Toutankhamon a-t-il vraiment régné ?

Arrivé au pouvoir avant ses 10 ans, décédé sans avoir dépassé la vingtaine, le pharaon Toutankhamon reste encore aujourd'hui l’un des souverains les plus connus de l'Égypte antique. Du haut de son jeune âge, a-t-il réellement pu gouverner son peuple ?

De Lou Chabani
Publication 4 nov. 2022, 19:43 CET
Du masque en or de Toutankhamon, Carter écrivait : « Contrastant avec la couleur sombre du corps, un ...

Du masque en or de Toutankhamon, Carter écrivait : « Contrastant avec la couleur sombre du corps, un magnifique masque d’or brillant, représentant le visage du pharaon, couvrait la tête et les épaules […]. Le masque d’or, spécimen unique de l’art antique, avait une expression triste mais calme, suggérant la jeunesse prématurément surprise par la mort. »

PHOTOGRAPHIE DE pgaborphotos, istock via Getty Images

Le règne de Toutankhamon, de 1345 à 1327 avant notre ère, fut celui d’un enfant roi entouré de nombreux conseillers qui, d’après les récits, monta sur le trône entre ses 6 et ses 9 ans. Ses conseillers étaient des figures politiques puissantes dont le degré d’influence reste encore incertain pour les archéologues.

En l’absence de ressources écrites conséquentes, il est très difficile pour les archéologues de comprendre les rouages de la politique égyptienne. Cependant, les rares éléments découverts ont permis aux chercheurs de faire quelques déductions.

« En fin de compte, il s’agit surtout d’intuitions informées […] par l’usage de raisonnement logique et de modélisation », explique le docteur en archéologie Barry Kemp, de l’Université de Cambridge.

« Cependant, plus on remonte dans le temps, plus nos déductions deviennent incertaines. Certains parallèles sont possibles avec l’Europe médiévale, les papes de l’époque s’étant impliqués dans des opérations militaires. Mais pour autant, il ne faut pas essayer de pousser trop loin. »

Si Toutankhamon est aujourd’hui encore l’un des souverains antiques les plus célèbres au monde, c’est avant tout pour le trésor qu’il nous a laissé.

Découverte dans la Vallée des Rois le 4 novembre 1922 par Howard Carter, la tombe du pharaon est aujourd’hui encore la seule des soixante-trois sépultures royales de la vallée à avoir été retrouvée quasiment intacte. Ce dimanche 13 novembre à 21 h, retrouvez le documentaire événement qui retrace ce mystère, « LE TOMBEAU MAUDIT DE TOUTANKHAMON » sur la chaîne National Geographic.

Rempli de plusieurs centaines d’artefacts, allant de nombreuses amphores à un somptueux char d’or, le trésor de Toutankhamon donne un aperçu fascinant de la vie du jeune pharaon.

« Nos informations [sur Toutankhamon] nous sont parvenues par sa tombe », affirme le Dr Zahi Hawass, égyptologue, archéologue et ancien ministre des Antiquités égyptiennes. « Elle nous a rapporté des informations sur ses aliments et ses boissons préférées, ses meubles… tout à son sujet en tant que personne, mais peu sur sa politique. »

Sur le mur nord de la chambre funéraire de Toutankhamon, trois scènes planifient son voyage vers ...

Sur le mur nord de la chambre funéraire de Toutankhamon, trois scènes planifient son voyage vers l’au-delà. La première (à droite) décrit « l’ouverture de la bouche ». Lors de ce rituel, le successeur de Toutankhamon, Aÿ, vêtu d’une peau de léopard et tenant un outil appelé « herminette », fait revivre de façon symbolique le pharaon momifié, représenté ici comme Osiris. Au centre : Nout, la déesse du Ciel, accueille Toutankhamon, habillé en roi vivant, au royaume des dieux. À gauche : dans la scène finale, Toutankhamon (avec une coiffe rayée) et son ka étreignent Osiris, avec lequel le souverain ne fait plus qu’un.

PHOTOGRAPHIE DE Sandro Vannini

 

LA REINE SANS VISAGE, LE PRÊTRE ROI ET LE ROI DES DIEUX

L’un des évènements phares du règne de Toutankhamon fut avant tout la réinstauration du culte d’Amon-Rê, après son abolition par son propre père, Akhenaton. Ayant régné sur l’Égypte antique entre 1371 et 1338 avant notre ère, le père de Toutankhamon rejeta le culte traditionnel du dieu Amon-Rê et du panthéon égyptien pour se focaliser sur le culte du dieu soleil Aten.

