La grande popularité des bouledogues remonterait à la Rome antique

En Turquie, la découverte d'une tombe vieille de 2 000 ans suggère que les Romains de l'Antiquité auraient été les premiers à effectuer un élevage sélectif des races de chiens "à face plate", ou brachycéphales, telles que les bouledogues et les carlins.

De Tom Metcalfe
Publication 16 août 2023, 20:49 CEST
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Les chiots de bouledogues français ont le nez plat, de grands yeux et des expressions ridées, la recette parfaite pour séduire les humains, y compris, apparemment, à l'époque de la Rome antique.

PHOTOGRAPHIE DE BRIAN DROUIN, Nat Geo Image Collection

Les chiens « à face plate », comme les carlins et les bouledogues, techniquement connus sous le nom de chiens brachycéphales, sont indéniablement mignons : avec leur nez plat, leurs grands yeux et leurs expressions ridées, ils ressemblent à d’éternels petits chiots.

La brachycéphalie est une malformation qui peut être causée par plusieurs gènes différents, et il est probable que des humains aient, à plusieurs reprises et à travers diverses régions du monde, volontairement effectué un élevage sélectif chez des chiens dans le but de leur conférer des caractéristiques brachycéphales. Le carlin, par exemple, aurait été créé en Chine il y a plus de 1 000 ans.

La remarquable découverte d’une tombe vieille de 2 000 ans en Turquie suggère désormais que les Romains de l’Antiquité élevaient, eux aussi, des chiens à face plate dans l’objectif d’en faire des animaux de compagnie. Les restes d’un petit chien, enterrés dans cette tombe aux côtés d’une personne qui était probablement son propriétaire, présentent des traits qui ne sont pas sans rappeler ceux des bouledogues français, et comptent parmi les plus anciens spécimens brachycéphales jamais découverts à ce jour.

Les traits distinctifs des chiens brachycéphales ou « à face plate », comme ce carlin, sont le résultat d'une mutation génétique. La découverte de restes d'un petit chien brachycéphale dans une tombe romaine suggère que l'élevage sélectif destiné à favoriser ces caractéristiques existait déjà durant l'Antiquité.

PHOTOGRAPHIE DE Rebecca Hale

 

LES RESTES D’UN CHIEN BIEN-AIMÉ

La découverte, décrite en début d’année dans le Journal of Archaeological Science: Reports, fut réalisée en 2007 dans l’ancienne nécropole de Tralles, tout près de l’actuelle ville d’Aydın, sur la côte égéenne de la Turquie. L’une des tombes retrouvées, qui dataient toutes des époques romaine et byzantine, contenait les restes d’un homme adulte et de son chien. Ce dernier fut probablement tué dans le but d’être enterré avec son maître, comme le voulait peut-être la tradition de l’époque. L’animal fut soigneusement placé sur le côté, la tête orientée vers l’est, tout comme l’homme avec lequel il reposait.

Son crâne et sa mâchoire ont été analysés en 2021 par une équipe dirigée par Vedat Onar, zooarchéologue de l’Université d’Istanbul-Cerrahpaşa. En se basant sur les proportions du crâne, qui indiquent un degré aigu de brachycéphalie, les chercheurs sont parvenus à déterminer que le chien était aussi grand qu’un pékinois et ressemblait à un bouledogue français.

C’est la deuxième fois qu’un crâne de chien de l’époque romaine présentant les caractéristiques de la brachycéphalie est découvert. Le premier, retrouvé au 18e siècle à Pompéi, datait de la destruction de la cité engendrée par l’éruption du Vésuve en l’an 79.

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    En haut : le crâne et la mâchoire du chien de Tralles. En bas : comparaison du crâne de Tralles (à gauche) avec celui d’un bouledogue français moderne (à droite). Le chien retrouvé à Tralles est plus petit ; sa taille pourrait bien avoir été similaire à celle d’un pékinois moderne.

    PHOTOGRAPHIE DE Vedat Onar

    Bien que ces races de chiens ne soient pas spécifiquement mentionnées dans les écrits ou représentées dans l’art visuel de la Rome antique, selon Onar, cette deuxième découverte suggère que les Romains, eux aussi, sélectionnaient artificiellement des chiens domestiques dans le but de leur faire adopter ces caractéristiques brachycéphales. Il n’est pas impossible que ces deux exemples soient simplement le résultat de mutations génétiques aléatoires limitées à ces deux individus, admet le spécialiste ; cependant, cela est très improbable. En effet, la petite taille des chiens retrouvés permet elle aussi d’indiquer qu’ils étaient conçus pour devenir des animaux de compagnie : « Le crâne du chien découvert à Tralles peut être considéré comme le fruit d’une sélection artificielle qui fut accomplie en renforçant certaines caractéristiques souhaitées [par les éleveurs] », précise l’étude.

