Comment Hello Kitty a permis au Japon de conquérir le monde après la Seconde guerre mondiale

Né du traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, ce personnage connu de tous est devenu un outil puissant de diplomatie, de réinvention culturelle et de soft power.

De Isami McCowan
Publication 11 avr. 2025, 11:42 CEST
Vêtue d’un kimono, Hello Kitty interprète une danse classique japonaise lors d’un événement dans un centre ...

Vêtue d’un kimono, Hello Kitty interprète une danse classique japonaise lors d’un événement dans un centre commercial, en 2007. Cette chatte, auparavant symbole de rébellion et icône des enfants, est devenue une ambassadrice culturelle, une partie intégrante de la stratégie de soft power du Japon afin de redorer son blason après la Seconde Guerre mondiale.

PHOTOGRAPHIE DE Toru Hanaï, Reuters, Redux

Aux yeux du monde, Hello Kitty est une chatte charmante, un personnage de dessin animé portant un nœud rouge à la tête d'un empire de vêtements, accessoires et autres sacs à dos, en un mot une marque pesant plusieurs milliards de yen. Mais l’histoire derrière sa popularité est bien plus complexe.

Née en 1974 au cœur des efforts du Japon de se remettre de la dévastation post Seconde Guerre mondiale, Hello Kitty est devenue l’agente inattendue d’une réinvention nationale. Alors que le pays confrontait son passé impérialiste et cherchait à redorer son blason à l’international, c’est une révolution culturelle silencieuse qui a émergé, aux racines ancrées dans le culte de la mignonnerie, le kawaii.

C’est avec le personnage d’Hello Kitty que le Japon a commencé à se remontrer au monde, non pas comme une ancienne puissance militaire, mais comme un expert du soft power.

 

LA POPULARITÉ D’HELLO KITTY

La capitulation du pays en 1945 a forcé les dirigeants politiques japonais à regarder en face l’histoire impérialiste du pays et à trouver une façon de s’en extirper. Dans les pays occidentaux régnait un puissant sentiment anti-Japon. La déshumanisation systématique des communautés japonaises menait aux États-Unis à des législations discriminatoires et à la relocalisation massive des Nippo-Américains vers des camps d’internement. Le Japon était face à deux choix : accepter son sort ou bien changer fondamentalement son image internationale. Le pays a préféré la deuxième option.

L’entrée d’un magasin de souvenirs Hello Kitty de la société Sanrio attire l’œil avec ses couleurs ...
Auparavant un personnage méconnu né de la réinvention d’après-guerre, Hello Kitty est devenue une icône nationale, ...
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L’entrée d’un magasin de souvenirs Hello Kitty de la société Sanrio attire l’œil avec ses couleurs chatoyantes.

PHOTOGRAPHIE DE JPVisional, Alamy Stock Photo
Droite: Fond:

Auparavant un personnage méconnu né de la réinvention d’après-guerre, Hello Kitty est devenue une icône nationale, apparaissant partout, des jouets aux campagnes à destination des touristes, en passant par les timbres officiels.

PHOTOGRAPHIE DE Neftali, Alamy Stock Photo

Entre 1945 et 1952, l’occupation américaine du Japon a restructuré le système politique et économique du pays, alors qu’il commençait à chercher de nouvelles manières moins menaçantes de réintégrer l’imaginaire international. Les exports culturels sont devenus des outils stratégiques, des liens émotionnels qui permettaient d’éviter le conflit.

C’est une tâche ardue que de changer l’image d’un pays, surtout quand les stigmates de la guerre ternissent sa réputation. La renaissance du Japon a commencé dans les années 1970, grâce à une société de chaussures, lorsque le designer Yuko Shimizu a dessiné un chat blanc portant un ruban rouge. Dessin qui a changé le cours de l’histoire japonaise.

Hello Kitty a vu le jour dans les locaux de la société Sanrio Inc. en 1974, une idée des designers de la société japonaise connue pour ses sandales mignonnes en caoutchouc ornées de fleurs. Le personnage a connu un succès fulgurant dans les années 1970 et 1980, surtout en Occident, où des hordes de fans américains et des magasins Sanrio sont apparus un peu partout dans le pays, amenant des milliers de produits dérivés sur le marché. Hello Kitty a porté la culture kawaii, qui se traduit littéralement par « mignon » ou « adorable », sur la scène internationale, pavant le chemin d'une nouvelle identité japonaise.

« Le kawaii est facile à utiliser en tant qu’une toile vierge sur laquelle on peint ses propres vues de ce qu’est une marque. Son mécanisme repose sur les émotions. Il s’agit d’un moyen discret et pratique d’adoucir l’image des compagnies et des marques. » C’est l’explication qu’offre Hui-Ying Kerr, maître de conférences de l’université de Trent à Nothingham, dont les travaux de recherche se concentrent sur la culture de consommation au Japon.

