Comment Catherine II de Russie est devenue la "Grande Catherine"
Lorsque cette arriviste étrangère s’empara du trône de Russie, rien ne résista à ses réformes éclairées, à l’expansion de son empire, ni à sa quête d’amour et de transmission.
Catherine II de Russie fait une entrée en grande pompe devant ses courtisans sur cette lithographie aux couleurs vives d’Alexandre Nikolaïevitch Benois datant de 1909.
En 1729, dans la lugubre ville de garnison allemande de Stettin (actuelle Szczecin, en Pologne), une enfant vint au monde dans une famille de la noblesse prussienne en déclin. Ses jeunes années manquèrent d’amour parental mais furent marquées par une éducation, et des aspirations sociales, riches. Conviée en Russie à l’âge de quatorze ans, elle dut changer de nom, de religion et de langue pour épouser le futur tsar. Un prêté pour un rendu : c’est la Russie qui finit par être transformée par sa nouvelle tsarine.
Sophie Frédérique Augusta est élevée aux marges du pouvoir dans le royaume de Prusse. Sa mère, Jeanne, est passée maîtresse dans l’art de tirer profit de ses relations sociales et familiales, tandis que son père, le prince Christian-Auguste d’Anhalt-Zerbst, possède un nom plus impressionnant que sa personnalité discrète et austère. Leur mariage, des moins évidents, est un mariage malheureux, et la naissance d’une fille ne présage d’aucune amélioration en ce qui concerne les fortunes de la famille. Des années plus tard, dans ce qui deviendra une somme de 700 pages de correspondances et mémoires pleins de vie, francs et soucieux de se réhabiliter, l’impératrice russe écrira ceci au sujet de son arrivée dans le monde : « Je ne fus pas très joyeusement accueillie. »
Sophie, future Catherine la Grande, investit les murs du château ducal de Szczecin, en Pologne, lorsque son père, le prince Christian-Auguste d’Anhalt-Zerbst, devint gouverneur.
L’excellente éducation qu’on lui donne n’a qu’un but : épouser un bon parti. Lors de ses leçons, elle apprend la philosophie, le français, qui est alors la lingua franca de l’élite européenne, et à faire convenablement des révérences. Elle donne du fil à retordre à ses précepteurs, en particulier lorsque la religion semble primer sur la logique. Lorsque son tuteur luthérien menace de lui donner des coups de bâton, cela ne fait que la confirmer dans son idée que le cerveau est plus persuasif que la force. « Je suis convaincue au plus profond de mon âme que Herr Wagner était un imbécile, écrira-t-elle. Toute ma vie j’ai eu cette propension à ne céder qu’à la gentillesse et à la raison, et de résister à toute forme de pression. »
Pierre le Grand, représenté ici sur un portrait peint en 1700, dirigea la Russie de 1682 à sa mort en 1725.
Bien qu’angoissée par ce « démon de l’orgueil » présent chez sa fille, Jeanne emmène Sophie avec elle en voyage lors de ses visites dans les cours du nord de l’Allemagne. Ces visites s’inscrivent dès le début dans une campagne dont l’objectif est d’arranger un mariage pour sa fille qui, quoique quelconque en apparence, ne manque pas de charme, tant s’en faut. En 1739, lors de l’une de ces visites, Sophie, qui a alors dix ans, rencontre son cousin issu de germain, Karl Peter Ulrich, orphelin depuis peu et seul petit-fils encore en vie du tsar Pierre Ier, mieux connu sous le nom de Pierre le Grand.
Attentive aux murmures des ragots de cour, Sophie surprend une conversation : l’enfant-duc est de tempérament impulsif et, bien qu’il n’ait que onze ans, est « porté sur la bouteille ». Le jeune Pierre est maltraité physiquement par son tuteur principal et souvent affamé en guise de punition. Il trouve refuge auprès de ses petits soldats et de son violon, dont il joue mal. Personne ne semble prendre son éducation au sérieux. Son « professeur le plus consciencieux », se souviendra-t-elle au sujet de la jeunesse troublée de son futur mari, « était le maître de ballet Landé, qui lui apprit à danser ».
Quelques années plus tard, c’est ce garçon mal adapté et maltraité que l’impératrice russe Élisabeth Ire, sans enfant et en quête d’un héritier légitime pour la lignée Romanov, va chercher en Prusse. De par ses liens familiaux avec Jeanne, l’impératrice Élisabeth tournera ensuite son regard d’entremetteuse vers son ancienne camarade de jeu à la cour, l’adroite et cultivée Sophie. L’union semble bonne.
