Comment trouver des épaves... et à qui appartiennent-elles ?

Grâce à la technologie, il est désormais plus facile que jamais de sonder les océans à la recherche d’épaves de navires. Mais attention : les trésors qu’elles renferment n’appartiennent pas à ceux qui les trouvent.

De Erin Blakemore
Publication 17 juin 2022, 16:48 CEST
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L’épave du Peter Iredale, trois-mâts en acier qui s’est échoué dans l’Oregon en 1906. Ce vaisseau naviguant sous pavillon britannique aurait connu un destin tragique après avoir subi des conditions météorologiques extrêmes. Son épave est désormais une attraction touristique en vogue à Astoria.

PHOTOGRAPHIE DE Balazs Gardi, National Geographic

Rien n’est plus romantique qu’une chasse au trésor, et lorsqu’il est question de butin caché dans les profondeurs de l’océan, cela peut s’avérer encore plus palpitant. Épave, voilà un mot qui stimule l’imagination, qui inspire rêveries de richesses incommensurables et d’aventures de cape et d’épée.

Il y a plus de vaisseaux qui gisent au fond de l’océan qu’on pourrait le penser ; la base de données de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique recense plus de 10 000 épaves au large des côtes américaines ; et la liste n’est pas exhaustive. Selon l’UNESCO, il y aurait au moins trois millions d’épaves dans le monde, dont certaines ont plusieurs milliers d’années.

Ces navires intéressent surtout par les butins qu’ils transportaient. Si l’on pourrait raisonnablement affirmer que les trésors de ces épaves sont inestimables, certains spécialistes estiment toutefois que l’ensemble des métaux précieux qui jonchent le fond des océans pourrait valoir jusqu’à 57 milliards d’euros.

Un plongeur nage au-dessus d’une épave dans un lagon intérieur des Palaos. Celle-ci fait désormais office de récif artificiel et attire des colonies d’invertébrés et de poissons.

PHOTOGRAPHIE DE Ryan Rosotto, NatGeo Image Collection

L’idée selon laquelle les épaves sont faites pour être découvertes (et pillées) est d’ailleurs une menace pour l’héritage culturel et contrarie les autorités autant que les archéologues. Il est de toute manière difficile de résumer une épave à son bois mouillé et à l’or pluricentenaire qui s’y trouve. C’est bien plus que cela. Alors, que renferment vraiment ces vaisseaux abandonnés et piégés par les eaux ? Comment les préserver ? Voici ce que l’on fait vraiment des épaves.

 

POURQUOI ET OÙ LES BATEAUX COULENT-ILS ?

Il y a de nombreuses façons de faire couler un navire. Il peut par exemple être victime d’une tempête ou d’un sabotage. Mais il reste difficile d’établir la raison exacte d’un naufrage. L’erreur humaine entre forcément en jeu : la capacité à bâtir des vaisseaux en état de prendre la mer était bien moindre hier qu’aujourd’hui. Même les civilisations avancées comme la Grèce antique n’était pas épargnées, comme en témoigne le navire grec de 2 400 ans découvert en mer Noire en 2018. Il s’agirait d’ailleurs de la plus ancienne épave intacte jamais mise au jour.

Les épaves ont tendance à se concentrer dans les régions où les conditions sont périlleuses ou qui ont un passé marchand voire guerrier. Aux États-Unis, le littoral floridien et les Grands Lacs sont de véritables musées des catastrophes nautiques. Le lac Érié compte plus d’épaves au kilomètre carré que n’importe quelle autre étendue d’eau douce au monde. En Caroline du Nord, on a surnommé « Cimetière de l’Atlantique » les Outer Banks, cette longue bande terrestre qui borde l’État. Mais on en trouve partout dans le monde : aux Bermudes, en Grèce, dans le golfe du Mexique, en mer Baltique et bien sûr au large des plages de Normandie.

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    COMMENT FAIT-ON POUR TOMBER SUR UNE ÉPAVE ?

    Étant donné le nombre d’épaves, on pourrait croire qu’il est facile d’en trouver une. En réalité, la plupart sont inaccessibles et intactes. Autrefois, les chasseurs d’épaves professionnels devaient plonger eux-mêmes et s’armer d’un brin de chance pour les localiser. Mais l’océan, en plus d’être dangereux, est quasiment impossible d’accès, et plus particulièrement les profondeurs du large.

