Un poème a façonné Noël tel que nous le célébrons aujourd’hui
Le poème classique "La nuit avant Noël" ont donné forme à cette fête en popularisant les chaussettes, les rennes et même le Père Noël. Il a aussi suscité une controverse qui dure depuis des siècles.
L'obsession des Américains pour le Père Noël et la tradition des échanges de cadeaux ont des origines plus complexes qu'il n'y paraît. Il suffit de jeter un œil au numéro du 23 décembre 1823 du journal Troy Sentinel pour s’en rendre compte.
Ce jour-là, les lecteurs pouvaient lire avec attention des publicités pour des robes de chambre et du miel local ou s'informer des derniers évènements au Congrès. Mais ceux qui étaient déjà dans l’ambiance de Noël furent peut-être attirés par les mots « Twas the night before Christmas » (La nuit avant Noël) en page 3. Le poème était bref, long de quelques strophes seulement, et écrit par un anonyme à l’époque. Intitulé à l'origine « Account of a Visit From St. Nicholas » (Récit de la visite de Saint-Nicolas), il racontait la rencontre d'un père avec un Père Noël plein de vie et ses rennes.
Les lecteurs modernes, qui connaissent mieux le poème par son premier vers, peuvent voir dans le récit du séjour du Père Noël dans une maison remplie d'enfants endormis et de chaussettes soigneusement suspendues une description réconfortante d'un Noël traditionnel. Mais ces vers ne faisaient pas seulement référence à Noël, estimait Clement Clarke Moore, ils l'ont façonné. Le poème allait transformer la fête aux États-Unis et dans le monde.
NOËL TEL QU’ON LE CONNAÎT AUJOURD’HUI
Mais comment ce poème non signé a-t-il pu être publié dans le Troy Sentinel ? Envoyé anonymement, il n'était qu'un des nombreux poèmes publiés dans le journal ce jour-là. Ses origines sont contestées, mais Clement Clarke Moore a affirmé plus tard l'avoir écrit pour ses neuf enfants et l'avoir lu à haute voix à l’occasion du réveillon de Noël de 1822. Bien que l'origine des vers soit obscure, leur attrait était évident pour les rédacteurs en chef du journal, qui ont transmis le poème à d'autres journaux afin qu'ils le publient, une pratique courante chez les périodiques du 19e siècle.
Clement Clarke Moore (à gauche) a prétendu avoir écrit ce poème, mais certains chercheurs et descendants du fermier et poète hollandais Henry Livingston Jr (à droite) affirment que ce dernier en est le véritable auteur. La controverse porte sur les souvenirs des enfants de Livingston et sur la question de la personnalité. Les passionnés de Livingston prétendent qu'un intellectuel apparemment barbant et sans humour comme Moore n'aurait jamais pu imaginer un Saint-Nicolas aussi avenant et affirment que les racines hollandaises de Livingston pourraient avoir influencé les traditions décrites dans le poème. Bien que la théorie de Livingston tienne la route pour ses descendants, gagnant même un procès fictif à New York sur cette question, Livingston n'en a jamais revendiqué la paternité de son vivant. Nous ne saurons donc sans doute jamais qui a écrit ce poème, sauf si de nouvelles preuves émergent et permettent pour prouver de manière concluante que le fermier en est l’auteur.
Clement Clarke Moore (à gauche) a prétendu avoir écrit ce poème, mais certains chercheurs et descendants du fermier et poète hollandais Henry Livingston Jr (à droite) affirment que ce dernier en est le véritable auteur. La controverse porte sur les souvenirs des enfants de Livingston et sur la question de la personnalité. Les passionnés de Livingston prétendent qu'un intellectuel apparemment barbant et sans humour comme Moore n'aurait jamais pu imaginer un Saint-Nicolas aussi avenant et affirment que les racines hollandaises de Livingston pourraient avoir influencé les traditions décrites dans le poème. Bien que la théorie de Livingston tienne la route pour ses descendants, gagnant même un procès fictif à New York sur cette question, Livingston n'en a jamais revendiqué la paternité de son vivant. Nous ne saurons donc sans doute jamais qui a écrit ce poème, sauf si de nouvelles preuves émergent et permettent pour prouver de manière concluante que le fermier en est l’auteur.
