Les confessions de ce loup-garou ont terrifié l’Europe au 16e siècle

En 1589, lors d’un épisode de terreur lycanthropique, Peter Stumbb, un fermier allemand, avoua des crimes sauvages sous la torture. Il fut condamné à mort lors d’un procès brutal.

De Isabel Hernández
Publication 27 oct. 2024, 10:42 CET
The werewolf

 « Le Cannibale », gravure de Lucas Cranach l’Ancien, présente une vision horrifique d’un loup-garou en train de commettre un carnage.

 

PHOTOGRAPHIE DE METROPOLITAN MUSEUM / SCALA, FLORENCE, Scala, Florence

Le 31 octobre 1589, une foule immense se réunit dans la ville allemande de Bedburg, près de Cologne, pour assister à une exécution. Le condamné se nommait Peter Stumbb, fermier de cinquante ans qui venait d’avouer avoir pactisé avec le diable. Peter Stumbb n’était pas là parce qu’il avait voulu se voir couvrir d’or, mais parce qu’il voulait pouvoir se transformer en loup-garou. Au nombre de ses crimes choquant, on comptait de multiples meurtres et des actes de cannibalisme. Sur les seize personnes qu’il avait assassinées, treize étaient des enfants, parmi lesquels son propre fils dont il aurait dévoré le cerveau. Il admit également avoir eu des relations sexuelles avec sa fille et avec un succube (un démon déguisé en femme de toute beauté). « Parmi tous ceux à avoir jamais vécu, aucun ne fut comparable à ce chien de l’enfer », affirma un compte-rendu de son exécution.

Lors de son exécution, Peter Stumbb (parfois orthographié Stumpp, Stubbe ou Stumpf) souffrit le martyre. On l’attacha à une roue et on l’écorcha vif. Ses os furent broyés. On le décapita et on brûla son corps sur un bûcher. En guise d’avertissement, sa tête fut empalée sur une pique placée au centre du village.

 

LOUPS ET SORCIÈRES

La nature macabre des crimes commis par Peter Stumbb et du châtiment qu’il subit s’empara de l’imaginaire collectif. Si son procès et sa mise à mort sortaient du lot, il ne s’agissait toutefois pas d’un cas isolé. En Europe, entre le 15e et le 18e siècles, famines, pestes, guerres et luttes religieuses donnèrent lieu à toutes sortes de superstitions ; on se mit à craindre les sorcières, qui étaient généralement des femmes, et les loups-garous, généralement des hommes.

Les accusations de lycanthropie furent souvent liées aux accusations de sorcellerie quoique ces premières fussent bien moins fréquentes. Certaines régions n’ont semble-t-il jamais connu de procès pour lycanthropie du tout. En Angleterre, où les loups ont été presque totalement éradiqués au 16e siècle, il n’existe aucun témoignage de tels procès. Il n’en existe pas non plus dans le bassin méditerranéen.

Les épisodes de terreur lycanthropique survinrent principalement dans des régions boisées où vivaient des loups sauvages et où il était coutume de pratiquer l’élevage, en Allemagne et en France notamment. La crainte que des loups sauvages ne s’en prennent à des animaux ou à des enfants se mua en peur des loups démoniaques. En effet, entre la présence avérée de loups atteints de la rage et l’imputation des « crimes » commis par ces derniers à des loups-garous, il n’y avait qu’un pas.

On recense au maximum 300 procès pour lycanthropie en Allemagne lors de l’époque moderne. Si ce nombre n’est pas négligeable, il fait pâle figure face aux 30 000 à 45 000 exécutions pour sorcellerie recensées dans le pays à la même période.

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    Les récits imprimés relatant le procès de Peter Stumbb étaient populaires en Allemagne et à travers l’Europe, mais beaucoup n’ont pas survécu à l’épreuve du temps. Un des seuls à nous être parvenus est un pamphlet illustré de seize pages, publié à Londres en 1590. Il s’agit d’une des principales sources d’informations sur Peter Stumbb (dénommé Stubbe dans cette version) et sur le supplice qu’il a subi.

     

    PHOTOGRAPHIE DE British Library

    Les personnes accusées de lycanthropie étaient généralement des hommes, mais pas toujours, et la plupart étaient des bergers. « On considérait que les loups étaient forts, violents et agressifs, des traits que l’on associe généralement aux hommes », explique Brian Levack, professeur émérite d’Histoire de l’Université du Texas à Austin. Selon la plupart des témoignages de contemporains de Peter Stumbb, ce dernier se transformait en lycanthrope en mettant une ceinture en peau de loup que lui avait donné le diable. En enlevant la ceinture, Peter Stumbb reprenait sa forme humaine. Brian Levack attire l’attention sur le fait que les loups-garous avaient tous recours à un instrument pour se transformer, une caractéristique de la sorcellerie masculine. « Ils se servaient tous d’un instrument ou d’un autre dans leur pratique de la magie, comme Stumbb avec sa ceinture magique […], tandis que les formes les plus prosaïques de la magie de village, censément pratiquées par des sorcières, consistaient principalement en des sorts, des malédictions ou diverses concoctions. »

