La sanglante bataille de Solférino a inspiré la création de la Croix-Rouge
Heurté par l’immobilisme des autorités locales après la bataille de Solférino, l’homme d’affaires suisse Jean-Henri Dunant décida de créer une organisation humanitaire internationale.
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Cette photo colorisée du fondateur de la Croix-Rouge Jean-Henri Dunant fut prise vers 1896, alors qu’il approchait des soixante-dix ans.
À l’été 1859, les champs de la plaine du Pô, en Italie, étaient jonchés de restes humains et la terre était couverte de flaques de sang. L’homme d’affaires Jean-Henri Dunant avait rejoint le nord de l’Italie dans l’espoir d’y rencontrer des représentants de Napoléon III pour régler des problèmes liés à des terres qu’il possédait en Algérie, mais à la place il assista à la bataille de Solférino.
La tragédie dont il fut témoin en Italie le transforma en visionnaire humanitaire et l’incita à cofonder ce qui deviendrait le Comité international de la Croix-Rouge. Pacifiste de longue date, sa conviction que la guerre devait être régie par des règles adoptées internationalement conduisit à la signature de la première convention de Genève, qui inaugura une nouvelle ère du droit international en imposant aux forces armées une responsabilité quant aux actions menées dans les zones de combat.
L’ENFER DE SOLFÉRINO
Les projets entrepreneuriaux de Jean-Henri Dunant, mais aussi sa vie et sa carrière, furent bouleversés par les conséquences géopolitiques explosives du mouvement italien pour l’indépendance. Alliée aux nationalistes italiens, la France se livrait à une lutte sanglante pour bouter les forces autrichiennes hors du nord de l’Italie. Fortuitement, Jean-Henri Dunant arriva dans la ville de Castiglione delle Stiviere, près du lac de Garde, le 24 juin 1859 ; le jour même où eut lieu la bataille de Solférino.
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Solférino fut une bataille importante par bien des aspects : elle vit l’Autriche perdre son emprise sur l’Italie et ce fut le tout dernier affrontement militaire où tous les camps étaient personnellement commandés par des monarques. Elle est également entrée dans les annales de l’histoire militaire pour son caractère particulièrement meurtrier : au bout d’une seule journée de combat, des milliers de soldats gisaient déjà sur le champ de bataille. Les pertes autrichiennes s’élevaient à elles seules à 22 000 morts et blessés. Jean-Henri Dunant fut témoin de ce carnage et ce qu’il vit changea sa vie. « Pendant les journées du 25, du 26 et du 27, que d’agonies et de souffrances ! », écrivit-il dans Un Souvenir de Solférino, livre paru en 1862.
En plus des milliers de morts, d’innombrables soldats des deux camps furent blessés, et dans les jours qui suivirent ils commencèrent à affluer vers Castiglione. Toute la ville fut transformée en hôpital de fortune ; les habitants ouvrirent les églises, les dépendances et mêmes leurs propres foyers pour accueillir les blessés. Les cris des soldats blessés résonnaient dans les rues tandis que les habitants se pressaient pour les aider, réunissant des couvertures et improvisant des civières.
Jean-Henri Dunant s’impliqua en personne : il aida à commander de la nourriture, des médicaments et des pansements quand les réserves vinrent à manquer. Il fut impressionné par le dévouement des habitantes qui s’occupaient des blessés – qu’importe qu’ils fussent alliés ou ennemis – en répétant les mots tutti fratelli : nous sommes tous frères.
UNE VOCATION POUR LE SERVICE
Vue par le prisme de son éducation, la transition spectaculaire de Jean-Henri Dunant, de l’homme d’affaires à l’humanitaire, après Solférino, n’est somme toute pas si surprenante. Né en 1828 dans une famille bourgeoise et résolument protestante de Genève, ville d’adoption du réformateur protestant du 16e siècle Jean Calvin, Jean-Henri Dunant manifesta une profonde vocation religieuse dès l’enfance. Sa connaissance des Écritures devint évidente plus tard dans sa vie, quand dans ses écrits exhortant à la paix il adopta le langage prophétique de la Bible.
À l’âge de dix-huit ans, il rejoignit la Société genevoise des donations d’aumône et, à l’âge de dix-neuf ans, il créa un groupe d’étude de la Bible. Il encouragea également la formation de la branche genevoise de l’Union chrétienne de jeunes gens (UCJG ou YMCA). À partir de 1853, il se concentra sur le développement ses intérêts commerciaux en Algérie tout en restant activement impliqué au niveau religieux.
![Armband against arms Armband against arms](https://static.nationalgeographic.fr/files/styles/image_3200/public/dunant8.webp?w=760&h=540)
Ce brassard appartenait au chirurgien suisse Louis Appia qui, avec Jean-Henri Dunant, fut l’un des cinq membres du comité fondateur de la Croix-Rouge qui se réunit en 1863. On peut y lire le récit de la participation d’Appia en tant que médecin de la Croix-Rouge à des guerres européennes entre les années 1860 et 1870.
