Hérode, le souverain méprisé qui modernisa la Terre sainte

Dans l’Histoire, peu de figures eurent une réputation aussi controversée que celle d’Hérode Ier le Grand, roi de Judée. Infâme personnage du Nouveau Testament, il fut aussi le grand bâtisseur d’une Judée romaine.

De Antonio Piñero
Publication 20 déc. 2023, 09:54 CET
Herod questions the Magi

Le roi Hérode (assis) interroge les Rois mages sur cette mosaïque du 14e siècle exposée à la basilique Saint-Marc de Venise.

PHOTOGRAPHIE DE CAMERAPHOTO, Bridgeman, AC

Dans la tradition chrétienne, Hérode est l’antagoniste de la légende de Noël. L’Évangile selon Matthieu raconte comment, après la naissance de Jésus, le roi ordonna le massacre des Innocents, la mise à mort de tous les bébés de sexe masculin. Qualifier ce roi de « Grand » ne semble, dès lors, pas tout à fait approprié.

Cependant, pour de nombreux spécialistes, ce titre honorifique est mérité. En effet, durant la dernière partie du 1er siècle avant notre ère, le roi des Judéens se révéla un administrateur compétent. Il créa de magnifiques bâtiments publics dans l’ensemble de la Judée et fut notamment à l’origine de la colossale reconstruction du temple de Jérusalem. De plus, Hérode sauva son peuple de la famine au milieu des années 20 avant notre ère. Bien que son règne fût largement synonyme de paix et de prospérité pour la Judée, ses sujets firent souvent preuve d’une profonde suspicion à son égard. 

Le règne d’Hérode fut un numéro d’équilibriste exquis qui vit tout à la fois le souverain apaiser ses maîtres romains et subvenir aux besoins du peuple judéen. La tension due à cet effort ainsi que l’environnement toxique d’intrigues de cour conduisirent vraisemblablement Hérode à devenir paranoïaque, cruel et imprévisible vers la fin de sa vie. Selon certains historiens, son comportement durant cette période tardive rend crédible le fait qu’il ait pu ordonner le massacre des Innocents bien que l’on ne dispose pas de preuves historiques d’un événement aussi atroce.

Cependant, tous les commentateurs sont d’accord sur un aspect de ce roi haut en couleur : flatté, cajolé et exploité par Rome, Hérode le Grand ne fut jamais complètement capable de gagner le cœur et l’esprit de tous ses sujets juifs. Rome avait besoin d’Hérode autant qu’Hérode avait besoin de Rome, dont la culture et la langue faisaient, depuis toujours, partie intégrante de l’identité du roi juif.

La réputation de constructeur innovant d’Hérode fut établie par des édifices tels que l’imposante forteresse de Massada, nichée dans les falaises de Judée.

PHOTOGRAPHIE DE Duby Tal, Albatross, Age Fotostock

Le règne d’Hérode sur la Judée fut poursuivi par son fils Hérode Antipas, lui aussi rendu tristement célèbre par les Écritures chrétiennes pour avoir été le roi en place lors du ministère et de la mort de Jésus. Hérode le Grand et son fils devinrent, dans le Nouveau Testament, des symboles du pouvoir terrestre corrompu précisément à cause de leur importance vitale dans la géopolitique de l’époque et du rôle clé qu’ils jouèrent dans l’avènement de Rome en tant que puissance incontestée en Méditerranée orientale.

 

ACCESSION AU POUVOIR

Au début du 2e siècle avant notre ère, la dynastie séleucide, alors en déclin, régnait sur les vestiges de l’empire oriental d’Alexandre le Grand depuis la Syrie. Plus au sud, la dynastie égyptienne, les Ptolémée, qui avaient hérité des possessions d’Alexandre, commençait également à s’effondrer. Coincés entre ces deux puissances faiblissantes, les Juifs de Judée saisirent leur chance lors de la révolte des Maccabées (vers 167-164 av. J.-C.), s’émancipèrent brièvement du règne des Séleucides et agrandirent leurs territoires pour former la dynastie hasmonéenne.

Ayant initialement reçu la bénédiction de Rome, ce royaume juif indépendant fut malgré tout de plus en plus en proie à la pression due à l’expansion de la République romaine dans la région. Lorsque la Judée devint un État vassal de Rome en 63 avant notre ère, les dirigeants romains trouvèrent un collaborateur enthousiaste en la personne d’Antipater l’Iduméen, père d’Hérode, qui fut nommé procurateur (c’est-à-dire gouverneur financier) de la nouvelle province romaine.

Une guerre civile éclata alors au sein de la dynastie hasmonéenne, divisée quant au fait de combattre les Romains ou de les rejoindre. Hérode, le fils d’Antipater, en appela à l’aide de Rome et fut nommé roi de Judée en l’an 40 avant notre ère. À cette époque, Jérusalem était occupée par les troupes parthes qui combattaient au nom des Juifs anti-Romains. Avec l’aide de Rome, le roi Hérode reprit la ville en l’an 37 avant notre ère, ce qui lui permit de développer d’excellentes relations avec des figures impériales de haut rang telles que Marc Antoine.

