Il y aurait eu beaucoup plus d’eau sur Mars que ce que l’on imaginait
Une rivière déchaînée et des dunes couvertes de givre mises au jour par les rovers Perseverance et Zhurong nous révèlent l'histoire de l'eau sur Mars.
Le rover Persévérance de la NASA au 198e jour de sa mission sur Mars.
D'après les découvertes des deux rovers sillonnant la planète rouge, des dunes humides et des rivières impétueuses auraient jadis parcouru la surface de Mars.
Le rover chinois Zhurong a repéré des traces de gel. Celui-ci aurait cimenté les dunes voici 400 000 ans. Plus à l'ouest, le rover Persévérance de la NASA a quant à lui découvert des signes indiquant qu'un cours d'eau rapide et puissant s'était jadis frayé un chemin dans le cratère de Jezero, déversant de l'eau à un rythme effréné.
En 2021, il a été repéré pour la première fois que les dunes étaient constituées d’une croûte, caractéristique récemment décrite dans une étude publiée dans Science Advances. Zhurong, qui a atterri sur Mars en mai 2021, est actuellement en sommeil, n’étant pas parvenu à se réveiller d'une période d'hibernation planifiée, probablement en raison de l'accumulation de poussière sur ses panneaux solaires.
La rivière que Perseverance a repérée dans une autre zone semble être la plus grande jamais découverte sur Mars, atteignant plus de 20 mètres de profondeur à certains endroits d’après la hauteur des formations rocheuses que les scientifiques considèrent comme des bancs de sable préservés.
Les deux découvertes « soulignent qu'il est très utile d’installer des objets à la surface des autres planètes », déclare Jani Radebaugh, chercheuse à l'université Brigham Young dans l'Utah, qui n'a participé à aucune des deux missions. « Nous apprenons quelque chose de nouveau à chaque fois. »
DU GIVRE SUR LE SOMMET DES DUNES
Lorsque la Chine a posé son rover Zhurong sur Utopia Planitia, la communauté des chercheurs spécialistes de la planète rouge s'est interrogée sur le choix du site d'atterrissage. Alors que les observations spatiales avaient conduit à des théories selon lesquelles la région aurait pu être inondée, voire abriter un océan, aucun minéral riche en eau n'avait été détecté.
Zhurong n'a pas tardé à faire ses preuves. Le rover a presque immédiatement identifié des caractéristiques suggérant la présence d'eau près de la surface et les chercheurs ont rapidement signalé l'existence de minéraux hydratés dans la région. Le radar à pénétration de sol du rover a également mis en évidence des inondations soudaines dans cette dernière il y a environ trois milliards d'années.
Zhurong a dernièrement trouvé d'autres signes de la présence d'eau à la surface de Mars, cette fois plus récents. Une croûte s’est développée sur les dunes situées à proximité du rover, probablement façonnée à la suite de l'interaction de l'eau avec les minéraux. Cette eau pourrait provenir du givre qui s’est formé sur les dunes par le passé ou être tombée sous forme de neige il y a des centaines de milliers d'années, lorsque l'inclinaison de la planète a permis ce type de phénomène dans la région. Si le gel ou la neige se mélangent à des sels pour abaisser leur point de fusion, les changements de température sur Mars pourraient provoquer leur dégel.
Les croûtes présentent des caractéristiques polygonales dont les crevasses suggèrent qu'elles se sont contractées et dilatées à plusieurs reprises au fil du temps, « comme des fissures de retrait », explique Jani Radebaugh qui étudie les dunes. « La présence de ces caractéristiques de rétrécissement et de gonflement suggère que ces régions dunaires sont soumises à un processus d'humidification et d'assèchement relativement récent, actuel ou continu ». Les observations météorologiques du rover suggèrent que la vapeur d'eau pourrait se transformer en gel près de la zone d'atterrissage, même aujourd'hui.
La question de savoir si l'eau est devenue liquide reste cependant ouverte. Selon Ralph Milliken, planétologue à l'université Brown et membre de la mission Mars Curiosity de la NASA, la poussière de Mars est enrichie de minéraux qui peuvent absorber la vapeur d'eau contenue dans l'air. Si ce matériau recouvre les dunes, les variations d'humidité au cours de la saison pourraient faire en sorte que la poussière absorbe la vapeur d'eau et la libère à nouveau sans qu'elle ne devienne jamais liquide.
Jani Radebaugh émet cependant l'hypothèse que de l'eau à l’état liquide ait pu s’infiltrer dans les crevasses, les faisant se dilater. « Une grande quantité n’est pas nécessaire », dit-elle. « Il suffit que cela se produise à plusieurs reprises. »
Des croûtes et des formes polygonales similaires ont été observées à d'autres endroits sur Mars, mais jamais sur des dunes, selon Jani Radebaugh.
Les scientifiques pensent qu’une rivière profonde et très rapide pourrait être à l’origine de ces bandes de roches sur Mars.
« Il s'agit probablement d'éléments qui se forment dans de nombreux endroits différents de Mars », explique Ralph Milliken. « Il pourrait s'agir d'un processus qui s'est produit sur une grande partie de la planète dans un passé géologique récent. »
Les croûtes semblent également être responsables de la cimentation des dunes. Dans d'autres régions, ces dernières montrent des signes de mouvement récent mais celles explorées par Zhurong sont figées dans le temps.
