignés, des galaxies gravitant autour d’un trou noir supermassif à la lumière aveuglante. « Les images d’Euclid sont si précises, jusqu’à cinq fois plus que celles prises depuis la Terre, que nous avons une vision totalement différente des galaxies », explique Mike Walmsley.
Un autre phénomène présent dans les données d’Euclid obsède les cosmologues : les lentilles gravitationnelles. Parfois, lorsqu’un corps massif, comme une galaxie pleine de matière noire, se trouve devant une autre galaxie, plus éloignée, la lumière de cette dernière est déformée par la galaxie devant elle, comme si elle était concentrée par une lentille optique.
Ce phénomène est connu sous le nom de lentille gravitationnelle et peut révéler des galaxies distantes qui auraient autrement été invisibles aux capteurs d'un télescope comme Euclid. Dans de rares cas, l’ancienne lumière déformée par les galaxies du premier-plan peut résulter en des phénomènes connus sous le nom de lentilles gravitationnelles fortes.
Avant Euclid et après des décennies d’observation moderne du ciel étoilé, près de 1 000 lentilles gravitationnelles fortes avaient été identifiées par les astronomes. Adam Amara n’en revient pas : « En quelques jours, Euclid en a trouvé 500. Juste comme cela. C’est époustouflant. »

Lors d’une phase de test, en septembre 2023, Euclid a photographié la galaxie NGC 6505. Des études plus poussées ont révélé que le télescope avait capturé une lentille gravitationnelle forte, appelée anneau d’Einstein.
L’image de la galaxie NGC 6505, capturée par Euclid, donne à voir une lentille gravitationnelle forte, connue sous le nom d'anneau d’Einstein. La lumière forme un cercle autour d’un corps éloigné. On suspecte ces lentilles fortes d’être de bons moyens de comprendre la matière noire. La manière dont la lumière est déviée pourrait indiquer la quantité, pour l’instant imperceptible, de matière noire autour de la galaxie au premier plan.
Adam Amara s’attend à trouver des centaines de milliers de lentilles gravitationnelles fortes au cours des six prochaines années, ainsi que de nombreux exemples de lentilles faibles.
UTILISER L’IA POUR NAVIGUER À TRAVERS UN OCÉAN DE GALAXIES
Les scientifiques d’Euclid étaient dépassés par le nombre d’objets astrophysiques découverts. « Une fois remis de cette sensation d’émerveillement et de magie, on commence à se rendre compte qu’un seul astrophysicien ne peut étudier des millions et des millions de galaxies », souffle Carole Mundell. « C’est là que l’IA entre en jeu. »
Les programmes d’intelligence artificielle sont très doués pour reconnaître des schémas. L’un de ces programmes, ZooBot, a été déployé afin d’aider les scientifiques d’Euclid à classer les galaxies. Récemment, on a montré des images de galaxies à près de 10 000 humains volontaires, qui ont ensuite été chargés de les classer selon leur forme et leurs caractéristiques. Ces données ont servi à entraîner ZooBot, et le programme a ensuite été chargé de classer les images d’Euclid.
« Cela prendrait environ 150 ans pour regarder tous les clichés de galaxies contenus dans les derniers envois d’Euclid », raconte Mike Walmsley. ZooBot a permis, à la vitesse de l’éclair, de catégoriser plus de 380 000 galaxies selon leur forme, taille et caractéristiques.
Beaucoup d’autres clichés sont attendus et Euclid livre d’ores et déjà des résultats prometteurs. « Nous recevons chaque jour plus de 100 gigaoctets de données », souligne Valeria Pettorino. « À la fin de l'année 2026, nous devrons diffuser un an d’observations, pour un total de plus de deux pétaoctets. C’est l’équivalent de trente-et-un ans passés à regarder la télé avec le meilleur service de streaming vidéo. »
L’auteur Douglas Adams a un jour écrit que personne ne réalisait à quel point l'espace était vaste. Et cela reste vrai à ce jour. Mais Euclid est en train de remplir la toile vide et noire de l’espace avec d’innombrables galaxies colorées.
« Le ciel n'est pas infini », dit Adam Amara. « Et nous sommes en train de le cartographier. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