     

    TROP PEU DE SOURCES

    Malgré la curiosité suscitée par le procès, les preuves historiques du supplice subi par Peter Stumbb sont maigres. Aucune retranscription d’interrogatoire, ni aucun dossier judiciaire produit durant le procès ne nous sont parvenus. Pour obtenir des renseignements sur Peter Stumbb, les historiens n’ont qu’un maigre corpus de pamphlets et de prospectus. Le plus long d’entre eux est un pamphlet anglais publié en 1590. Ce texte de seize pages affirme être la traduction d’un texte allemand, mais les historiens n’ont jamais découvert le document original.

    Ce que l’on sait de la vie de Peter Stumbb provient en grande partie de ces témoignages, bien qu’ils divergent beaucoup. Même son nom varie selon les versions. Selon certains, on l’aurait surnommé Stumpf (qui signifie « moignon » en allemand), car il avait perdu le bras gauche dans un accident.

    Les spécialistes ne savent pas vraiment quand il est né, mais tous les documents indiquent qu’il était éleveur. Il aurait habité Epprath, village situé près de Bedburg. Selon certains, qui se fondent sur cette description donnée par un pamphlet anglais datant de 1590, il aurait été un riche propriétaire terrien :

    Il traversait les rues de Cologne, de Bedburg et d’Epprath, la mise soignée, en toute urbanité, un homme que n’importe quel habitant des environs eût pu reconnaître, et maintes fois fut-il salué par ceux dont il avait massacré les amis et les enfants, bien que rien ne le désignait encore.

    Cependant, cette description n’est probablement rien de plus qu’un peu de fard dramatique. En effet, aucune autre source existante ne permet de corroborer ces affirmations.

     

    MOBILES

    Les détails concernant l’affaire Peter Stumbb proviennent forcément de ces sources captieuses qui présentent des éléments surnaturels comme des faits. Une des versions raconte ainsi les événements qui ont mené à l’arrestation de Peter Stumbb : après s’être battu avec un loup et lui avoir coupé la patte gauche avec son épée, un éleveur de la région croise Peter Stumbb et s’aperçoit qu’il lui manque, à lui aussi, le bras gauche. Il n’en faut pas plus pour que l’on soupçonne Peter Stumbb et le loup d’être une seule et même entité.

    Dans le pamphlet anglais, l’arrestation de Peter Stumbb est plus spectaculaire. Après une série de meurtres et de morts de bêtes, des villageois se mettent à faire des rondes. Ils aperçoivent Peter Stumbb sous sa forme lycanthropique et le prennent en chasse. Ce dernier enleva alors sa ceinture magique et reprend une forme humaine à la vue de ses poursuivants. Une fois son identité établie par le groupe, il fut arrêté.

    La culpabilité de Peter Stumbb repose sur les aveux qu’il fait ensuite et qui sont obtenus sous la torture et la menace de nouveaux sévices : « Ainsi appréhendé, on l’installa presque aussitôt sur le chevalet […] mais craignant la torture, il confessa volontiers sa vie tout entière. » Selon certains historiens, il est tout à fait possible que Peter Stumbb ait été un meurtrier. L’un d’eux avance même que les légendes entourant les loups-garous ont été inventées afin d’expliquer l’existence des tueurs en série. Mais même s’il ne l’était pas, il est probable qu’on lui ait attribué toute attaque de loup étant survenue dans la région à ce moment-là. De plus, un autre facteur historique étaie l’idée selon laquelle Peter Stumbb n’était qu’un bouc émissaire. Les crimes qu’on lui impute coïncident avec la guerre de Cologne (1583-1588), un conflit qui vit s’opposer des factions protestantes et catholiques, et lors duquel des mercenaires itinérants parcouraient la région. Des crimes non résolus ont très bien pu donner naissance à des légendes populaires sinistres racontant qu’un loup-garou rôdait dans les forêts. Il est possible que Peter Stumbb ait été choisi pour purger, par son exécution, le mal de sa communauté au moyen d’un rite.

    Les crimes de Peter Stumbb peuvent également s’expliquer par le contexte de guerre de religions. En 1589, la faction catholique avait la mainmise sur la région de Bedburg. On comprend que l’organisation d’un procès brutal ait pu servir à dissuader les protestants de se rebeller et ainsi à renforcer le pouvoir catholique. Peter Stumbb, qui se serait converti au protestantisme, a pu à ce titre servir d’exemple.

    Certains spécialistes acceptent ce point de vue, mais Brian Levack le conteste. « Stumbb n’a pas été poursuivi en justice pour mettre en garde les autres protestants mais parce qu’on l’avait accusé d’être un dépravé moral, sans tenir compte de son obédience religieuse », conclut-il.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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