Le kawaii, ancré dans la « culture féminine » japonaise, se caractérise par son aspect visuel simple, hyper-mignon, d’innocence enfantine. Il s’agissait à l’origine d’un espace de sûreté et d’émancipation pour des groupes privés de droits au Japon. Les activistes étudiants des années 1960 ainsi que les femmes fans de shōjo des années 1980 se sont servi de cette sous-branche légère de la culture pour se rebeller contre des hiérarchies rigides et nationalistes, sources d’agressions, explique la professeure de japonais à l’université de Clemson, Kumiko Saito. Cette première version du kawaii était radicale, un acte de résistance enveloppé dans un cocon de mignonnerie.

Le pouvoir émotionnel du kawaii n’est cependant pas passé inaperçu. En y regardant de près, les institutions économiques et gouvernementales du Japon ont découvert une opportunité lucrative. Une apparence épurée est devenue une stratégie nationale : la puissance douce se servait du sentiment d’innocence que véhiculait le kawaii, afin de redorer son image internationale. Hello Kitty, sans expression, apolitique et malléable à souhait, était l’ambassadrice idéale.

 

L’INFLUENCE INTERNATIONALE DU KAWAII

La Seconde Guerre mondiale a cristallisé de profondes tensions politiques et culturelles entre les États-Unis et le Japon. Et pourtant, en 1983, moins de quarante ans après la fin de la guerre, Hello Kitty était devenue l’ambassadrice officielle de l’UNICEF auprès des enfants américains. 

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    Un train express Haruka aux couleurs d’Hello Kitty fait la jonction entre l’aéroport international de Kansai et Kyoto.

    PHOTOGRAPHIE DE Leopold von Ungern, Stockimo, Alamy Stock Photo

    Au début des années 2000, le gouvernement japonais avait complètement embrassé le kawaii comme un outil de soft power. L'initiative « Cool Japan » se servait de la culture populaire, comme les animés, la mode et les icônes kawaii telles qu’Hello Kitty, pour « renforcer les liens entre le Japon et les autres pays ».

    Grâce à cette campagne, Hello Kitty est devenue Ambassadrice du Tourisme à Taïwan et en Corée du Sud, deux nations qui avaient fait les fraits de l’occupation brutale du régime impérial japonais quelques décennies plus tôt. L’esthétique du kawaii était un tel succès qu'elle permit de draper le Japon d'une cape d’innocence.

    Dan White, anthropologue culturel et adjoint de recherche à l’université de Cambridge, explique comme la capacité qu’a le Japon de se réinventer : « Tout repose sur la narration, la flexibilité et la façon de raconter des histoires adaptatives sur l’identité de la nation. Les bureaucrates et les politiciens cherchaient à recréer le Japon. »

    Le kawaii n’est pas simplement devenu une apparence mais bien l’entière personnalité du Japon : de l’empire commercial multimilliardaire de Sanrio à la désignation en 2008 par le ministère des affaires étrangères de « Cute Ambassadors », de jeunes femmes habillées selon la mode kawaii déployées comme des mascottes culturelles lors d’expositions internationales. Au cours d’une interview, l’ambassadrice Aoki Misako a décrit sa tenue kawaii comme étant « une armure [qui] peut protéger quelqu’un des perceptions négatives de soi ».

    La vision kawaii revêt ici deux symboliques : l’émancipation des femmes d’une structure patriarcale et l’outil stratégique et diplomatique d’une nation. Même l’ancien premier ministre, Shinzo Abe, connu pour ses idées nationalistes, a penché vers la stratégie kawaii en se déguisant en Mario de Nintendo lors des J.O. de Rio en 2016. Une pirouette qui est arrivée après une vague de critiques contre ses vues nationalistes, notamment une visite à un mémorial de la Seconde Guerre mondiale rendant hommage à des criminels de guerre japonais reconnus.

    « Il faut penser aux idées politiques, surtout lorsque l’on parle des institutions ou des nations qui se servent du mignon pour avancer leurs propres buts nationalistes », explique Hui-Ying Kerr. « C’est un peu comme un ingrédient, à l’instar du sucre qui peut rendre certains plats comestibles, mais qui peut aussi rapidement dégoûter en excès ou lorsqu’on s’en sert pour cacher quelque chose. »

    Cette culture de la mignonnerie, ce que l’anthropologue Christine Yano appelle la « performance du mignon », est profondément ancrée dans la vie moderne japonaise. L’anthropologue, autrice de Pink Globalization: Hello Kitty’s Trek Across the Pacific, qui n’a pas été traduit en français, remarque que la culture kawaii sert de multiples objectifs. Elle peut être amusante et personnelle, une forme d’expression et d’identité, tout en agissant comme un vaisseau pour l’image de marque et la diplomatie.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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