Cette oblativité fut une constante tout au long de sa vie et en assistant à ces scènes macabres en Italie en 1859, le jeune homme alors âgé de 31 ans vit soudain ce que sa vocation pourrait être. Bien que profondément impressionné par les tentatives de personnes ordinaires de s’occuper des blessés, Jean-Henri Dunant fut heurté par l’immobilisme des autorités locales. Selon lui, avec une meilleure organisation, de nombreuses vies auraient pu être sauvées. À partir de ce moment, il relégua ses intérêts entrepreneuriaux au second plan.
L’une de ses premières réalisations de militant fut d’obtenir une entrevue avec le commandant militaire de la campagne d’Italie, Patrice de MacMahon, afin d’aborder la catastrophe humanitaire en cours à Castiglione.
RÉFLEXION ET ACTION
Dans Un Souvenir de Solférino, Dunant fait la chronique de son expérience :
Les blessures, envenimées par la chaleur et la poussière et par le manque d’eau et de soin, sont devenues plus douloureuses ; des exhalaisons méphitiques vicient l’air […] les convois dirigés sur Castiglione continuent à y verser, de quart d’heure en quart d’heure, de nouveaux contingents de blessés et l’insuffisance du nombre des aides, des infirmiers et des servants se fait cruellement sentir.
En plus de ce témoignage direct des ravages, ce livre qui rencontra le succès émit deux propositions qui permettraient d’apporter une aide humanitaire future à des personnes du monde entier, qu’il s’agisse de combattants ou bien de civils.
La première était de créer des organisations humanitaires qui pourraient être capables d’intervenir aussitôt qu’un conflit armé éclatait. La seconde était d’établir un accord international qui garantirait de l’aide aux personnes blessées au combat. La promotion de ces propositions radicales devint la mission centrale de Jean-Henri Dunant. Il envoya des copies du livre à des dirigeants politiques et militaires de toute l’Europe.
RASSEMBLEMENT DES NATIONS
Jean-Henri Dunant avait besoin d’un appui opérationnel pour faire avancer son projet. Après la publication d’Un Souvenir de Solférino, un juriste suisse du nom de Gustave Moynier entra dans sa vie.
Gustave Moynier avait été profondément impressionné par l’ouvrage de Jean-Henri Dunant. Et c’est en grande partie grâce aux qualités de meneur du premier qu’à l’automne 1863, seize États européens se réunirent à Genève pour discuter de la proposition de Dunant d’une organisation humanitaire internationale.
![Des délégués assistent à une conférence du Comité international de la Croix-Rouge, imaginé par Dunant à ... Des délégués assistent à une conférence du Comité international de la Croix-Rouge, imaginé par Dunant à ...](https://static.nationalgeographic.fr/files/styles/image_3200/public/dunant7.webp?w=760&h=542)
Des délégués assistent à une conférence du Comité international de la Croix-Rouge, imaginé par Dunant à Genève en 1864.
Parvenir à un accord fut difficile. Néanmoins, la conférence se conclut par un appel à la création de comités de secours dans chaque pays qui seraient prêts à agir en temps de guerre. Les membres de ces comités humanitaires devaient être identifiables grâce à un brassard dont les couleurs étaient inversées par rapport à celles du drapeau suisse : un fond blanc et une croix rouge. C’est celle-ci qui finit par donner son nom à l’organisation.
Le succès mondial de la Croix-Rouge repose en grande partie sur les accords qui obligent les États à respecter la neutralité de ses intervenants. L’idée-force de Dunant selon laquelle l’humanitarisme doit être codifié dans le droit international, conduisit le gouvernement suisse à organiser une nouvelle conférence en 1864.
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Sur cette gravure en couleur de la guerre franco-prussienne, des religieuses des Sœurs de la charité travaillant sous le drapeau de la Croix-Rouge aident à évacuer les blessés de la bataille de Saint-Privat.
En cette année, qui était l’avant-dernière de la guerre de Sécession, les Européens n’étaient que trop conscients du coût croissant du combat moderne en matière de vies humaines et de séquelles. La conférence se conclut avec la signature par douze États européens d’un accord centré sur trois grandes résolutions : la protection des hôpitaux dans les zones de guerre ; le droit d’être soigné pour tous les combattants ; et la protection des civils apportant une aide médicale. La première convention de Genève venait de naître (et devait être suivie au cours du siècle suivant par trois autres conventions). Parallèlement, le travail du Comité international de la Croix-Rouge s’étendit à presque toutes les régions du monde et inspira plus tard la création du Croissant-Rouge, un équivalent dans les pays à majorité musulmane.
Si l’organisation de Jean-Henri Dunant prospéra, ses affaires en Algérie s’effondrèrent. Il fut condamné pour faillite frauduleuse et exclu de la Croix-Rouge. Ayant sombré dans l’oubli, il ne fut réhabilité qu’en 1901, année où il reçut le Prix Nobel de la paix, neuf ans avant sa mort. Les guerres des 20e et 21e siècles furent aussi meurtrières qu’il ne le craignait et les civils toujours plus ciblés. De nos jours, dans le monde entier, des populations accablées par la guerre sont soulagées de leur terrible épreuve grâce à la vision d’un homme mû par la compassion sur un champ de bataille italien voilà 160 ans.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
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