Malgré la pandémie, le Feu sacré de Jérusalem a parcouru le monde orthodoxe

Depuis plus de mille ans, les chrétiens orthodoxes célèbrent à Jérusalem la cérémonie du Feu sacré. Même en ces temps troubles, il continue d'apporter sa lumière aux fidèles.

De Kristin Romey
Publication 21 avr. 2020, 14:57 CEST
En temps normal, plus de 10 000 pèlerins se rassemblent au sein de l'église du Saint-Sépulcre pour recevoir ...

En temps normal, plus de 10 000 pèlerins se rassemblent au sein de l'église du Saint-Sépulcre pour recevoir le Feu sacré. En raison des mesures de distanciation sociale, l'accès à la cérémonie de cette année était interdit au public et restreint à une dizaine d'ecclésiastiques en provenance des différentes dénominations chrétiennes qui composent la communauté du Saint-Sépulcre.

PHOTOGRAPHIE DE Natan Dvir, Polaris

Il y a trois ans, j'étais aux premières loges de l'un des événements les plus anciens, exubérants et terrifiants auxquels il m'ait été donné d'assister dans un lieu de culte : la cérémonie du Feu sacré.

Selon la tradition ecclésiastique, chaque veille de la Pâque orthodoxe, le 18 avril cette année, une flamme apparaît miraculeusement dans le tombeau de Jésus Christ au sein de l'église du Saint-Sépulcre de Jérusalem. La flamme est ensuite recueillie par le patriarche orthodoxe de la ville qui pénètre en premier le tombeau, les mains chargées de cierges éteints, avant d'en ressortir, les mêmes cierges désormais consumés par le Feu sacré.

Autour du tombeau, plus de 10 000 pèlerins impatients éclatent alors de joie, les cloches résonnent et le Feu sacré passe en toute hâte de cierge en cierge.

La même cérémonie cette année.

La même cérémonie cette année.

PHOTOGRAPHIE DE Natan Dvir, Polaris Pour National Geographic

En quelques secondes, l'église ancestrale aux allures de sombre caverne semble dévorée par les flammes alors que les cris et les chants des participants atteignent leur crescendo. Les cierges s'embrasent et la foule se déverse à travers les gigantesques portes en bois pour gagner les rues pavées de la vieille ville de Jérusalem, où d'autres attendent leur tour de recevoir la sainte flamme.

Pour les centaines de millions de fidèles orthodoxes, le Feu sacré symbolise la résurrection de Jésus et l'apparition de la flamme en son tombeau est considérée comme un miracle annuel dont l'arrivée est attendue avec impatience et dûment célébrée.

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    Le patriarche orthodoxe de Jérusalem, Théophile III (au centre), fait le tour de l'Édicule dans une église vide avant le début de la cérémonie du Feu sacré.

    PHOTOGRAPHIE DE Natan Dvir, Polaris Pour National Geographic

    La cérémonie annuelle du Feu sacré se déroule au sein de l'église du Saint-Sépulcre, le Samedi saint, depuis plus de mille ans. Cependant, alors que la crise du coronavirus fait rage à travers la planète, Jérusalem n'a pas échappé aux mesures de confinement.

    L'église du Saint-Sépulcre est interdite d'accès au public jusqu'à nouvel ordre pour la première fois depuis 1349, date à laquelle une autre pandémie, la peste noire, avait contraint ce lieu sacré du christianisme à fermer son immense portail. Malgré la crise, la cérémonie du Feu sacré s'est déroulée ce samedi 18 avril à Jérusalem comme à son habitude, en se pliant toutefois à quelques restrictions induites par cette pandémie qui bouleverse la façon dont le monde vit et exerce sa foi.

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    Cérémonie du Feu sacré de 2005, des fidèles se transmettent la flamme avec joie au sein de l'église. La plupart des participants se munissent de paquets de 33 cierges de cire d'abeille en référence aux 33 années que Jésus passa sur Terre.

    PHOTOGRAPHIE DE Natan Dvir, Polaris

    Seule une dizaine d'ecclésiastiques en provenance des six communautés chrétiennes se réclamant du Saint-Sépulcre étaient présents cette année, accompagnés d'une poignée d'agents de la police de Jérusalem et de quelques médias.

    À l'instar des précédentes éditions, la cérémonie a fait l'objet d'une retransmission en direct mais, cette fois, les spectateurs installés derrière leur écran de Nicosie à Moscou ont assisté à une scène dépourvue de pèlerins, privée de cet instant fabuleux où l'église explose dans une vague de flammes et de cris de joie. Vêtus d'une soutane noire et refusant pour certains de recouvrir d'un masque leur longue barbe, les célébrants avaient la mine sombre, même si quelques sourires et une accolade pas si socialement distante ont pu être aperçus juste après la sortie de l'Édicule du patriarche Théophile III brandissant le Feu sacré.

    Deux prêtres aident le patriarche Théophile III à porter le Feu sacré à sa sortie de l'Édicule. ...

    Deux prêtres aident le patriarche Théophile III à porter le Feu sacré à sa sortie de l'Édicule. La flamme qui apparaîtrait miraculeusement chaque année dans le tombeau de Jésus le Samedi saint symbolise la résurrection du Christ.

    PHOTOGRAPHIE DE Natan Dvir, Polaris Pour National Geographic
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    Le Père Révérend Sarukhanyan porte les cierges allumés par le Feu sacré au sein de l'église du Saint-Sépulcre. La flamme sacrée passe de bougie en bougie au sein des communautés locales avant d'être transportée aux quatre coins du monde orthodoxe en avion ou en voiture.