    Mais les temps ont changé, et la technologie a fait des bonds. Les chercheurs ont désormais accès à une multitude d’équipements sophistiqués qui leur permettent de dénicher des navires disparus il y a bien longtemps. La disponibilité croissante d’archives historiques permettant d’identifier la demeure éternelle de certains navires leur facilite la tâche. Grâce aux techniques de télédétection comme le sonar (qui utilise les ondes sonores) et le LiDAR (technologie laser) les chasseurs d’épaves peuvent cartographier les fonds marins et les objets qui les jonchent. En outre, l’imagerie satellite aide à repérer les panaches de particules matérielles dégagés par les épaves. Les scientifiques ont même recours à l’intelligence artificielle dans leur quête : un programme de machine learning fiable à 92 % est capable d’identifier des épaves grâce à des images prises au-dessus de la surface et sous la surface.

    Une fois qu’un site potentiel a été localisé, les chercheurs emploient des véhicules modernes autonomes pour découvrir des épaves et les documenter. Leurs robots sous-marins peuvent supporter la pression des profondeurs, localiser des épaves, prendre des photos et des vidéos puis créer des cartes qu’ils envoient aux chercheurs restés à la surface. Ils sont même en mesure d’évaluer la composition chimique des débris.

     

    PUIS-JE ALLER ADMIRER UNE ÉPAVE MOI-MEME ?

    Pas toujours. Même les épaves les plus médiatisées sont souvent maintenues à dessein dans une aura de secret. L’une des plus grandes découvertes d’épaves de l’histoire (celle du légendaire croiseur lourd U.S.S. Indianapolis) illustre bien ce fait.

    Le Mars, navire de guerre suédois, coule des jours heureux au fond de la mer Baltique où il fit naufrage lors d’une bataille navale en 1564. Depuis des années, des chercheurs étudient ce bateau, qui fut le plus grand et le plus vaillant de son époque, dans son cimetière marin.

    PHOTOGRAPHIE DE Johan Ronnby, NatGeo Image Collection

    Le 30 juillet 1945, les forces japonaises attaquèrent l’U.S.S. Indianapolis alors que le vaisseau et son équipage de 1 200 hommes revenaient des îles Mariannes (où ils avaient déposé des composants de la bombe atomique qui devait plus tard détruire Hiroshima). Deux torpilles coulèrent le navire en quelques minutes à peine et seuls 317 hommes survécurent. Il s’agit de la plus grosse perte humaine de l’U.S. Navy en mer.

    En 2018, grâce à de nouvelles informations concernant l’attaque, un équipage civil est parti à la recherche de l’épave et a écumé une zone de près de 1 000 km dans les régions reculées du Pacifique. Bien qu’ils aient fini par localiser le croiseur, sa localisation exacte est maintenue secrète pour protéger à la fois l’épave et les dépouilles des victimes de l’attaque.

    C’est la norme pour la plupart des épaves historiques. Celles-ci sont sujettes à une multitude de mesures de protection. Toutefois, certaines sont ouvertes au public. Dans le Parc national de l’Isle Royale, sur le lac Supérieur, les adeptes de plongée sous-marine peuvent approcher les nombreuses épaves du 19e et du 20e siècle. Au large de la Floride, dans la Réserve archéologique sous-marine du San Pedro, on peut aller voir un navire du 18e siècle qui faisait partie de la flotille espagnole. Il existe également toutes sortes de musées sous-marins de par le monde.

     

    À QUI APPARTIENNENT LES ÉPAVES ?

    « Les gens grandissent en étant persuadés que, dans l’océan, c’est à qui trouve garde », déclare James Goold, avocat chez Covington and Burling, en pointe sur les affaires de protection d’épaves historiques.

    Gauche: Supérieur:

    Un navire couché sur le flanc près de l’île de Grand Bahama, aux Bahamas.

    PHOTOGRAPHIE DE StockTrek Images, NatGeo Image Collection
    Droite: Fond:

    Un plongeur explore une épave de la Seconde Guerre mondiale en mer Ionienne.