« Il offre aux lecteurs un exemple parfait de ce à quoi devrait ressembler un Noël célébré en famille », observe Thomas Ruys Smith, professeur de littérature et de culture américaines à l'université d'East Anglia, qui étudie l'histoire de Noël aux États-Unis. Le poème de Moore faisait référence à tous les éléments d'un Noël loin d’être traditionnel qui, bien que relativement nouveau, semble aujourd'hui aussi normal que les œufs de Pâques et les citrouilles d'Halloween.
Le poème fut grandement diffusé et les lecteurs assiégèrent le journal Sentinel pour demander qui en était l'auteur. Ce n'est qu'avec la publication de l'anthologie The New York Book of Poetry (Le livre de la poésie new-yorkaise) 14 ans plus tard, qu'un auteur, l'érudit en lettres classiques Clement Clarke Moore, en a revendiqué la paternité.
Entretemps, le poème avait séduit une génération d'enfants et influencé les traditions de Noël des générations à venir. Comme l’explique Thomas Ruys Smith, les lecteurs modernes auraient eu du mal à reconnaître les festivités de Noël d’avant les années 1820. Les célébrations (lorsqu'elles avaient lieu) variaient considérablement d'une région à l'autre et consistaient généralement en une consommation excessive d'alcool et des réjouissances dans la rue.
« À l'époque, on ne fêtait pas vraiment Noël en Amérique », a confié le professeur de littérature et de culture américaines au magazine National Geographic Histoire. « Lorsque c’était toutefois le cas, Noël prenait des airs de fête de rue tapageuse s’inspirant des traditions du vieux monde ». Ces coutumes avaient gagné en popularité en Europe occidentale, avant de se diffuser aux États-Unis avec les premières vagues d'immigrants.
LA CRÉATION DE NOËL
Les traditions évoquées dans le poème de Moore ne pourraient être plus différentes de ces festivités. À la place des réjouissances entre adultes, le Noël de Moore met en scène des enfants endormis et un lutin scintillant qui se faufile dans leur maison la nuit pour leur livrer des cadeaux. Les chaussettes remplies de jouets et le Père Noël lui-même sont d'origine néerlandaise ; tous deux dérivent de la fête annuelle qui a lieu le 5 décembre et qui célèbre Sinterklaas, ou Saint-Nicolas.
Les New-Yorkais d'origine hollandaise célébraient cette fête avec leur famille. Ceux qui n'avaient pas de racines hollandaises ne connaissaient la tradition qu'à travers les histoires fantastiques de Washington Irving, un ami de Moore. Dans la parodie littéraire intitulée « A History of New York » (L’histoire de New York) parue en 1809 et dont l’auteur serait un Néerlandais anonyme, on lit le récit d’un rêve dans lequel un Saint-Nicolas fumeur de pipe étonne les observateurs en volant dans le ciel à bord d'un chariot enchanté.
Moore n'était pas hollandais, mais new-yorkais. Pour écrire son poème, il s’est prodigieusement inspiré des traditions hollandaises, inventant certaines coutumes qu’il a mélangées à d’autres existantes, comme le fait que le Père Noël utilise des rennes pour tirer son traîneau, une idée tirée d'un poème de 1821 également publié anonymement à New York. Moore est d’ailleurs allé plus loin en donnant aux rennes des noms qui, à l'origine, comprenaient Donder et Blitzen (qui signifient respectivement « tonnerre » et « éclair » en néerlandais).
Réplique de la première ligne du célèbre poème festif, qui a séduit une génération d’enfants et a façonné les Noëls qui ont suivi.