D’après le Dr Hawass, cette décision lourdement critiquée par les prêtres d’Amon poussa Akhenaton à quitter Thèbes, l’actuelle Louxor, pour s’installer dans la ville récemment découverte d’Amarna : une capitale éphémère qui fut abandonnée à la fin de son règne, tout comme le culte d’Aten.

« L’hostilité qu’Akhenaton [s’attira] ne semble pas s’être concentrée sur Aton », souligne cependant le Dr Kemp. « Après [sa mort], le statut d’Aten fut réduit comme l’une des manifestations du dieu solaire Ra-Horus […] mais la rancœur était dirigée vers Akhenaton lui-même. Plus tôt cette année, nous avons trouvé deux blocs provenant d’un temple d’Aten : ils représentaient les rayons d’Aten, intacts […] mais à côté, une scène représentant la famille royale avait été soigneusement effacée et remplacée. »

Le temple fut toujours utilisé durant le règne d’Horemheb, un autre conseiller de Toutankhamon. Selon le Dr Kemp, cette découverte démontre que le dieu Aten continuait à être vénéré à moindre échelle, tandis que son créateur était effacé de l’Histoire par ses successeurs.

Selon la légende, le tout jeune Toutankhamon entreprit de défaire tout ce que son père avait construit, et ce dès son arrivée sur le trône : une décision radicale et surprenante de la part d’un souverain aussi jeune. Néanmoins, en se penchant d’un peu plus près sur le contexte politique de l’époque, on découvre une situation bien plus complexe dans laquelle seraient intervenues plusieurs personnalités politiques importantes.

Entouré de conseillers, et séparé du règne de son père par la brève régence d’Ânkh-Khéperourê, l’une des rares pharaonnes d’Égypte, Toutankhamon semble en effet avoir été influencé par plusieurs personnes.

Si les avis des archéologues divergent encore quant au rôle occupé par chacun, le retour au culte d’Amon-Rê pourrait en réalité être attribué à la reine qui le précéda sur le trône, et dont l’identité fait encore l’objet de débats de la part des archéologues.

« Il s’agit sans doute de sa sœur, Mérytaton, qui aurait succédé à leur père, Akhenaton. Pour les Égyptiens, ce culte exclusif avait conduit le pays au désastre. Il était temps de revenir aux anciennes croyances et c’est Mérytaton qui s’y [employa] », explique Florence Quentin, égyptologue française et autrice du livre Égypte ancienne, Vérités et Légendes. « Lorsque Toutankhamon [accéda] au pouvoir, la religion aténiste n’existait donc déjà plus, elle [ne survécut pas] à la mort d’Akhenaton et de Néfertiti, et à l’abandon de leur capitale, Tell el-Amarna. »

Une autre femme pourrait également se cacher derrière le masque de la monarque : la mère de Toutankhamon, la reine Néfertiti.

« Je pense que la reine Néfertiti [devint] la co-régnante d’Akhenaton au milieu de son règne, puis aurait changé son nom pour Néfernéferouaton [l’un des noms connus d’Ânkh-Khéperourê] et serait devenue pharaonne pendant trois ans après la mort d’Akhenaton, sous le nom royal de Smenkhkarê, qui est présent dans la ville d’Amarna. »

Une autre personnalité pouvant se cacher derrière cette décision pourrait également être le conseiller et successeur de Toutankhamon, le « Divin Père » Aÿ, arrivé sur le trône d’Égypte de 1327 à 1323 avant notre ère.

Aujourd’hui encore, ses origines restent nébuleuses : beau-frère d’Amenhotep III pour les uns, père de Néfertiti pour les autres, il est avant tout connu pour son influence dans les sphères religieuses de l’Égypte antique. « Il semblerait qu’Aÿ ait eu une sorte d’arrangement avec les prêtres d’Amon pour ramener Toutankhamon à Amon et, en retour, ils lui auraient donné le trône », raconte le Dr Hawass.