Mais le mariage est voué à l’échec.
FONDER UNE FAMILLE
Conviée en Russie, la future mariée traite le jeune duc comme son « maître » et s’efforce de plaire à l’impératrice. Sophie adopte un nom russe, Catherine (Ekaterina), se convertit du luthéranisme au christianisme russe orthodoxe, et passe de longues soirées à mémoriser des mots russes pieds nus en faisant les cents pas sur des sols froids. Ses efforts lui causent non seulement une pneumonie mais également une réputation éclatante de fidèle à sa nouvelle patrie. Son image s’embellit encore un peu plus lorsque, gravement malade, elle chasse un prêtre luthérien au profit d’un prêtre orthodoxe.
Sa relation avec le juvénile Pierre évolue, mais surtout pour le pire. Au sujet de leur nuit de noces peu romantique en 1745, elle écrit : « Il s’est endormi et cela a duré ainsi pendant neuf ans. » Pour passer le temps, elle joue à colin-maillard, au whist et au faro avec ses dames de compagnie. Elle devient cavalière accomplie et se sert de ses longues jupes pour se couvrir lorsqu’elle ne monte pas en amazone. Pierre joue avec ses petits soldats ou « écorche » son violon qui, écrit-elle, « torturait mes tympans du matin au soir ». Le couple malheureux fera tout sauf pérenniser la lignée Romanov avec un héritier.
L’artiste allemande Anna Rosina Lisiewska composa un portrait formel de la famille royale russe en 1756 : le futur tsar Pierre III, Catherine II et le jeune Paul (que certains spécialistes identifient comme un page).
L’impératrice Élisabeth était de plus en plus frustrée. Bientôt, la première dame de compagnie de Catherine lui souffla qu’en cas de « force majeure » il y avait des exceptions aux règles de la fidélité et qu’elle pouvait « choisir entre S.S. et L.N. » sans être importunée. Ces derniers étaient tous deux des gentilshommes de Pierre ; Sergei Saltykov, homme élégant de 26 ans, fut préféré à Lev Naryshkin, et en 1754 un fils vit enfin le jour. L’identité du père demeure à ce jour encore un mystère. L’impératrice nomma l’enfant Paul et le sépara immédiatement de Catherine. Elle fit de même trois ans plus tard, lorsque cette dernière mit au monde une petite fille. Il est invraisemblable que les deux enfants fussent de Pierre qui, selon Catherine, aurait un jour dit : « Dieu sait où ma femme tombe enceinte. »
Mise à l’écart de ses enfants, constamment ramenée aux « dettes » financières qu’elle entretient vis-à-vis de l’impératrice, et semblant perdre son statut à la cour, Catherine passe ses journées, puis des années, à lire. Des philosophes tels que Voltaire, Montesquieu et Tacite, écrit-elle, « donnèrent lieu à une révolution dans ma façon de penser ». Elle demande à quitter la Russie, requête rejetée par l’impératrice. Elle reste donc, bien déterminée à « garder la tête haute » et, dorénavant, à laisser les autres deviner « sur quel pied danser » quand ils se trouvent en sa présence.
En 1762, l’impératrice meurt d’une attaque et Pierre accède au trône. Sa vraie loyauté à la Prusse devient terriblement évidente : il renonce aux territoires durement conquis par la Russie dans sa guerre face au royaume de Prusse et oblige les officiers russes à porter l’embarrassant uniforme bleu des Prussiens. Le nouveau tsar se met à parler d’épouser une autre femme, interroge l’ascendance de Paul et réprimande Catherine en public en la qualifiant de dura (idiote) lors d’un banquet officiel avant d’ordonner brièvement, sous l’influence de l’alcool, son arrestation.
Catherine II offrit un cadeau étincelant à ses demoiselles d’honneur : son monogramme composé de diamants.
Catherine doit alors réfléchir, et vite : il est « question de périr avec lui, ou par lui, ou bien de me sauver moi et mes enfants, et peut-être l’État, du désastre » qu’est Pierre III. « Le dernier choix me semble le plus sûr. » Ce choix, l’écarter du pouvoir, est un choix qui bénéficie déjà d’un soutien grandissant.
