Ces lettres codées ont été décryptées... révélant un complot contre la reine Élisabeth Ire
Lorsqu’elle était captive, Marie Stuart a employé un système de codes secrets complexes pour tenter de renverser sa cousine, Élisabeth Ire, reine d'Angleterre. Ses lettres que l’on pensait perdues pour toujours n'étaient en fait pas si loin...
Portrait représentant Marie Stuart parée de bijoux réalisé par Henri Serrur en 1840. Versailles, Château de Versailles.
Marie Ire d’Écosse était experte dans l’art d’envoyer des messages secrets, et cela fait des siècles que ses talents de cryptographe donnent du fil à retordre aux casseurs de codes. Chaque fois qu’un de ses échanges ayant réchappé à l’oubli est décodé, les spécialistes s’enthousiasment pour les informations qu’il dévoile.
Mais depuis des siècles, un ensemble de lettres que l’on croyait perdues intéresse particulièrement les historiens : celles que Marie Stuart écrivit durant ses dix-neuf années de captivité dans des prisons anglaises. Avant son exécution, le 8 février 1587, Marie Stuart rédigea des dizaines de lettres secrètes adressées à des officiels français qui, croit-on, contenaient des informations sensibles concernant ses intrigues pour récupérer le trône écossais et usurper le pouvoir de sa cousine germaine et rivale politique, la reine Élisabeth Ire.
Pendant des siècles, les historiens ont pensé que ces lettres avaient été irrémédiablement dissimulées ou bien détruites, mais des cryptanalystes amateurs viennent de leur donner tort.
Élisabeth Ire et Marie Ire d’Écosse étaient cousines et se disputaient le trône d’Angleterre. Portrait attribué à Marcus Gheeraerts le Jeune, fin du 16e siècle. Florence, Pitti Palace.
George Lasry, informaticien vivant en Israël, Norbert Biermann, professeur allemand d’opéra, et Satoshi Tomokiyo, physicien japonais, ont récemment découvert une cinquantaine de lettres cryptées écrites par Marie Stuart : 50 000 mots environ consignés à l’aide d’un code sophistiqué imaginé par la reine d’Écosse en personne. À l’aide d’une combinaison complexe de logiciels informatiques et de techniques de cryptographie traditionnelles, ces trois limiers ont réussi à faire voler en éclat les cryptogrammes de Marie Stuart, révélant ainsi un trésor d’informations inédites sur le monarque et son environnement politique.
LA SÉCURITÉ DANS LE SECRET
Née en 1542, Marie Stuart était deuxième dans l’ordre de succession au trône d’Angleterre. Elle devint reine d’Écosse dès l’âge de six jours. À cinq ans, on la promit à François, dauphin de France. Elle rejoignit sa cour peu de temps après. Éduquée à la cour française, Marie apprit à parler couramment plusieurs langues et se vit enseigner la théorie politique. Sa belle-mère, l’influente Catherine de Médicis, lui enseigna à la fois l’art de la diplomatie internationale et le verrouillage de lettres en spirale, procédé complexe consistant à plier des documents de sorte que leur contenu reste inviolé.
Marie aura l’occasion d’employer ces deux tactiques lors de son bref règne en tant que reine de France.
Entourée par le danger et les intrigues, Marie Stuart avait régulièrement recours à des messages codés et à des tables telles que celle-ci qui date de 1586 environ.
Selon Jennifer DeSilva, professeure d’Histoire à l’Université d’État de Ball et rédactrice en chef de la revue The Sixteenth Century Journal, ce besoin de confidentialité s’est considérablement accru durant la vie de Marie Stuart alors que la Réforme protestante intensifiait les conflits entre le Saint-Empire romain et des factions nobles déjà hostiles.
« Dans les décennies politiquement instables à partir de 1560, quand les tensions entre l’Angleterre et l’Écosse allaient croissant, et que l’Espagne espérait conquérir davantage de territoires pour le monde catholique par le mariage, par l’espionnage ou par l’invasion, les messages codés étaient des protections essentielles », explique-t-elle.
