Pourquoi l’invincible empire mongol s’est-il arrêté aux portes de l’Europe ?

Au 13e siècle, les rois d’Europe tremblèrent devant les forces mongoles qui saccageaient leurs villes. Mais alors que rien ne semblait pouvoir les arrêter, les Mongols battirent soudainement en retraite.

De Antonio García Espada
Publication 20 juil. 2024, 09:11 CEST
Mongols at the gates

Les Mongols assiégèrent la ville de Vladimir durant l’invasion du Rus’ de Kiev en 1238. On doit cette sombre représentation de l’événement à l’artiste russe Vassily Maximov (1910).

PHOTOGRAPHIE DE Getty Images

L’Histoire se souvient de Genghis Khan de deux manières bien distinctes : il y a d’une part le conquérant impitoyable et, d’autre part, le fondateur du plus grand empire contigu qui ait jamais existé. En 1206, Genghis Khan réussit ce que de nombreux autres conquérants n’étaient jamais parvenus à faire : rassembler l’ensemble des peuples turco-altaïques du plateau mongol sous son autorité. La soumission de ces peuples, qu’on appelait « ceux qui vivent dans des tentes en feutre », ne fut qu’un début. Le premier Grand Khan de l’Empire mongol fut un génie militaire qui, à la tête de ses armées, agrandit son territoire, sut s’adapter rapidement et combattit avec endurance.

L’empire de Genghis Khan continua à s’étendre à travers l’Asie, balayant des États préexistants. À l’est, les Mongols anéantirent les royaumes des Jürchens et des Tangoutes, qui se trouvaient à l’emplacement de la Chine actuelle, tandis qu’à l’ouest ils écrasèrent les Khitans et les Khorassaniens de Transoxiane, en Asie Centrale. Ces derniers avaient défié les Mongols en offrant le refuge à des traîtres et à des nomades ayant fui leurs forces.

En 1223, les Mongols entreprirent de conquérir les terres des gardiens de troupeaux turcs des plaines de l’extrême-Occident, au nord de la mer Caspienne et de la mer Noire. Genghis Khan transféra deux de ses meilleurs généraux, Djébé et Subötaï, de la Perse, qu’il était sur le point de conquérir, à la steppe eurasienne. Là, Djébé et Subötaï menèrent 20 000 hommes contre les derniers rescapés des bergers nomades : les Coumans-Kipchaks.

Ögedei reprit le flambeau de Grand Khan à la mort de son père en 1227. Il monta une armée de 100 000 cavaliers, une force bien plus importante que celle que son père avait mis sur pied douze années auparavant. Bien que cette armée fût dirigée par des chefs issus des quatre branches de la famille impériale, le commandement militaire échut à Subötaï, qui était alors un vieil homme.

Dès qu’il eut vent de l’imminent assaut mongol, Köten, le chef des Coumans, demanda l’aide du Rus’ de Kiev, vaste État slave d’Europe de l’Est formé au 10e siècle autour de sa capitale, Kiev. Slaves et Coumans créèrent une armée commune comptant 80 000 hommes.

Les Mongols, voyant qu’ils étaient en infériorité numérique, misèrent sur la duperie. Subötaï alla à la rencontre de l’armée slavo-coumanienne en compagnie de 2 000 cavaliers mal équipés qui avaient pour ordre de feindre la panique et de s’enfuir. La ruse trompa les forces défensives qui poursuivirent de près les Mongols « en panique » pendant neuf jours. Quand elles furent rendues à la Kalka, rivière située près de l’actuelle ville de Marioupol, en Ukraine, Djébé et le reste de l’armée mongole les attendaient de pied ferme et lui infligèrent une défaite cuisante. Ce fut la première victoire mongole sur le sol européen.

