Comment les Mayas choisissaient-ils les victimes pour leurs sacrifices ?

L'analyse ADN de restes humains vieux de 800 ans mis au jour à Chichén Itzá vient contester les croyances des scientifiques en suggérant que les Mayas privilégiaient les sacrifices de jeunes garçons apparentés, et notamment de jumeaux.

De Tom Metcalfe
Publication 14 juin 2024, 11:31 CEST
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La pyramide de Kukulcán (El Castillo) de Chichén Itzá, située sur la péninsule du Yucatán, au Mexique. La cité maya a atteint son apogée il y a environ 1 000 ans.

PHOTOGRAPHIE DE Cristina Mittermeier, Nat Geo Image Collection

Il y a près de soixante ans, des archéologues ont découvert un dépôt d’ossements humains dans une citerne à Chichén Itzá, l’une des cités les plus puissantes de la civilisation maya. Ce réservoir était relié à une grotte située à quelques centaines de mètres seulement du cénote sacré, un gouffre rempli d’eau qui contenait les restes de centaines d’humains sacrifiés.

Après la découverte de la citerne (ou chultún) en 1967 dans la péninsule du Yucatán, les archéologues ont déterminé que les ossements appartenaient à des enfants et jeunes adultes déposés sur le site sur une période de 800 ans. Convaincus que les Mayas privilégiaient les victimes de sexe féminin pour leurs rituels sacrificiels, les spécialistes ont admis que les restes appartenaient pour la plupart à des filles et à des jeunes femmes.

Une nouvelle étude ADN vient cependant contester cette hypothèse en révélant que chacune des soixante-quatre victimes mises au jour dans la grotte de Chichén Itzá était en réalité de sexe masculin, et que beaucoup d’entre elles étaient des frères et cousins âgés de trois à six ans. Et ce n’est pas tout : selon l’étude, un nombre étonnamment élevé de ces jeunes garçons étaient de vrais jumeaux.

« Nous ne nous attendions pas à ces révélations », explique l’archéogénéticien Rodrigo Barquera, de l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutive en Allemagne, principal auteur de la nouvelle étude publiée cette semaine dans la revue Nature, qui décrit cette analyse.

« Traditionnellement, ces types de dépôts sont associés, dans l’archéologie mésoaméricaine, à des offrandes dans le cadre de rites de fertilité, qui n’impliquaient généralement que des femmes. »

Vue des reliefs sculptés sur la plateforme de crânes de Chichén Itzá, au Mexique. Les Mayas pratiquaient le sacrifice humain afin d’obtenir les faveurs de leurs dieux pour la fertilité de leurs récoltes, pour la pluie, ou pour des victoires de guerre.

PHOTOGRAPHIE DE Joël Sartore, Nat Geo Image Collection

 

DES VICTIMES JEUNES… ET APPARENTÉES

Depuis quelques années, Barquera et ses coauteurs ont réexaminé les ossements découverts dans le chultún et la grotte en 1967, qui sont aujourd’hui conservés à proximité.

Leur nouvelle analyse suggère que le site fut utilisé à l’occasion de plus de 100 enterrements entre les ans 500 et 1300 de notre ère.

La plupart des personnes inhumées ici le furent avant le 10e siècle, c’est-à-dire à peu près à l’époque où Chichén Itzá était la cité dominante des Basses-Terres mayas du nord, qui s’étendaient sur la péninsule mexicaine du Yucatán, le nord du Guatemala et le Belize actuels.

Des études anthropologiques antérieures avaient déjà révélé que la plupart des victimes étaient des enfants en bas âge, mais selon Barquera, leur ADN n’avait encore jamais été analysé.

En plus d’apprendre que la grotte n’abritait en réalité que des garçons, les chercheurs ont également été surpris de constater que nombre d’entre eux étaient apparentés. En effet, au moins un quart des individus étaient le frère ou le cousin d’un autre garçon enterré dans la même grotte, et deux fois deux vrais jumeaux ont été identifiées.

Les vrais jumeaux, ou jumeaux monozygotes, ne représentent que 0,4 % des naissances environ. Il est donc peu probable que la découverte de quatre vrais jumeaux au milieu de soixante-quatre individus soit le fruit du hasard, note l’archéogénéticien.

 

LES HÉROS JUMEAUX RESSUSCITÉS

Nous ne savons pas dans quelle mesure les sacrifices humains étaient répandus chez les Mayas, mais selon de nombreux rapports espagnols, cette pratique existait déjà lors de leur arrivée dans les territoires mayas au début du 16e siècle.

Il semble aujourd’hui que les Mayas aient pratiqué le sacrifice humain dans les derniers stades de leur civilisation dans le but d’obtenir les faveurs de leurs dieux pour la fertilité de leurs récoltes, pour la pluie, ou encore pour des victoires de guerre.