SOUS SURVEILLANCE
Ces talents de cryptologue se sont avérés on ne peut plus précieux quand Marie a été forcée à abdiquer le trône d’Écosse en 1567. Elle avait alors déjà été témoin du meurtre de son secrétaire personnel, que son propre époux aurait commandité. Elle avait en outre tenté de faire assassiner ce dernier avec le concours de l’homme qui deviendrait son troisième époux. Et beaucoup la soupçonnaient déjà de conspirer pour prendre la place d’Élisabeth Ire. On ne s’étonnera pas dès lors que cette dernière ait fait assigner sa cousine à résidence et chargé son chef des services secrets, Francis Walsingham, de surveiller Marie.
Durant sa mission, Walshingam recruta une série de d'espions au sein de la cour française pour intercepter les correspondances entrantes et sortantes de Marie. Plusieurs d’entre elles – notamment de célèbres messages codés l’impliquant dans un complot visant à renverser Élisabeth Ire qu’elle envoya en 1586 et qui conduisirent à son exécution – furent transmises avec succès à Walsingham. Les historiens purent ainsi se faire assez tôt une idée de la façon dont Marie se servait des codes secrets.
Marie Ire d’Écosse fut exécutée le 8 février 1587. Cette peinture à l’huile de Robert Herdman réalisée en 1867 la représente en train de s’avancer jusqu’à l’endroit où elle sera décapitée au château de Fotheringay. Kevingrove Art Gallery and Museum, Glasgow, Écosse.
Les taupes de Walsingham interceptèrent également des lettres écrites par Michel de Castelnau, ambassadeur de France en Angleterre, qui faisaient allusion à d’autres correspondances secrètes entretenues par Marie. Cependant, les historiens pensaient que ces lettres clandestines avaient été si bien dissimulées par Michel de Castelnau qu’elles étaient perdues à jamais.
Il se trouve qu’elle se cachaient à la vue de tous à la Bibliothèque nationale de France.
TRIO DE CRYPTOANALYSTES
En 2018, George Lasry, qui était à la recherche de cryptogrammes historiques non résolus à déchiffrer sur son temps libre, s’est mis à parcourir attentivement des collections numérisées appartenant au fonds de la Bibliothèque nationale de France. Il en a découvert une série dans un dossier dédié aux correspondances italiennes du début du 16e siècle. Mais comme ces messages codés étaient uniquement composés de symboles (des lignes sinueuses et des courbes ainsi que des formes et des variantes de l’alphabet latin), il était impossible de savoir qui les avait écrits et quand. Impossible également de savoir quelle était leur langue d’origine. George Lasry a donc fait appel à Norbert Biermann et à Satoshi Tomokiyo pour percer le code.
Les trois cryptologues amateurs ne s’étaient jamais rencontrés en personne, mais ils avaient appris à se connaître à distance sur Cryptiana, site web dédié aux cryptogrammes historiques et administré par Satoshi Tomokiyo.
« Personne n’aurait pu imaginer que ces messages codés avaient été écrits par Marie, et donc rien n’incitait les universitaires à les résoudre, explique George Lasry. Ça allait forcément être l’affaire de gens dingues comme nous pour qui les messages codés sont une obsession personnelle. »
La première tâche du trio a été de transcrire les 150 000 signes contenus dans les messages codés en symboles qu’un ordinateur actuel puisse reconnaître ; un processus qui a pris plusieurs mois. Comme ces caractères comprenaient 191 symboles différents, l’équipe savait que les messages codés n’étaient pas simplement chiffrés par substitution, système dans lequel chaque lettre de l’alphabet est assignée à un signe correspondant. À la place, ils ont émis l'hypothèse que ces messages secrets avaient été composés à l’aide d’un code homophonique, système plus complexe dans lequel une lettre de l’alphabet peut être assignée à plusieurs symboles différents, ce qui rend le code plus bien plus difficile à déchiffrer.
QUESTIONS DE LANGUE
Pour découvrir ce que chacun de ces symboles signifiait, l’équipe a entré la transcription dans un programme d’intelligence artificielle capable de trouver la clé d’un code. Mais pour que ce programme fonctionne, encore fallait-il qu’ils sachent dans quelle langue le code d’origine avait été écrit. Étant donné la section où ils avaient découvert ces messages, George Lasry s’est dit que l’italien était une bonne piste. Cependant, les milliers de clés différentes générées par le logiciel ont échoué à produire ne serait-ce qu’un seul mot identifiable.