Comme le souligne Thomas Ruys Smith, le poème de Moore est arrivé à un moment crucial : « Il a été publié juste au point pivot où Noël devient beaucoup plus une fête pour les enfants que l’on célèbre chez soi et en famille ». Au cours des premières années qui ont suivi la naissance des États-Unis, la fête de Noël était controversée, en particulier pour ceux qui adhéraient au calvinisme austère des premiers colons blancs. Mais les choses ont changé au début du 19e siècle. Avec l’industrialisation et le fait que les villes étaient devenues de véritables cités, les Américains ont commencé à associer la fête au confort de leur foyer. Grâce à l'essor des médias, qui ont permis au poème de toucher un plus large public, Noël est devenu un moment privilégié passé en famille et d'émerveillement pour les enfants.
Cette magie n'incluait cependant pas ce que certains considéraient comme un élément central de Noël : le christianisme. Le poème ne mentionne aucunement la religion, dépeignant une fête laïque souhaitant un « Joyeux Noël à tous ». Ceci contrastait avec les idées de nombreux calvinistes, lesquels considèrent Noël comme une fête solennelle, si tant est qu'elle soit célébrée. Le poème a également nourri un débat sur le degré de religiosité de Noël, débat qui est encore d’actualité aujourd’hui comme le souligne Thomas Ruys Smith.
L’ÉMERGENCE DE NOUVELLES TRADITIONS
Si le mélange de traditions hollandaises et de magie de Moore, avec ses chaussettes, ses descentes de cheminée surnaturelles et ses rennes volants, était une recette, les Américains l'ont suivie à la lettre. Face à la popularité du poème, même les familles n’ayant aucune origine néerlandaise ont commencé à suspendre leurs chaussettes et à offrir des cadeaux en se faisant passer pour un mystérieux Saint-Nicolas. Les Américains n’ont pas tardé non plus s’emparer des traditions d'autres cultures, comme le fait de décorer des sapins, une coutume allemande, ou d’envoyer et de recevoir des cartes de Noël, une pratique inaugurée par la reine Victoria d'Angleterre en 1843. Cette évolution a été accélérée par les commerçants, qui ont encouragé la frénésie de consommation liée à Noël et ont même inventé leurs propres traditions, comme Rudolphe le renne au nez rouge, fruit de l’imagination du publicitaire et héritier des grands magasins Robert L. May.
Les traditions des Néerlandais de New York qui ont inspiré Moore trouvent leurs racines dans le christianisme de l'Europe du Nord. Les premières histoires sur Saint-Nicolas racontent que le saint laissait aux enfants hollandais qui avaient été sages des cadeaux tels que des bonbons et des noix dans leurs sabots, chaussures qui ont ensuite été remplacées par les chaussettes de Noël.
Le poème « La visite de Saint-Nicolas » n’a rien perdu de sa popularité malgré le passage du temps. Il a été mis en musique par des artistes tels que Louis Armstrong et Perry Como, récité dans des films tels que Super Noël ou Le sapin a les boules, et a inspiré de nombreuses parodies. Son attrait réside peut-être dans ses rimes chantantes, si faciles à mémoriser par les enfants et les parents, ou dans l'idée d'un Père Noël rondelet et espiègle dont le travail secret a lieu chaque réveillon de Noël.
Quoi qu'il en soit, ce poème reste l'un des poèmes américains les plus lus de tous les temps et un modèle sur lequel les Américains peuvent projeter leurs lubies et leurs préoccupations quant à la signification de cette fête en constante évolution. Son plus grand atout est peut-être son Père Noël fantasque et bienveillant, décrit dans l'introduction originale du poème comme « cette personnification simple, mais délicieuse, de la bonté parentale ». Même si vous ne croyez plus au Père Noël tel qu’imaginé par Moore, vous ne pourrez pas échapper à la fête qu'il a contribué à créer ni à l'attrait presque universel d'une maison silencieuse.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.