    PHOTOGRAPHIE DE Andy Mann, NatGeo Image Collection

    Dans les eaux territoriales américaines, les épaves sont strictement protégées. L’Abandoned Shipwreck Act de 1998 confère aux États la responsabilité de la plupart des épaves découvertes dans leurs eaux. Ceux-ci ont donc chacun leurs propres lois pour les encadrer. Le Sunken Military Craft Act de 2004 revendique la propriété de tout appareil militaire américain coulé de par le fond et ce où que ce soit dans le monde.

    La situation se complique lorsqu’un autre pays revendique une épave. Mais selon James Goold, ces dernières années, les nations ont changé de mentalité : alors que le « qui trouve garde » dominait, on considère désormais que les épaves sont des trésors historiques à faire découvrir.

    James Goold s’est occupé de nombreuses affaires ayant fait jurisprudence et ayant amorcé ce changement. En 2012, il a représenté l’Espagne lors d’un procès intéressant les débris et le trésor du Black Swan, frégate espagnole coulée par les forces britanniques au large du Portugal en 1804.

    « Ça a été l’équivalent espagnol de Pearl Harbor », explique James Goold. En 2007, après qu’une entreprise américaine a découvert l’épave et revendiqué son butin (plusieurs centaines de millions d’euros en pièces d’or et d’argent), James Goold est allé à la barre pour aider l’Espagne à récupérer le bateau. Et il a obtenu gain de cause.

    À l’aide de scanners et de photos en trois dimensions, l’explorateur National Geographic Johan Ronnby a passé des années à documenter l’épave du Mars. Modélisation d’Ingmar Lundgren.

    PHOTOGRAPHIE DE Johan Ronnby, NatGeo Image Collection

    « C’était un moment énorme », se souvient James Goold, qui a également représenté la National Geographic Society. « Cela fait partie de l’histoire nationale espagnole. » Et cela est selon lui bien plus qu’un simple trésor : « Beaucoup de personnes ont tendance à oublier que ces épaves sont souvent la dernière demeure de marins disparus en mer. »

    Aujourd’hui, en partie grâce aux efforts faits par l’Espagne pour récupérer son épave, la communauté internationale reconnaît largement que le navire d’un pays demeure sa propriété quand bien même il aurait coulé dans les eaux internationales ou sur le territoire d’une autre nation, qu’importe quand le naufrage a eu lieu.

     

    QUE FAIRE SI JE DÉCOUVRE UNE ÉPAVE ?

    Si vous êtes assez chanceux pour découvrir une épave, faites bien attention à vos faits et gestes. Vous devez contacter les autorités locales immédiatement et poursuivre vote exploration uniquement avec un permis. En touchant l’épave ou en vous agitant près de celle-ci, vous risqueriez de compromettre sa valeur scientifique pour les archéologues, de ruiner des restes fragiles ou de voir des artéfacts se retrouver dans les mains de pilleurs ou sur le marché noir.

    Une lumière radieuse transperce les eaux peu profondes où gît une épave de la Seconde Guerre mondiale au large de Guadalcanal, dans les îles Salomon.

    PHOTOGRAPHIE DE StockTrek Images, NatGeo Image Collection

    Les conséquences peuvent être graves : Tommy Thompson, chasseur de trésor et d’épaves, est en prison depuis 2015 pour outrage à magistrat après avoir refusé de dévoiler à une cour fédérale l’endroit où se trouve le reste des pièces d’or prélevées sur l’épave du S.S. Central America, qui a coulé en 1857.

    Bien que les lois sur les épaves se soient durcies ces dernières années, la perception du public, qui a tendance à considérer qu’on peut venir se servir librement, représente un problème pour les conservateurs. Pour réellement protéger le merveilleux héritage sous-marin de notre planète, le public doit évacuer cette mentalité de chasse au trésor pour prendre conscience de la valeur réelle dont recèle le fond des océans : nous avons accès à une richesse culturelle et historique incomparable.

    « Ce sont des capsules temporelles uniques, irremplaçables, prévient James Goold. On ne peut pas simplement y aller et attraper un souvenir, cette époque-là est révolue. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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