« Pour effacer le traumatisme engendré par la réforme politico-religieuse d’Akhenaton, [il fallait] imposer le pouvoir et la légitimité de Toutankhamon comme roi d’Égypte », pointe l’égyptologue française. « Mais bien sûr, ces nouvelles dispositions servaient la puissance des prêtres, surtout thébains, qui retrouvaient la place prépondérante qu’ils avaient perdue durant le règne d’Akhenaton. »

« Sur le long terme, les prêtres d’Amon [devinrent] les souverains du sud de l’Égypte à la fin du Nouvel Empire [en 1000 avant notre ère, soit trois siècles plus tard] », ajoute le Dr Kemp. « Néanmoins, il s’agissait de prêtres possédant leur propre armée, ce qui vient défier les préconceptions de la nature des prêtres de l’Égypte antique. »

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    PHOTOGRAPHIE DE Kenneth Garrett, National Geographic Creative

     

    LE KHÉPESH ET L'ÂNKH

    Si les pharaons étaient enterrés dans la Vallée des Rois, les hauts fonctionnaires égyptiens reposent quant à eux à Saqqarah. Parmi eux, on retrouve le généralissime et futur pharaon Horemheb : figure majeure du règne de Toutankhamon et successeur d’Aÿ sur le trône d’Égypte, il fut le dernier pharaon de la 18e dynastie, de 1323 à 1295 avant notre ère.

    Si Aÿ était certainement le détenteur du pouvoir religieux au cours du règne de l’enfant roi, Horemheb était responsable du pouvoir militaire.

    « [Horemheb] détenait un pouvoir très important, à la manière d’un Premier ministre, juste au-dessous du roi. La liste de titre qui lui [fut attribuée] est impressionnante », raconte Florence Quentin. « Chef des troupes, chef du pays tout entier, confident du roi dans son palais, grand des grands, chancelier du roi, etc. Il [eut] certainement une vraie influence sur le jeune monarque. »

    « Les bénéficiaires principaux de la chute du règne d’Akhenaton, c’était l’armée », précise le Dr Kemp, avant de mettre immédiatement en garde contre les conclusions hâtives à ce sujet. « On ne sait presque rien de ses origines et de ses relations avec les Ramsès et les Séthi, de la dynastie suivante. Sans ces informations, il est difficile de connaître les processus de prise de décision de l’époque. »

    Chargé du devoir militaire, il est possible qu’Horemheb ait aidé Toutankhamon dans la gestion des relations avec les royaumes voisins.

    « [Toutankhamon tenta] de contrôler ses vassaux en signant un accord avec les menaçants Hittites », raconte Florence Quentin. « Conduits par le général Horemheb, les Égyptiens [parvinrent] à équilibrer les forces en présence, en s’alliant notamment avec les Assyriens. »

    Malheureusement, la paix instaurée avec les Hittites fut de courte durée : la veuve de Toutankhamon les supplia de leur envoyer un prince pour monter sur le trône, mais ce dernier fut assassiné en chemin, plongeant les deux royaumes dans une guerre de plusieurs décennies.

    Devant tous ces éléments, les avis des archéologues divergent et plusieurs théories cohabitent.

    « Je pense que Horemheb s’occupait de maintenir la paix avec l’extérieur et qu’Aÿ s’occupait du gouvernement interne, tandis que Toutankhamon servait de figure de proue », propose le Dr Hawass.

    « Personne n’est jamais réellement autonome », nuance le Dr Kemp. « Nous sommes tous un mélange de nous-même et des influences de notre entourage. Le roi anglais Édouard VI monta aussi sur le trône à 9 ans et ne régna que pendant six ans, pourtant il aida à promouvoir la cause protestante, qui était très controversée à l’époque [du 16e siècle], et était vu comme un bon souverain, qui fonda de nombreuses écoles. »

    Florence Quentin replace également le règne de Toutankhamon dans un contexte politique tumultueux, pouvant expliquer l’apparente absence de ses accomplissements politiques.

    « [Akhenaton] ayant renoncé pendant dix ans aux constructions de grande ampleur, Toutankhamon [œuvra, restaura et bâtit] à Karnak, au temple de Louxor, où il [fit] décorer les murs de la colonnade », souligne l’égyptologue. « En dix ans de règne, Toutankhamon [lança] de nombreuses réalisations dans l’ensemble du pays […]. Mais, jugé illégitime car associé au règne […] d’Akhenaton, le jeune monarque au masque d’or [vit] ses réalisations détruites ou usurpées, et son règne effacé de l’histoire officielle et des listes royales. »

    Il semble donc impossible de pleinement déterminer l’étendue de l’influence des conseillers de Toutankhamon sur son règne. Néanmoins, qu’ils aient été ses fidèles guides ou les éminences grises de l’Égypte antique, il est aujourd’hui clair que le jeune souverain ne gouvernait pas seul.

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