Le rover a fourni de nouveaux éléments pour expliquer le fait que « les dunes aient cessé de bouger », explique Xiaoguang Qin, planétologue à l'Académie chinoise des sciences à Pékin qui a dirigé les nouvelles recherches.
L'équipe de Zhurong a utilisé les cratères environnants pour estimer l'âge des dunes gelées entre 0,4 et 1,5 million d'années, un clin d'œil à l’échelle des temps géologiques. Tout le monde n'est cependant pas prêt à accepter une datation aussi récente.
En ce qui concerne ce jeune âge, « je suis très sceptique », déclare le géologue Jack Mustard qui travaille également à Brown. Il souligne que la datation à l'aide de cratères comporte une grande marge d'erreur.
Même sans les cratères, Jani Radebaugh et Ralph Milliken pensent que les dunes sont relativement jeunes. Avec un peu de temps, l'érosion éolienne pourrait faire disparaître la croûte, permettant ainsi aux dunes de se remettre en mouvement.
« Il s'agit sans aucun doute de caractéristiques beaucoup plus récentes que pour n'importe quel type de roche exploré par Persévérance aujourd'hui ou par le rover Curiosity au cours de ces dernières années », explique Ralph Milliken.
UNE RIVIERE IMPÉTUEUSE
Tandis que Zhurong étudiait les infiltrations répétées des dunes, Perseverance explorait les vestiges d'un puissant torrent.
Après la formation du cratère Jezero à la suite d’un impact, les scientifiques pensent que l'eau des réseaux de vallées voisins s'est écoulée dans le site pour former un lac profond il y a des milliards d'années, lorsque celle-ci coulait encore à la surface. Perseverance sonde une zone où l'eau a pénétré dans le lac, à la recherche d'indices sur la manière dont le liquide a perduré à la surface de ce qui est aujourd'hui une planète aride. L'eau s'est-elle écoulée lentement pendant des millions d'années ou bien a-t-elle jailli d’un seul coup ?
Les images capturées par Perseverance en février et mars prouvent qu'il s’est produit au moins un écoulement torrentiel. Des pierres géantes, entraînées par l'eau de la rivière, ont été déposées en une série de bandes courbes, comme des rangées arquées de pavés déposés dans le lit de la rivière. La taille des pierres laisse entrevoir la puissance brute de l'eau lorsqu'elle s'est engouffrée dans l'ancien lac du cratère.
« S’il y a des rochers d'un mètre, ils ne se sont probablement pas déplacés avec à peine quelques centimètres d'eau», explique Ralph Milliken.
Cette colline, surnommée Pinestand, pourrait avoir été formée par une rivière qui a jailli dans un ancien lac de cratère.
Selon Kathryn Stack Morgan, adjointe scientifique du projet Persévérance de la NASA, c'est probablement à l'endroit où la rivière rencontrait le lac que l'écoulement était le plus fort, il est donc logique que des roches plus grosses aient été déposées à cet endroit. Au fur et à mesure que la rivière fusionnait avec le lac du bassin, elle ralentissait, laissant tomber plus loin des particules plus petites et plus fines.
La région, récemment baptisée Skrinkle Haven en référence à une plage d'un parc national britannique, intéresse les géologues depuis plus de quinze ans. Ses bandes de roches pourraient être les vestiges d'une caractéristique courante des cours d'eau : les bancs de sable. Ces structures se forment lorsque les matériaux qui s'écoulent en aval s'accumulent sur les bords ou au milieu.
Ces bancs de sable préservés peuvent en dire long sur l'évolution de la rivière au fil du temps. Si le cours d'eau fait des méandres, ils se déplacent au gré des changements de berges. Les écoulements plus rapides poussent les bancs vers l'aval au fur et à mesure, laissant une trace des différents chemins empruntés par l'eau.
L'un des exemples les plus époustouflants révélés par les nouvelles images est celui de Pinestand, une formation massive qui s'élève à près de 20 mètres de haut. Située 400 mètres plus bas dans le bassin que Skrinkle Haven, Pinestand pourrait représenter un énorme dépôt de sable et de roches provenant de la rivière. Cette structure haute de six étages aurait été complètement submergée.
Persévérance a recueilli un échantillon de Skrinkle Haven qui sera un jour ramené sur Terre pour y être étudié.
La présence d'eau se déplaçant rapidement n'est toutefois pas forcément bon signe pour ceux qui espèrent trouver de la vie à cet endroit. « Ce type de système n'est pas propice à la préservation de matières organiques », explique Jack Mustard.
La zone a néanmoins fourni de nouvelles informations sur l'ampleur et la dynamique des anciennes rivières de la planète.
« Jezero est un endroit en quelque sorte unique... où nous avons des preuves bien préservées de l'accumulation de sédiments au fur et à mesure de la migration de ces rivières », explique Kathryn Stack Morgan. « Il existe d'autres endroits où l'on trouve des systèmes de ce type, mais je ne me souviens pas d'un exemple aussi spectaculaire que celui de Jezero. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.