    La plupart des chiens de l’époque romaine étaient destinés à la garde, à la chasse et à la protection des troupeaux, et les blessures retrouvées sur leurs os indiquent qu’ils étaient, bien souvent, les victimes de mauvais traitements. Le chien de Tralles, quant à lui, ne présente aucune blessure de ce type, et l’analyse de ses dents laisse penser qu’il mangeait peu d’aliments durs. Pour Onar et ses collègues, ces observations, associées à la petite taille estimée, suggèrent donc qu’il s’agissait bel et bien d’un chien de compagnie aimé de ses propriétaires (catella), et non d’un chien de chasse (canis venaticus) ou d’un chien de garde (canis villaticus).

    Le spécimen de Tralles « était peut-être le meilleur ami du défunt, qui avait probablement exprimé le souhait d’être enterré à ses côtés dans ses dernières volontés », supposent les auteurs de l’étude. Dans la Rome antique, les humains pouvaient également offrir des sépultures individuelles à leurs animaux bien-aimés. Sur une sépulture devenue célèbre sont ainsi gravés les mots : « Je pleure autant en te portant à ta dernière demeure que je me réjouissais il y a quinze ans en te ramenant à la maison dans mes bras. »

    Un bouledogue anglais se promène sur la plage. Les chiens brachycéphales peuvent souffrir de divers soucis de santé, notamment au niveau de la respiration, de la vue et des vertèbres.

    PHOTOGRAPHIE DE Jason Edwards, Nat Geo Image Collection

     

    LA BRACHYCÉPHALIE DANS LES GÈNES

    « C’est une surprise. Je ne pensais pas que ce type de chien existait déjà à cette époque », confie Jerold Bell, généticien clinique à la Cummings School of Veterinary Medicine de l’Université de Tuft, qui a étudié la brachycéphalie chez les chiens. « Mais il est évident que c’est bien ce que [les chercheurs] ont découvert. »

    Selon Bell, qui n’était pas impliqué dans ces recherches, il n’est toutefois pas possible d’établir un lien direct entre les chiens à face plate de la Rome antique et ceux que nous avons aujourd’hui, car plusieurs gènes différents peuvent être à l’origine de la brachycéphalie.

    La généticienne Kari Ekenstedt, de la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Purdue, qui n’était pas non plus impliquée dans l’étude, espère quant à elle que de l’ADN pourra un jour être extrait des dents du spécimen retrouvé à Tralles. En effet, de telles informations génétiques pourraient non seulement permettre de confirmer le sexe du chien (les chercheurs pensent qu’il s’agissait d’un mâle, mais n’en sont pas sûrs), mais pourraient prouver la présence de l’une des trois ou quatre mutations génétiques qui, selon les scientifiques, seraient à l’origine de la brachycéphalie.

    En outre, Ekenstedt note que, s’il est peu probable que le chien de Tralles soit un ancêtre des races brachycéphales modernes, cette possibilité n’est pour autant pas totalement à exclure. Les mutations génétiques telles que le nanisme chez les chiens, observées dans des races comme les corgis et les teckels, sont par exemple antérieures à l’ère victorienne, époque à laquelle ces races entrèrent dans la norme. « Les mutations elles-mêmes pourraient être très anciennes », ajoute-t-elle.

     

    LES EXCÈS DE L’ÉLEVAGE

    La plupart des races de chiens modernes, y compris les races brachycéphales comme les bouledogues français et les terriers de Boston, furent créées à l’époque victorienne, car c’était alors une activité rentable, révèle l’épidémiologiste animalier Dan O’Neill, expert en brachycéphalie canine au Royal Veterinary College au Royaume-Uni, qui n’était pas impliqué dans l’étude.

    Aujourd’hui, après plus d’un siècle et demi d’élevage, certains éleveurs considèrent que les chiens présentant les degrés les plus extrêmes de brachycéphalie sont aussi les plus « mignons », ce qui entraîne une forte augmentation des problèmes de santé liés à cette malformation.

    Le plus connu de ces problèmes est le syndrome obstructif respiratoire des brachycéphales, mais les chiens concernés sont également susceptibles de souffrir de problèmes oculaires, car leurs grands yeux ne sont pas suffisamment humidifiés par leurs paupières, de problèmes de colonne vertébrale liés aux caractéristiques génétiques de la brachycéphalie, ainsi que de problèmes cutanés provoqués par les rides profondes qui entourent leur visage, explique O’Neill.

    Les spécialistes espèrent désormais pouvoir, en mettant davantage l’accent sur la santé des chiens, mettre fin à ces excès en matière d’élevage.

    « L’idée est de commencer à rendre ces cas [d’élevage] extrêmes inacceptables dans la société », reprend O’Neill. « Cela permettra de faire basculer les désirs des acheteurs afin qu’ils choisissent plutôt des chiens qui sont naturellement en meilleure santé. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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