Pompéi reste très mystérieuse. Doit-on pour autant poursuivre les fouilles ?
Jusqu’à un quart de la ville antique de Pompéi reste encore à exhumer, mais les initiatives archéologiques à venir pourraient avoir intérêt à mettre l’accent sur la préservation plutôt que sur l’exploration.
Un artisan restaure une mosaïque de 2 000 ans à l’entrée de la maison de Paquius Proculus, à Pompéi. Entre 15 et 25 % de la ville n’ont pas été fouillés.
À elle seule, l’année qui vient de passer a vu les fouilles dans la ville antique de Pompéi mettre au jour une laverie vieille de 2 000 ans, une chambre où dormaient des esclaves et une fresque représentant un ancêtre de la pizza (sans les tomates toutefois ; celles-ci ne sont arrivées en Europe que dix siècles plus tard au moins).
Cependant, aucune de ces découvertes ne résulte de nouvelles fouilles entreprises dans la couche de cendres de 6 mètres de profondeur qui a enveloppé la ville après l’éruption du Vésuve en l’an 79 de notre ère. Durant des décennies, le gouvernement italien a imposé un moratoire sur de nouvelles fouilles à Pompéi. Pour Steven Ellis, professeur d’archéologie romaine à l’Université de Cincinnati qui a participé aux fouilles du quartier pompéien de Porta Sabia, cela signifie que la plupart des découvertes découlent d’initiatives qui ont cherché à préserver et à restaurer ce qui avait déjà été mis au jour.
« Quand ils ont dégagé [la ville], ils ont créé comme un rebord de falaise à partir des débris volcaniques », explique Steven Ellis. Il rappelle également que des glissements de terrain et des effondrements se sont produits le long de zones précédemment fouillées, ce qui a suscité des tollés internationaux. « Donc ils restaurent et renforcent ces zones-là et, pour ce faire, ils ont dû creuser un peu le bord. »
Pompéi a bien entendu d’autres secrets à révéler. Les estimations varient, mais 15 à 25 % de la ville seraient encore enfouis. Cependant, pour de nombreux archéologues, la question n’est pas tant de savoir ce qu’il leur reste à découvrir mais de savoir s’ils devraient continuer à fouiller ou à s’arrêter purement et simplement ?
Des moutons paissent sur des zones non fouillées de Pompéi en mars 2023 dans le cadre d’une initiative visant à empêcher le site d’être envahi par la végétation. « Il y a un coût d’opportunité à réaliser beaucoup de fouilles aujourd’hui, car demain, nous pourrions être dotés de meilleures compétences, de meilleurs outils, informations, technologies et capacités physiques tout simplement, fait observer Eric Poehler, qui a réalisé des fouilles dans la ville antique.
« Nous avons suffisamment d'espace à Pompéi pour recevoir le grand public. Nous avons suffisamment d'espace fouillés à Pompéi pour que la communauté universitaire puisse documenter ce qui a été et s'est passé, indique Steven Ellis. Ce que nous devons impérativement faire, c’est la préserver aussi bien que possible pour l’avenir. »
TERRES CULTIVÉES DE BANLIEUE
Selon Eric Poehler, professeur de lettres classiques à l’Université du Massachussetts à Amherst qui a également travaillé sur le terrain à Pompéi, le zonage n’existait pas dans cette antique ville romaine et la plupart des commerces et des zones dédiées à la vente étaient regroupés autour de grandes rues qui, pour beaucoup, ont déjà été explorées. Cependant, vers l’est, la densité de population et l’utilisation des sols décroissent, et de vastes étendues, en particulier dans la partie méridionale de la ville, demeurent relativement intactes.
Plutôt que des arrière-cours avec de grands jardins comprenant topiaires, statues et colonnes, comme on le voit dans les zones plus peuplées et plus riches de la ville, Eric Poehler soupçonne l’est d’avoir ressemblé davantage à un paysage fait de terres cultivables.
« Nous devrions nous attendre à quelque chose qui ressemble plus à de grandes arrière-cours, peut-être cultivées dans un but lucratif, plutôt que récréatif », prévient-il.
Eric Poehler souligne également que les archéologues sont passés à côté de beaucoup d’informations dans les zones déjà fouillées. Les spécialistes s’attendent à découvrir davantage d’artefacts du quotidien, de peintures et de graffitis et aussi de victimes de l’éruption volcanique.
Selon Steven Ellis, le fait de repasser sur ces zones déjà dégagées avec une technologie nouvelle et plus précise pourrait donner lieu à des découvertes tout aussi palpitantes que si l’on avait fouillé de nouveaux sites, à ceci près que cela ne compromettra ni la ville, ni la possibilité pour les générations futures de la connaître.