 

REMETTRE À PLUS TARD

Cette incursion en Europe fut cependant un cas isolé. Les généraux mongols reçurent l’ordre de se redéployer et de rejoindre Genghis Khan dans sa conquête du nord de la Chine à près de 6 000 km de là. La mission s’étira sur plusieurs années. Ce n’est qu’en 1235 qu’Ögedei, fils et successeur de Genghis Khan, ordonna qu’une nouvelle offensive soit lancée vers l’ouest. Ögedei souhaitait assujettir les Coumans et leurs alliés une bonne fois pour toutes.

Portrait d’Ögedei, fils et successeur de Genghis Khan.

PHOTOGRAPHIE DE Album

Ögedei se servit de Batu Khan, l’un des petits-fils de Genghis Khan, pour mener l’offensive vers l’ouest, à travers l’Europe, en 1235. Les Mongols pénétrèrent dans la région de la Volga supérieure et défirent les forces des Coumans, des Alains et des Bulgares. Ensuite, ils attaquèrent de nouveau le Rus’ de Kiev. Fin 1237, la première grande forteresse russe, Riazan, tomba après un siège de six jours.

Batu Khan et ses forces balayèrent les villes du Rus’ de Kiev. Celles-ci tombèrent les unes après les autres, y compris Kiev, qui fut conquise à la fin de 1240 après un siège de neuf jours. Connus pour incorporer le savoir-faire militaire de leurs prisonniers, les Mongols se servirent d’un engin de siège chinois ainsi que de liquides inflammables et de poudre à canon ; c'était la première fois que l’on utilisait de telles techniques en Europe.

 

CONQUÊTES ET MASSACRES

Selon des sources européennes, les Mongols auraient massacré les habitants de chaque ville conquise, ne laissant en vie que ceux qu’ils pouvaient employer au travail forcé. Thomas l’Archidiacre (de Split, en Croatie), historien et témoin du 13e siècle, écrivit dans son Historia Salonitana que dans une ville, ils ne laissèrent « personne qui puisse uriner contre un mur ». Les Coumans subirent des pertes dévastatrices ; plus de 100 000 morts. Les Mongols seraient parvenus à estimer ce nombre en coupant une oreille sur chaque soldat ennemi mort puis en comptant chaque oreille prélevée ainsi. Comme cela s’était déjà produit près de deux décennies auparavant, Köten, le chef couman, échappa à l’épée de Subötaï et parvint à s’enfuir. Cette fois-ci, Köten et près de 40 000 rescapés trouvèrent refuge à la cour du roi de Hongrie, Béla IV, qui régna de 1235 à 1270.

Depuis sa base du sud de l’Ukraine, Batu Khan envoya une lettre à Béla pour le mettre en garde de ce qui l’attendait s’il ne lui remettait pas les fugitifs coumans : « Il est plus facile pour eux de s’échapper que pour toi, puisqu’ils sont sans maisons et se déplacent dans leurs tentes, et ainsi sont donc peut-être en mesure de s’échapper. Mais toi qui demeures dans des maisons et qui possèdes des forteresses et des villes, comment m’échapperas-tu ? »

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    Statue du 21e siècle de Peter Gásár à l’effigie du roi Béla IV, chef de la résistance face aux Mongols, exposée à Banká Bystrica, en Slovaquie.

    PHOTOGRAPHIE DE Azoor Photo, Alamy, ACI

    Cependant, le roi Béla IV ne céda pas à la menace de Batu. La protection qu’il offrait aux Coumans lui permit de s’afficher en roi exemplaire. Le refuge donné aux Coumans alla d’ailleurs de pair avec leur assimilation dans la culture hongroise et avec leur conversion au catholicisme. Béla demanda ensuite de l’aide militaire à d’autres princes dans l’idée de créer une armée capable. Cette idée séduisait Béla, car l’armée en question serait indépendante des seigneurs féodaux hongrois avec qui il avait maille à partir.

    Le peuple hongrois craignait quant à lui le courroux des Mongols et était beaucoup moins favorable aux Coumans. Un jour, une foule attisée par des membres de l’aristocratie hongroise parvint finalement à lyncher Köten. Après cet assassinat, les guerriers de Köten fuirent vers le sud et vers l’ouest, détruisant de nombreux villages hongrois sur leur passage.