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    Camée commémorant la victoire d’Auguste sur Marc Antoine, un allié d’Hérode, en 31 av. J.-C.

    PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

    Ces rapports auraient pu mener à la chute d’Hérode, car Marc Antoine, qui tentait de se défaire d’Octavien (le futur empereur Auguste), fut lui-même vaincu lors de la bataille d’Actium en l’an 31 avant notre ère.

    Le triomphant Octavien exigea une audience avec Hérode. Craignant pour sa vie, le roi judéen prêta allégeance à Octavien qui le confirma à son poste de roi. L’historien juif Flavius Josèphe écrit qu’Octavien considéra la fidélité d’Hérode envers Marc Antoine comme un bon signe qu’il serait également fidèle à Rome.

    En revanche, pour ses pieux sujets juifs, la loyauté d’Hérode envers la Rome païenne et son admiration pour le style hellénistique fleuraient bon la trahison. Tout d’abord, il n’était monté sur le trône de Judée qu’après que des quantités considérables de sang juif eurent été versées par les forces romaines. En outre, sa lignée était loin d’être considérée comme pure. Enfin, la famille d’Hérode s’était convertie au judaïsme, mais la famille de son père descendait d’Édom et sa mère était arabe. Et pire que tout encore, Hérode piétinait les coutumes et les lois de la religion juive.

     

    RÉALISATIONS SUPRÊMES

    Hérode cultiva savamment son image de personne raffinée imprégnée de culture gréco-romaine. Si les auteurs du Nouveau Testament voyaient en lui un tyran, Hérode se voyait comme un parangon de raffinement. Il se lia d’amitié avec d’éminentes personnalités romaines et ne cessa de les inviter dans ses palais de Jérusalem et de Jéricho. La procession de nobles, de philosophes, d’historiens, de poètes et de dramaturges gentils qui se succédaient à la cour royale irrita les Sadducéens et les Esséniens, les principales sectes juives massées à Jérusalem et autour. À bien des égards, les deux groupes étaient tout à fait différents : les Saducéens représentaient l’ordre établi et occupaient d’éminents postes religieux au Temple, tandis que les Esséniens étaient une secte apocalyptique qui voulait voir le judaïsme purifié et réformé. Malgré tout, toutes deux étaient convaincues que le roi corrompait intentionnellement les coutumes juives au sein de sa cour.

    D’après l’historien Nicolas de Damas, l’un des amis proches d’Hérode, le roi négligea les affaires de l’État et l’étude de la loi juive et préféra passer son temps à étudier la philosophie, la rhétorique et l’histoire de la Grèce et de Rome. Les affaires de l’État étaient déléguées à des fonctionnaires éduqués dans la tradition grecque. Quand le roi prenait la peine d’accomplir des actes religieux, ses critiques pieux demeuraient sceptiques. Hérode savait qu’il était impossible de diriger la Judée sans le consentement des influents Pharisiens qu’il courtisa soigneusement par diverses concessions. Il fut capable de les maintenir peu ou prou de son côté, mais il ne gagna jamais totalement leur confiance, ni leur loyauté.

    Qui était Hérode, roi de Judée à l'époque du Christ ?
    Durant son règne, Hérode a modifié le paysage de la Terre Sainte, en y construisant un grand nombre de ses chefs d’œuvres architecturaux, dont certains auraient leur place parmi les sept merveilles du monde.

    Selon Flavius Josèphe, les nouvelles villes d’Hérode agacèrent la classe sacerdotale en raison de la proximité insultante de leurs monuments avec Jérusalem. Hérode nomma Césarée, ville construite entre 22 et 10 avant notre ère, en l’honneur de son bienfaiteur, César Auguste. Celle-ci fut construite autour d’un port artificiel protégé par des digues en béton. Cette remarquable prouesse d’ingénierie devint la base de la flotte hérodienne, que le roi plaça entièrement au service de Rome.

    Les temples de Césarée étaient dédiés à la déesse Roma et à Auguste lui-même. Tous les cinq ans, Hérode organisait des combats de gladiateurs en l’honneur d’Auguste et de sa femme Livia lors desquels le nombre de danseurs étrangers surpassait presque celui des invités. Des récompenses magnifiques étaient décernées aux vainqueurs, et les rumeurs de fêtes débridées et orgiaques ne manquaient pas. Les autorités juives virent ces excès d’un œil particulièrement désapprobateur. Ils considéraient que les combats de gladiateurs étaient profondément immoraux et croyaient que toute vie humaine appartenait au Très-Haut.

    Si Césarée, devenue capitale officielle de la Judée à partir de l’an 6 av. J.-C., était reléguée au rang de ville pour les païens, la ville sainte de Jérusalem était, elle, menacée par les instincts romanisants de son dirigeant. Là, les tensions se cristallisèrent autour du Second Temple de Jérusalem, un bâtiment symbolisant la relation complexe qu’entretenait Hérode vis-à-vis de sa propre foi.

    Encore en usage de nos jours, cet amphithéâtre dominait Césarée. Nommé en l’honneur de César Auguste, l’édifice donna à Hérode l’occasion de faire sortir de terre une ville complètement romaine.