À cinq heures du matin, le 28 juin, la tsarine est précipitée avec l’aide de quelques dizaines d’officiers et de partisans à la cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption de Saint-Pétersbourg et est faite impératrice Catherine II. Les foules se soulèvent. Davantage de soldats s’attroupent et lui offrent des parties de leur uniforme – qu’ils arborent vert par fierté d’être russe et non bleu comme l’uniforme prussien voulu par Pierre – pour qu’elle les porte sur son cheval à la tête de ce qui ne tarde pas à devenir une force de 14 000 soldats qui se dirigent vers le domaine où Pierre III est en train de se reposer. Ce dernier se rend sans opposer de résistance. Huit jours plus tard, alors qu’il est assigné à résidence à Rophsa, en banlieue de Saint-Pétersbourg, il meurt.
Étranglé et sans doute empoisonné (selon certains témoignages, ceux qui sont allés l’embrasser dans son cercueil sont repartis les lèvres gonflées à cause d’une toxine encore présente sur sa dépouille), la cause officielle du décès de Pierre III est ignominieuse : « une grave attaque de colique hémorroïdaire ». Si le tsaricide ne sera jamais directement attribué à Catherine, ce diagnostic fantaisiste deviendra un euphémisme narquois servant à désigner un assassinat.
Le portrait réalisé à l’occasion du couronnement de Catherine la montre dans toute sa splendeur impériale. Coiffée d’une étincelante couronne de diamants, elle arbore une tenue royale et porte l’écharpe bleue de Saint-André, honneur le plus distingué de l’Empire russe.
DESPOTE ÉCLAIRÉE
Ni Romanov, ni russe, Catherine se retrouve soudain en position de pouvoir suprême sur 20 millions de personnes. Ses trente-quatre années de règne, le plus long pour une dirigeante en Russie, vont être guidées par son désir d’achever ce que Pierre le Grand avait commencé : modernisation, occidentalisation et expansion pour devenir le plus grand empire sur Terre.
Sur sa liste des tâches impériales, Catherine prend peu de choses à la légère. Levée dès cinq heures du matin tous les jours, elle s’empresse d’apaiser la noblesse russe et de rassurer l’Europe avec des messages de paix et de tolérance. Guidée par les principes des Lumières, elle se veut despote, mais despote bienveillante ou éclairée, préférant la raison au dogme, à la tyrannie ou à la vengeance. Ceux qui l’ont aidée à s’emparer du pouvoir sont généreusement récompensés, et les anciens opposants sont pardonnés. « Vous n’avez fait que votre devoir » assure-t-elle à l’un d’eux qui a exhorté Pierre III à se soulever contre elle.
Elle demande un dialogue ouvert. « J’affectionne particulièrement la vérité », écrit-elle à un officiel. « Opposez-moi des arguments sans danger aucun si cela conduit à de bons résultats en affaires. » Quand elle s’aperçoit que des membres de son propre Sénat sont incultes en ce qui concerne leur vaste nation, elle leur fournit un atlas. Ses réformes sociales, de santé et d’éducation incluent notamment la création du premier orphelinat du pays.
Catherine plaide en faveur de la variolisation, progrès scientifique alors terrifiant, et devient l’une des premières personnes de Russie à se faire immuniser contre la variole. Elle fait construire des écoles partout à travers l’Empire et créé la première institution d’instruction publique à destination des femmes, l’Institut Smolny pour jeunes filles nobles, tout à fait consciente que c’est sur la noblesse que repose sa fragile mainmise sur le pouvoir.
Elle devient selon ses propres dires « avide » d’art et collectionne les œuvres dans toute l’Europe. Pour les accueillir toutes, elle choisit une aile du Palais d’Hiver, qui finira par devenir le plus grand musée du monde après le Louvre. Une plaque accueille alors les visiteurs avec des règles d’étiquette humoristiques : « Tous les rangs devraient être laissés à l’entrée, il en va de même pour les chapeaux et surtout pour les épées » ou encore « Parlez avec modération et pas trop fort afin que les autres personnes présentes n’aient pas mal aux oreilles ou mal à la tête. » Elle nomme Hermitage ce havre destiné à la simplicité intellectuelle qu’elle affectionne.
Catherine avait une passion inaltérable pour le savoir et rencontra les plus grands esprits du monde comme le polymathe, astronome et écrivain russe Mikhaïl Lomonossov, représenté ici sur un tableau peint en 1884 par Ivan Kuzmich Fyodorov.