    Si Béla espérait de la solidarité de la part des autres États, il fut bientôt déçu. Le roi tenta de persuader Frédéric II, empereur du Saint-Empire romain, d’envoyer des troupes, et lui proposa même de devenir un État vassal en contrepartie. Le Saint-Empire romain était une large confédération d’États et d’entités politiques plus petites qui faisaient de leur chef le souverain le plus puissant d’Europe. Frédéric II refusa la demande d’aide de Béla et loua les qualités de guerriers des Mongols qui, à ses yeux, étaient « coriaces, trapus, musclés, forts, audacieux, intrépides, en plus d’être d’incomparables archers, et prêts à affronter n’importe quel danger au signal de leur commandant ».

    Béla se tourna vers l’Église. Il implora le pape Grégoire IX d’intervenir et le mit en garde : si la Hongrie tombait, rien n’arrêterait la percée mongole en Europe. Le pape proclama une petite croisade contre les Mongols, mais aucune force substantielle ne fut déployée. Le seul engagement ferme que Béla parvint à obtenir fut celui de son cousin Henri II le Pieux, duc de Silésie et duc de Petite et Grande-Pologne, qui était l’un des seigneurs les plus puissants de la région.

     

    PERCÉE IRRÉSISTIBLE

    Batu Khan et Subötaï organisèrent alors l’une des offensives les plus efficaces et les plus géniales de l’histoire militaire. Les forces mongoles furent divisées en trois unités, chacune avançant depuis l’Ukraine en même temps mais empruntant des itinéraires distincts pour atteindre leurs cibles. Elles feraient irruption sur le territoire européen quasi-simultanément en deux points distants de 725 kilomètres.

    La première colonne, composée de 20 000 Mongols, traversa le sud de la Pologne. Le 9 avril 1241, elle affronta une coalition de Polonais, de Moraves et de Templiers assemblée par Henri II. La bataille eut lieu à l’extérieur de la ville de Liegnitz (actuelle Legnica, dans le sud de la Pologne).

    En 1241, après avoir battu une coalition européenne lors de la bataille de Legnica (en actuelle Pologne), les armées mongoles paradèrent dans la ville avec le chef décapité d’Henri II de Silésie, roi vaincu représenté dans le manuscrit du Codex d’Hedwige, écrit en 1451.

    PHOTOGRAPHIE DE WHA, Album

    Organisés en groupes de pillards qui communiquaient à l’aide de drapeaux et de flèches sifflantes, les Mongols simulèrent plusieurs assauts et replis qui désorientèrent les forces d’Henri II. Les assaillants se servirent également d’une dense fumée noire pour embrouiller la cavalerie lourde et faire en sorte que l’infanterie se retrouve sans défense. Ce jour-là, les Mongols remportèrent la bataille de Legnica, une victoire cruciale. Henri II fut abattu et les Mongols hissèrent et promenèrent sa tête décapitée sur une lance pendant des semaines.

    La cible suivante semblait devoir être le royaume de Bohème. Son roi, Venceslas Ier, offrit un soutien de dernière minute à son beau-frère Henri, mais dut retourner en Bohème pour protéger son royaume quand il reçut la nouvelle de la terrible défaite subie par ce dernier lors de la bataille de Legnica. Mais à sa grande surprise, les Mongols n’avaient pas poursuivi leur percée vers l’ouest. Après avoir anéanti les alliés polonais des Hongrois, les Mongols se dirigèrent plutôt vers le sud pour rejoindre le corps principal de l’armée, qui s’était alors frayé un chemin jusqu’au cœur du royaume hongrois de Béla IV.

    Deux jours après la victoire de Legnica, Batu Khan écrasa les Hongrois lors de la bataille de Mohi (près de l’actuelle Muhi), et décima les forces européennes. Cette victoire, remportée le 11 avril 1241, fut obtenue grâce à une manœuvre brutale, la nerge, tactique de chasse consistant à encercler une large zone à cheval et à circonscrire sa proie dans un cercle toujours plus rétréci. Une fois l’armée hongroise contenue, les forces de Batu Khan eurent tout le loisir d’en éliminer les membres.