« Nous n’avions qu’un tas de données inexploitables, se souvient George Lasry. Donc nous avons essayé avec l’espagnol. Puis avec le latin. Mais chou blanc. »
Enfin, ils ont décidé d’essayer avec le français. Selon les estimations de George Lasry, le programme a généré des centaines de milliers de variantes ; peut-être même plus d’un million. Au cours de ce processus, des mots identifiables écrits dans une grammaire féminine ont commencé à apparaître : des termes comme fils et ma liberté.
« La seule raison de parler de votre liberté dans une lettre, c’est de ne pas être libre, fait observer George Lasry. Donc nous avons commencé à comprendre que nous avions affaire à une mère qui était retenue prisonnière. »
Chaque fois que le trio tombait sur un nouveau mot en français, il le verrouillait dans le logiciel afin que ce dernier génère une clé plus précise, processus appelé « méthode d’escalade » en cryptologie. Au bout d’un moment, le programme a fait sortir le nom Walsingham, celui de l’espion d’Élisabeth Ire.
« C’est à ce moment-là que nous avons commencé à soupçonner que ces lettres avaient pu être écrites par Marie, explique George Lasry. Mais quand nous les avons montrées à des historiens, ils nous ont dit que c’était impossible, que nous étions en train de perdre notre temps. »
RÉSOUDRE L’ÉNIGME DE MARIE
Le trio a poursuivi sa quête pendant plusieurs mois. Cependant, les meilleures clés fournies par leur logiciel ne parvenaient à déchiffrer qu’un tiers environ du contenu des messages codés. C’est alors qu’ils se sont aperçus que Marie n’avait pas fait qu’encoder des lettres individuelles de l’alphabet ; elle avait également inventé des symboles pour des noms et des mots distincts mais aussi pour des fractions de mots. Les cryptologues amateurs se sont donc mis à travailler à la main pour essayer de remplir les trous en s’appuyant sur des motifs existants et sur le contexte linguistique, ce que George Lasry compare au remplissage de la plus grande et plus byzantine grille de mots croisés du monde.
« Cela a été incroyablement chronophage, commente-t-il. Nous avons tous un emploi et avons donc dû dédier nos soirées et nos week-ends au projet pendant une année. »
Une fois les messages codés totalement percés à jour, George Lasry les a apportés à John Guy, chargé de cours d’Histoire au Clare College de l’Université de Cambridge et spécialiste de Marie Stuart à la renommée mondiale. En se fondant sur d’anciens messages codés de Marie, John Guy a pu authentifier ces cinquante-sept nouvelles missives codées.
« Il s’agit là de recherches éblouissantes, se réjouit John Guy. Elles marquent la plus importante découverte concernant Marie Stuart depuis plus d’un siècle. »
John Guy et d’autres historiens ont à peine commencé à se plonger dans le contenu volumineux de ces lettres, qui furent toutes rédigées en moyen français et se caractérisent par un style et une syntaxe complexes.
Ils ont toutefois fois déjà réalisé des découvertes d’une grande importance historique. Plusieurs lettres montrent en détail l’astucieuse habileté de Marie en matière de subterfuge politique, qu’il s’agisse de ses tentatives de soudoyer les conseillers d’Élisabeth ou bien de l’orchestration d’un mariage entre cette dernière et le duc d’Anjou, qui était le beau-frère de Marie. On y trouve également consignées ses tentatives de récupération du trône écossais et son implication dans le Complot de Throckmorton de 1583 visant à renverser Élisabeth.
Selon Jennifer DeSilva, de tels détails jetteront une nouvelle lumière non seulement sur l’héritage de Marie Stuart mais aussi sur l’influence de la ligue catholique et les tensions entre les nations européennes.
Un article érudit écrit par George Lasry et son équipe, qui passe en revue les messages codés et leurs solutions, a été publié dans un hors-série de la revue académique Cryptologia le 8 février, date anniversaire de l’exécution de Marie Stuart.
« Ces lettres sont très longues, complexes et difficile à comprendre, indique George Lasry. Je pense qu’elles vont occuper les historiens pendant des décennies. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
Kathryn Miles a écrit cinq livres dont le dernier en date est Trailed: One Woman’s Quest to Solve the Shenandoah Murders. Elle enseigne au Colby College et à l’Université rurale de l’Oregon.