En 1763, lors de sa deuxième année sur le trône, elle entame une correspondance qui durera toute sa vie avec Voltaire et avec d’autres philosophes des Lumières. Quand un Denis Diderot sans le sou met sa bibliothèque en vente, elle l’achète mais ordonne qu’il la garde. Les lettres d’idées et de flatteries mutuelles qu’elle échange avec les penseurs les plus modernes d’Europe sont partagées partout, ce qui participe à sa publicité en Russie et à l’étranger. « Qui eût pu soupçonner, il y a cinquante ans de cela, qu’un jour, les Scythes [les Russes] récompenseraient avec tant de noblesse à Paris la vertu, la science et la philosophie auxquelles on fait si honteux traitement chez nous ? » On imagine la tsarine ne pas bouder son plaisir à la lecture de cette question de Voltaire.
RÉFORMES EN RUSSIE
En 1765, Catherine se lance dans son projet le plus ambitieux jusqu’alors, un projet dont l’écriture nécessitera jusqu’à trois heures par jour pendant deux années. Son Nakaz (ses Instructions) fut conçu comme un guide pour la réorganisation de la totalité du système légal et administratif de la Russie, et largement inspiré de l’ouvrage De l’esprit des lois publié par Montesquieu en 1748. Son guide, animé par des idées humanistes, prône notamment une citoyenneté libre obligée par un ensemble de lois, et désavoue la peine capitale et la torture. Il tente également de soulever la question particulièrement difficile du servage en Russie. Les serfs, rattachés à la terre et traités comme des biens achetables et vendables, constituent alors la moitié de la population de l’empire.
Pour Catherine, le servage est une institution « insupportable », bien qu’elle ait elle-même octroyé des serfs en guise de récompense à ses soutiens. Le système est si enraciné que l’on mesure la richesse d’un noble au nombre d’« âmes » qu’il possède et non à la taille de ses terres. En échange de serfs, les nobles doivent servir l’État, en général en effectuant un service militaire.
S’élevant dans le ciel de Saint-Pétersbourg, la colonne d’Alexandre fut érigée devant le Palais d’Hiver, ancienne résidence de la famille royale russe, et le musée d’État de l’Hermitage, fondé par Catherine la Grande en 1764.
Une fois achevé, son Nakaz est entravé par sa propre bureaucratie et largement révisé par ses conseillers. Seule une fraction de son œuvre originale est publiée ; les sections permettant aux serfs d’acheter leur propre liberté et limitant leur servitude à six années disparaissent. Ce qui est publié est néanmoins assez progressiste pour être traduit dans toute l’Europe… et banni en France.
Cette poursuite intellectuelle donne également lieu à la première constitution d’une assemblée nationale représentative de toutes les parties de l’Empire. Ses délégués sont libres d’y discuter des besoins de leurs régions, mais ils choisissent également de débattre d’un titre digne de ce nom à attribuer à Catherine en signe de gratitude pour les avoir réunis. Selon l’historien Robert Massie, les titres plus en vogue sont alors « la Grande » et « Très Sage Mère de la Patrie ». Catherine les refuse tous. Mais c’est le premier qui recueille le plus de votes.
Le débat lui permet également de légitimer son règne qui a déjà vu poindre la menace. En 1764, des officiers mécontents ont essayé de libérer un Romanov pouvant prétendre au trône : Ivan VI, âgé de 24 ans et emprisonné depuis la naissance par l’impératrice Élisabeth. Il est préventivement tué par ses geôliers. Se faisant passer pour Pierre III, qui serait curieusement en vie, un cosaque du nom d’Emelian Pougatchev mène une importante jacquerie contre Catherine qui durera deux ans avant d’être écrasée en 1775.
Bien qu’elle ait débuté son règne en envoyant des hérauts porter des messages de paix en Europe, Catherine II répond de plus en plus par la force quand elle décèle une menace ou bien une aubaine dans les alliances géopolitiques changeantes qui l’entourent. Elle annexe la Crimée, qu’elle confisque aux Ottomans, se partage la Pologne avec les Prussiens, et agrandit son empire de plus de 500 000 kilomètres carrés. Elle sait également quand éviter le conflit et décline une requête formelle du roi George III lui demandant d’envoyer 20 000 soldats russes et 1 000 cosaques pour réprimer la guerre d’indépendance qui prend forme dans les colonies américaines de la Grande-Bretagne.
Catherine II sous les traits de Minerve, déesse romaine de la sagesse et de la guerre, sur un camée du 18e siècle.