    On estime que les Hongrois perdirent 10 000 hommes à Mohi (les Mongols auraient rempli neuf sacs d’oreilles coupées). Les compétences supérieures des Mongols dans l’art de la guerre leur permirent d’annihiler leurs ennemis sans discontinuer. Béla parvint à s’échapper et, avec son garde couman, se rendit d’abord en Autriche, puis prit la direction du sud et traversa la Croatie, la Serbie et l’Albanie. Un détachement mongol se lança à sa poursuite, mais Béla réussit à leur échapper en se cachant sur une petite île au large du littoral de l’Adriatique.

    Sur cette miniature extraite d’un manuscrit français du 13e siècle, on voit la cavalerie hongroise tenter en vain de repousser un assaut mongol sur un pont enjambant le Sajó lors de la bataille de Mohi, le 11 avril 1241.

    PHOTOGRAPHIE DE Album

    Après Mohi, les Mongols saccagèrent la capitale hongroise, Strigonie (actuelle Esztergom). La résistance hongroise tint neuf mois à l’ouest du Danube, mais l’hiver rigoureux fit geler le fleuve, ce qui permit à la majorité de l’armée mongole de le traverser, puis d’atteindre Vienne. Ensuite, alors même que la conquête totale semblait à portée, l’avancée fut stoppée et les Mongols se replièrent.

    La cause de ce repli soudain au printemps 1242 est matière à débats. Certaines sources l’attribuent à la mort du Grand Khan Ögedei en décembre 1241. Batu Khan comme Subötaï auraient été contraints de rentrer à Karakorum, en Mongolie, pour participer à l’élection du nouveau souverain. Certains historiens doutent qu’ils aient pu apprendre la mort de leur chef aussi rapidement et désignent d’autres raisons, comme la météo. Une chute drastique des températures et la rareté des pâturages pour les chevaux mongols sont susceptibles d’avoir posé des problèmes tactiques à leurs armées.

    De récentes recherches archéologiques ont révélé que l’armée mongole avait subi un nombre plus important de pertes lors de l’offensive hongroise que ce qui avait été rapporté. Ces lourdes pertes convainquirent peut-être les généraux mongols de se replier afin de préserver leurs effectifs.

    Le château d’Hollókő, à 65 kilomètres environ de Budapest, a été construit à la fin du 13e siècle pour se prémunir contre de futurs assauts mongols.

    PHOTOGRAPHIE DE Geza Kurka, Alamy, ACI

     

    LA HORDE D’OR

    Batu Khan n’en abandonna pas pour autant ses conquêtes européennes. Dans le sud de la Russie, sur la steppe coumane, il créa un État mongol, la Horde d’Or. Cet État fut si étendu qu’y furent assujetties des terres allant des Carpates, dans l’est de l’Europe, à la Sibérie. Batu Khan installa sa capitale à Saraï, sur les rives de la Volga inférieure ; l’emplacement exact de la ville fait encore débat chez les spécialistes.

    La Horde d’Or atteignit son apogée au 14e siècle quand l’islam devint sa religion officielle. L’État collectait un tribut auprès de peuples d’Europe de l’Est, d’Asie et du Moyen-Orient et s’enrichit grâce au commerce dans la Méditerranée. Tout semblait propice à une croissance continue jusqu’à ce que la peste noire ne s’abatte en 1347.

    La peste affaiblit grandement la mainmise de la Horde d’Or sur ses territoires. En 1359, une guerre civile éclata et dura pendant des décennies. La généralisation des troubles, la division du pouvoir et les conflits frontaliers finirent par saper le contrôle mongol. La Horde d’Or connut le déclin et les pouvoirs locaux reprirent le contrôle tandis que les derniers vestiges de l’invasion mongole s’effaçaient.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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