    PHOTOGRAPHIE DE Duby Tal, Albatross, Age Fotostock

    Entamé en l’an 20 avant notre ère, le programme de restauration d’Hérode vit la façade de l’édifice être refaite avec de la pierre blanche et la cour qui l’entourait être doublée. Hérode cherchait à exalter la foi juive, mais il le fit en mobilisant des architectes hellènes. La cour grandiose fut bientôt remplie d’usuriers, un affront aux Juifs pieux qui, selon Flavius Josèphe et d’autres auteurs juifs de l’époque, furent indignés par la gestion corrompue du Temple, une colère ressentie plus tard par un certain Jésus de Nazareth : « Ma maison sera appelée une maison de prière. Mais vous, vous en faites une caverne de voleurs », se lamente-t-il dans l’Évangile selon Matthieu.

    La violation du tombeau du roi David à Bethléem fut peut-être le scandale religieux le plus spectaculaire dont Hérode le Grand fut à l’origine. Depuis un certain temps déjà circulaient des rumeurs selon lesquelles le tombeau abritant censément la dépouille de David recélait également un trésor. Ayant dépensé des sommes phénoménales pour faire sortir Césarée de terre et se voyant vraisemblablement comme le descendant du roi David, Hérode, aurait, dit-on, accompagné en secret des ouvriers pour piller la tombe. Flavius Josèphe raconte comment, en y pénétrant, ils ne trouvèrent rien des richesses escomptées. Selon le témoignage de l’historien, les deux gardes d’Hérode furent tués par « une flamme qui surgit à la face de ceux qui entrèrent », et Hérode quitta précipitamment les lieux.

    Selon certains historiens contemporains, malgré ces exemples farfelus de cupidité, le règne d’Hérode fut remarquablement constructif. Malgré toutes les critiques des prêtres, la diplomatie d’Hérode permit la survie de l’identité juive à un moment tumultueux de l’histoire de la Méditerranée orientale. Sa contribution à la culture matérielle de la Judée fut sans précédent. Il fit construire les forteresses de Massada et d’Hérodium tout en assurant un approvisionnement en eau à Jérusalem. Lors de la famine survenue en 24-25 avant notre ère, il arrangea l’importation de céréales égyptiennes pour nourrir son peuple en mettant à profit ses liens avec Rome. Toutefois, même les biographes favorables à Hérode reconnaissent que le comportement violent dont il fit preuve lors de ses dernières années contribua grandement à salir son héritage.

     

    LE ROI FOU

    Tout le long de son règne, sa vie domestique fut source d’un scandale croissant à Jérusalem. En plus de fréquenter un nombre considérable de concubines, Hérode aurait eu en tout et pour tout neuf épouses et fut parfois marié à plus d’une femme à la fois.

    « Artificiellement exhaussée et présentant la forme d’un mamelon », selon la formule de Flavius Josèphe, la forteresse de l’Hérodium se situe non loin de Bethléem. Le tombeau d’Hérode fut finalement découvert au sein de ce complexe en 2007.

    PHOTOGRAPHIE DE Borchi Massimo, Fototeca 9x12

    Les intrigues de palais et les complots dynastiques nourrirent une paranoïa toujours plus grande chez Hérode. Si certains étaient bel et bien réels, d’autres furent le fruit de l’imagination fertile d’Hérode. La suspicion continuelle d’une conspiration lancée par les rescapés de la dynastie hasmonéenne donna lieu à une vague de massacres. Hérode fit tuer de nombreux membres de sa propre famille lors de purges fréquentes. Au rang de ses victimes figurent notamment son beau-frère, Aristobule le Jeune, qu’il avait auparavant nommé grand prêtre, ainsi que l’ancien roi hasmonéen Hyrcan II, qui avait régné avant lui. Son épouse, Mariamne, périt également sur ses ordres, mais ce sont les deux fils qu’elle lui donna, Alexandre et Aristobule, qui connurent la mort la plus brutale. Il déshérita son aîné, Antipater, né de sa première union avec Doris, puis il le fit exécuter plus tard.

    En outre, de nombreux civils mirent fin à leurs jours dans les donjons du palais, victimes du plan systématique d’Hérode visant à éliminer quiconque montrait signe d’allégeance au précédent régime hasmonéen.

    Hérode, torturé par le manque d’assurance, vit sa soif de vengeance devenir de plus en plus macabre. Flavius Josèphe décrit comment, dans les affres de sa dernière maladie, Hérode ordonna qu’après sa mort les principaux membres de la noblesse du pays soient rassemblés dans l’amphithéâtre de Jéricho et criblés de flèches. À sa mort, en l’an 4 avant notre ère, l’ordre ne fut pas exécuté. Il n’existe pas non plus de preuve directe du massacre des Innocents de Bethléem, bien qu’il soit permis de croire à cette histoire étant donné l’état mental d’Hérode. Par ses actes il créa un paradoxe historiques intrigant : celui d’un roi capable d’un côté de créer un royaume stable et riche tout en suscitant méfiance et manque de respect parmi ses sujets.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise en 2016. Il a depuis été mis à jour.

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