Ses campagnes militaires sont souvent conduites par un « favori », terme officiel désignant les hommes destinés à être ses amants, ses collaborateurs et ses confidents intellectuels. L’un d’eux, Grigori Grigorievitch Orlov, lui a facilité la tâche lorsqu’il s’est agi de s’emparer du trône ; d’un autre elle fera un roi de Pologne à sa botte. Le plus puissant d’entre eux, et vraisemblablement marié à elle en secret, est Grigori Potemkine. Il refonde les confins méridionaux de son empire et met sur pied une flotte navale en mer Noire, l’aidant ainsi à accomplir un autre des objectifs de Pierre le Grand.
ÉPITAPHE POUR UNE IMPÉRATRICE
En 1789, Catherine est sur le trône depuis près de trente ans et la violence de la Révolution française marque un tournant drastique dans son histoire d’amour avec les Lumières. Craignant elle-même une révolution, elle commence à censurer les écrits libéraux, notamment une étude sur la souffrance des serfs et même les œuvres de son ami de toujours, Voltaire.
Catherine a déjà eu l’occasion d’apprendre que certains de ses idéaux sont plus faciles à imaginer qu’à mettre en œuvre. C’est ce qu’elle explique à Diderot venu lui rendre visite en 1773. « Dans vos plans de réforme, vous oubliez la différence entre nos deux positions : vous travaillez exclusivement sur le papier, qui admet tout, est lisse et flexible et n’oppose aucun obstacle que ce soit à votre imagination ou bien à votre plume, tandis que moi, pauvre impératrice, je travaille sur la peau humaine, qui est bien plus sensible et chatouilleuse. »
Dans ses dernières années, tout en continuant à diriger son empire, elle trouve du réconfort en jouant sur le sol avec ses petits-enfants, leur donnant l’affection maternelle qu’elle n’a pas pu donner à ses propres enfants, et se promène avec ses lévriers. D’après Robert Massie, le 5 novembre 1796, « elle se lève à six heures, boit du café noir, et s’assied pour écrire ». Quelques heures plus tard, elle est retrouvée inconsciente, très vraisemblablement victime d’une attaque. Le 6 novembre, on annonce la mort de l’impératrice et Sa Majesté Paul lui succède.
Ce n’est qu’à titre posthume qu’on commença à l’appeler « la Grande ». De son vivant, elle s’y était toujours opposée, ainsi qu’elle l’expliquait en 1788 dans une lettre adressée au baron von Grimm, diplomate allemand. « Je vous supplie de ne plus m’appeler Catherine la Grande, de ne plus m’affubler de ce sobriquet, car primo je n’aime pas les sobriquets de quelque nature que ce soit, secundo mon est Catherine II, et tertio je ne veux pas que quiconque dise de moi comme on dit de Louis XV, à savoir qu’il est mal nommé. » Quoiqu’elle aimât faire des listes de trois, elle ajouta un quatrième point en guise de plaisanterie : « Ma taille n’est ni grande ni petite. »
Un des amants et plus proches conseillers de Catherine, le comte Grigori Grigorievitch Orlov, l’aida à renverser Pierre III et à la faire accéder au trône. En 1762, elle lui donna un fils en secret. On le voit ici à cheval sur une peinture à l’huile réalisée par Vigelius Eriksen en 1766.
Ses mémoires, qui révèlent les mécanismes de la cour, les échecs de Pierre III et la possibilité que Paul soit illégitime et peut-être pas un Romanov, deviennent immédiatement un secret d’État. On les cache pendant un siècle puis on les enfouit de nouveau après 1917 lorsque les Bolchéviques installent leur quartier général dans son Institut Smolny et tuent le dernier des tsars.
Toujours maîtresse de son empire et de sa plume, comme une plaisanterie, elle écrivit son épitaphe de son vivant : « Ci-gît Catherine II, née à Stettin en 1729. Elle arriva en Russie en 1744 pour épouser Pierre III. À quatorze ans, elle eut trois désirs : être aimée par son mari, par l’impératrice Élisabeth et par son peuple. Elle n’omit rien pour y parvenir. »
Elle accomplit tant de choses encore. À sa manière, on pourrait dire : primo, qu’elle fut une femme en avance sur son temps qui façonna son époque de sorte que celle-ci s’adapte à elle ; secundo, qu’elle choisit ses batailles de manière avisée ; et tertio, que ses réformes durables furent peut-être son plus grand coup.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.