Les jumeaux occupent une place importante dans la mythologie mésoaméricaine et constituent un thème central du Popul Vuh, un récit sacré du peuple quiché qui remonterait aux premiers temps de la civilisation maya.

Le Popul Vuh raconte l'histoire de deux jumeaux nommés Hun-Hunahpú et Vucub-Hanahpú qui se rendirent dans le monde souterrain des Mayas afin de jouer à un jeu de balle et qui, après avoir perdu, furent sacrifiés par les dieux.

Après leur mort, la tête décapitée de l’un des jumeaux féconda une jeune femme qui donna ainsi naissance à deux garçons : les « Héros jumeaux » Hunahpú et Xbalanqué qui, après plusieurs cycles de sacrifices et de résurrections, parvinrent enfin à venger la mort de leur père.

Barquera note que les structures souterraines telles que la grotte dans laquelle les enfants furent enterrés étaient autrefois considérées comme des entrées vers le monde souterrain. Les sacrifices de jumeaux garçons, mais aussi d'enfants apparentés (peut-être lorsqu’aucune paire de jumeaux n’était disponible), pourraient être le fruit de rituels liés à ces héros jumeaux et destinés à assurer des récoltes abondantes de maïs.

 

LES MÉTHODES SACRIFICIELLES

La nouvelle étude publiée dans Nature soulève d’autres mystères que les archéologues devront essayer de résoudre, tels que les causes des décès des jeunes sacrifiés, les ossements mis au jour dans la citerne ne portant en effet aucune marque visible d’origine humaine, contrairement à ceux du cénote sacré.

« Nous n’avons trouvé aucune trace de coupure ou de lésion qui permettrait d’indiquer l’utilisation de méthodes sacrificielles spécifiques », explique Barquera. « Cela révèle que le sacrifice n’impliquait pas, par exemple, d’extraction du cœur ou de décapitation ; il s’agissait donc peut-être d’une tout autre méthode. »

D’autres analyses de ces ADN anciens pourraient permettre de déterminer si les enfants déposés dans la grotte appartenaient à plusieurs générations d’une seule et même famille. Le cas échéant, cela indiquerait peut-être que certaines familles spécifiques avaient l’honneur (ou la malédiction) de fournir des victimes de sacrifices, et que ce privilège était transmis de génération en génération, explique Barquera.

 

LES PREMIÈRES ANALYSES ADN

Ont également été analysés des échantillons de sang de Mayas modernes qui vivent aujourd’hui près du site de Chichén Itzá. Les résultats montrent une « continuité génétique » entre les enfants déposés dans la grotte et les populations actuelles de la région.

Selon Barquera, cela confirme que les victimes des sacrifices provenaient bien de la population locale, et non de communautés plus éloignées de l’empire maya.

En comparant les séquences d’ADN anciennes et modernes, les chercheurs ont également constaté des différences notables dans l’immunité aux maladies, ce qui suggère que, au fil du temps, les Mayas de la région se sont adaptés face à des infections à certaines bactéries, telles que Salmonella enterica, introduite pendant la période coloniale espagnole, révèle Barquera.

Guillermo de Anda, archéologue, explorateur National Geographic et chercheur à l’Institut national d’Anthropologie et d’Histoire du Mexique, qui n’était pas impliqué dans la nouvelle étude, a passé des décennies à étudier les sacrifices humains réalisés à Chichén Itzá, et a ainsi pu effectuer de nombreuses plongées dans le cénote sacré.

Le spécialiste s’est récemment rendu dans la jungle à la recherche de la grotte dans laquelle les ossements de 1967 ont été découverts. Celle-ci semble cependant être désormais recouverte par les restes d’une piste d’atterrissage construite quelques années après la découverte tout près des vastes ruines de la cité, et abandonnée par la suite.

 « Nous aurions vraiment aimé la retrouver, mais elle semble avoir disparu à jamais », déplore de Anda.

Selon l’archéologue, la proximité de la grotte et du cénote sacré soulève des questions concernant l’utilisation de ces deux sites : en effet, pourquoi les Mayas utilisèrent-ils deux lieux différents, situés si proches l’un de l’autre, pour disposer des victimes de leurs sacrifices ? En outre, l’absence de cause manifeste des décès sur les ossements retrouvés dans la grotte devrait également être davantage étudiée.

C’est la première fois que des chercheurs ont recours à une analyse d’ADN ancien sur des restes humains de Chichén Itzá ; de Anda espère que de telles techniques seront également utilisées sur les ossements des victimes du cénote sacré.

« C’est totalement inédit à Chichén Itzá », affirme-t-il. « Nous sommes impatients de le faire. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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