    PHOTOGRAPHIE DE Natan Dvir, Polaris Pour National Geographic

    Comme il l'a fait pendant des siècles, le Feu sacré de cette année a également été acheminé jusqu'aux coins les plus reculés du monde orthodoxe. Des lanternes contenant la flamme ont été installées dans des voitures et conduites à Gaza, Ramallah, Bethléem et par-delà les frontières en Égypte et en Jordanie.

    Depuis la Jordanie, la flamme embrasée à Jérusalem ira probablement apporter sa lumière aux petites communautés chrétiennes au plus profond des zones de guerre que sont la Syrie et l'Irak.

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    L'archevêque Démétrios de Lydda porte le Feu sacré à travers la rue HaNotsrim (« Les Chrétiens ») de la vieille ville de Jérusalem. Une poignée de fidèles chanceux ont eu l'occasion de cueillir la sainte flamme pendant que la procession descendait les rues placées en quarantaine.

    PHOTOGRAPHIE DE Natan Dvir, Polaris Pour National Geographic
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    Le Consul général Sofianopoulos confie le Feu sacré l'exarque du Saint-Sépulcre en Grèce, Archimandrite Damianos, pendant que les pilotes de la compagnie aérienne nationale observent la scène. Le Feu atterrira à Athènes et dans d'autres nations aux communautés orthodoxes importantes où il est traditionnellement accueilli en grande pompe par les fidèles.

    PHOTOGRAPHIE DE Natan Dvir, Polaris Pour National Geographic

    Le Feu sacré est également acheminé par les airs dans d'autres pays, à l'aide de réceptacles spécialement conçus pour le transport de flamme nue en cabine pressurisée. D'ordinaire, la flamme est accompagnée hors de Jérusalem par des personnalités publiques ou de hauts dignitaires et généralement accueillie par de joyeuses fanfares une fois arrivée à destination.

    Cette année cependant, avec la coordination du ministère israélien des Affaires étrangères, dix avions, un pour chaque pays à savoir la Grèce, la Russie, l'Ukraine, la Géorgie, le Kazakhstan, Chypre, la Roumanie, la Moldavie, la Biélorussie et la Pologne, s'étaient posés sur le tarmac de l'aéroport de Ben Gurion, une scène remarquable à l'heure où le pays ne reçoit plus qu'un à deux vols par jour. Ils attendaient l'arrivée d'un convoi de véhicules après son bref passage sur l'autoroute séparant Jérusalem de Tel-Aviv. S'en est suivi un échange soigneusement chorégraphié, respectueux des distances sociales, entre chaque délégation et les passagers en quarantaine des différents avions qui ont ensuite décollé les uns à la suite des autres, Feu sacré à leur bord, vers un accueil teinté cette année de mutisme et d'anxiété.

    Avant ma participation à la cérémonie du Feu sacré en 2017, je ne saisissais pas la profonde signification et l'histoire de cet événement. C'est l'une des plus grandes et anciennes célébrations du calendrier chrétien, un « miracle » annuel consigné pour la première fois en 876 par un moine français. Cependant, la nature même de ce miracle lui a valu d'être pris pour cible à plusieurs reprises au cours des siècles.

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    Archimandrite Damianos porte une lanterne à l'aéroport international d'Athènes allumée du Feu sacré rapporté de Jérusalem en Grèce à peine quelques heures plus tôt, le jour du Samedi saint.

    PHOTOGRAPHIE DE Muhammed Muheisen, National Geographic

    La destruction de l'église du Saint-Sépulcre en l'an 1009 serait le fruit de la colère du chef musulman de Jérusalem face à la « supercherie » du feu annuel. Le tombeau de Jésus au sein duquel apparaîtrait le feu a survécu à la destruction puis la reconstruction de l'église.

    Puis, deux siècles plus tard, le pape Grégoire IX aurait interdit à ses disciples de participer à la cérémonie en criant lui aussi à l'escroquerie. En 1054, le grand schisme d'Orient à travers lequel se séparèrent les Églises d'Orient et d'Occident contribua à garantir la continuité de la cérémonie du Feu sacré, mais uniquement pour les fidèles orthodoxes.

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    Des femmes rapportent le Feu sacré, arrivé quelques heures plus tôt de Jérusalem, chez elles à Athènes, dans le quartier confiné de la Plaka. Les autorités grecques ont imposé des mesures strictes de distanciation sociale pour empêcher les croyants de se rassembler pendant la Semaine sainte.

    PHOTOGRAPHIE DE Muhammed Muheisen, National Geographic

    Je ne m'inclus pas dans les 260 millions d'adeptes de l'Église orthodoxe, mais il m'arrive souvent de repenser à ce Samedi saint d'avril 2017, à la joie et la révérence manifestées sans aucune retenue par les milliers de personnes qui m'entouraient à mesure que la sainte flamme émergeait du tombeau et passait de cierge en cierge. Cette soudaine explosion de chaleur, de lumière et de bonheur m'avait tout simplement laissée le souffle coupé.

    Ce souvenir m'a de nouveau envahie samedi dernier, assise devant l'écran de mon ordinateur à l'intérieur de mon appartement, confinée, à regarder ce groupe de célébrants si petit réaliser les différentes étapes d'un rituel complexe qui a survécu à la destruction, au schisme, au passage de plus de mille années et qui continue d'être pratiqué en ces temps incertains de pandémie.

    Cet article a reçu l'appui de la National Geographic Society.
    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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