Par le passé, par exemple, toute fresque ou toute poterie cassée ou incomplète était susceptible d’être jetée. Désormais, selon Steven Ellis, des robots dotés d’intelligence artificielle aident les archéologues à les reconstituer, et un type de LiDar permet même d’enregistrer les espaces en trois dimensions.
« Nous avions des photographies, mais nous n’en avions jamais assez, explique-t-il. Désormais, nous avons ces modèles en 3D qui nous permettent en gros de revenir à n’importe quel moment de nos fouilles et de voir l’espace en question. »
Eric Poehler, qui a contribué à la création du Projet bibliographique et cartographique de Pompéi, insiste sur l’existence de technologies qui permettent de mieux visualiser Pompéi. Il travaille actuellement sur le Projet du paysage artistique de Pompéi, qui permettra aux internautes de chercher n’importe lequel des 87 075 éléments peints sur les murs pompéiens (l’estimation numérique est la sienne), qu’il s’agisse d’une proto-« pizza » ou d’un Cupidon.
Vue paisible de Pompéi par temps orageux. La méthode à employer pour parvenir à attirer des touristes avec de nouvelles découvertes tout en protégeant la ville demeure un point de friction dans la vie politique italienne.
« Ce que ce nouveau travail fait pour nous est qu’il nous donne une occasion de revisiter, aujourd’hui, 200 ans de fouilles, affirme Steven Ellis. Nous avons en fait la possibilité de voir [Pompéi] dans un meilleur état. Nous pouvons faire des fouilles de manière plus intéressante et plus moderne. »
Malgré tout, le temps a déjà englouti une partie de la ville. En 2014, par exemple, plusieurs jours de fortes pluies ont causé trois effondrements en l’espace de trois jours seulement : une tombe, une voûte du temple de Vénus, et le mur d’un atelier. Avant cela, en 2010, la Schola Armarturarum, la maison des gladiateurs, s’était effondrée, vraisemblablement à cause de campagnes de restauration effectuées dans les années 1940 et 1950. La destruction de l’édifice, un des plus célèbres de Pompéi, a en partie poussé l’UNESCO à menacer de retirer la ville de son très convoité Patrimoine mondial. Des années plus tard, l’organisation a décidé de maintenir le statut de Pompéi après d’importantes campagnes de restauration.
Les fouilles qui ont pu contribuer à ces problèmes n’ont pas nécessairement été mal réalisées. Les procédés et la technologie évoluent avec le temps, raison de plus pour que les archéologues pensent qu’il pourrait être bénéfique de décélérer un peu le rythme des fouilles.
« Il y a un coût d’opportunité à réaliser beaucoup de fouilles aujourd’hui, car demain, nous pourrions être dotés de meilleures compétences, de meilleurs outils, informations, technologies et capacités physiques tout simplement, fait observer Eric Poehler. Et si nous les réalisons aujourd’hui, nous nous privons de cette occasion à l’avenir. »
« ÉMERVEILLEMENT ET SURPRISE »
L’Italie a déjà lancé plusieurs initiatives pour préserver et restaurer ce qui a déjà été mis au jour dans la ville. Le Grand projet de Pompéi, inauguré en 2012 en collaboration avec l’Union européenne, a investi 105 millions d’euros pour sécuriser des remblais, restaurer des murs et protéger des structures contre les intempéries, entre autres objectifs. Le projet a pris fin en décembre 2019, mais la méthode à employer pour parvenir à attirer des touristes avec de nouvelles découvertes tout en protégeant la ville demeure un point de friction dans la vie politique italienne.
Cependant, les découvertes réalisées au cours du projet de restauration se sont avérées tout aussi captivantes. En 2018, le travail pour améliorer la stabilité de la Région V (Pompéi compte neuf régions au total) a révélé des fresques, et notamment une située près de la maison des Noces d’argent qui fournit un exemple majestueux de la façon dont l’aristocratie vivait et sur laquelle on peut admirer deux dauphins.
Plus tard cette année-là, des archéologues ont mis au jour ce qu’ils ont surnommé le « Jardin enchanté », un lararium richement décoré. Dans cette partie de la maison située à l’écart et dédiée aux dieux était représenté un homme à tête de chien, un possible clin d’œil au dieu égyptien Anubis.
« Ce à quoi nous pouvons nous attendre chaque fois que nous pensons à faire des fouilles à Pompéi ou simplement à jeter un œil sous sa surface, ce sont l’émerveillement et la surprise, se réjouit Eric Poehler. Chaque pelletée nous révèlera des pièces et des aperçus du passé absolument sublimes. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.