À quoi ressemblaient les accouchements à l’époque de la naissance de Jésus ?
La "crèche", désignant une "mangeoire" en latin, célèbre l’histoire de la naissance de Jésus. Les textes historiques suggèrent pourtant que des mesures d’hygiène étaient prises lors des accouchements à cette époque.
Sous l'Empire romain, à l'époque de la naissance de Jésus, les sages-femmes jouaient un rôle central dans les accouchements. Elles attestaient également de manière publique des questions relatives à la grossesse ou à la virginité. Dans cette œuvre du 15e siècle de Lorenzo Lotto, une sage-femme, à droite, apparaît aux côtés de l'enfant Jésus et de Marie.
Chaque année, les chrétiens du monde entier célèbrent l'histoire traditionnelle de la naissance de Jésus par des représentations de la Nativité et des festivités de Noël. L'événement est décrit dans l’Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc selon lequel Marie « enfanta son fils premier-né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche, parce qu’ils manquaient de place dans la salle ». Cependant, le récit biblique ne contient pas de détails précis sur l'accouchement de Marie, laissant donc les chercheurs se tourner vers d’autres sources. Les naissances contemporaines dans la Rome antique fournissent des informations intéressantes sur les pratiques de l'époque, y compris certaines mesures d’hygiène qui pourraient paraître surprenantes pour cette période et qui ont toujours cours aujourd'hui.
LES SAGES-FEMMES
Les spécialistes de la Bible situent la naissance de Jésus entre 6 et 4 avant notre ère, lorsque la Judée et Bethléem faisaient partie de l'Empire romain. Dans la Rome antique, ce sont les femmes qui assistaient à l'accouchement, avec l'aide de voisines, de parentes, d'amies et d'esclaves, en fonction de leurs ressources et de leur statut social, indique Anna Bonnell Freidin, historienne à l'université du Michigan et autrice de l'ouvrage « Birthing Romans: Childbearing and Its Risks in Imperial Rome ».
« Si vous regardez les quelques images d'accouchement de l'Empire romain, vous remarquerez que les scènes mettent souvent l'accent sur une communauté de femmes. Je pense que cette perspective est absolument essentielle pour comprendre la nature sociale de l'accouchement dans le monde romain », explique l’historienne.
À l'époque de Jésus, l'accouchement constituait une entreprise risquée, mais les sages-femmes, comme celles représentées sur ce relief antique de Rome, apportaient une aide qui est toujours prodiguée aujourd'hui.
Pour les familles qui pouvaient s’offrir leurs compétences, les sages-femmes de l'époque étaient souvent des personnes de sexe féminin qui dispensaient des soins médicaux courants aux femmes et aux enfants. Dans les villes de l'Empire romain, existaient également des sages-femmes d'élite éduquées, ajoute-t-elle.
L'Empire romain antique était vaste et, bien que chaque province soit tenue d'adhérer au droit romain, les usages culturels ou religieux spécifiques à ce peuple n'étaient généralement pas imposés aux communautés. Par conséquent, les pratiques entourant l'accouchement et les coutumes précédant la naissance pouvaient différer. Avant cette dernière, les futurs parents pouvaient vénérer différentes divinités ou offrir des sacrifices divers en fonction de leur religion. Les mères juives, comme Marie, auraient également fait appel à une sage-femme juive lorsque la famille en avait les moyens en raison de l'antisémitisme de l'époque et des inquiétudes liées à la santé de la mère et du bébé, explique Tara Mulder, historienne à l'université de la Colombie-Britannique.
Les sages-femmes étaient même considérées comme des expertes dans le système juridique romain, bien qu’officiellement aucun diplôme ou aucune supervision de celles-ci ou des médecins n’existait, précise Tara Mulder. En cas de litige sur des questions telles que la pension alimentaire, par exemple, les sages-femmes étaient appelées à témoigner en tant qu'expertes quant au fait qu’une femme ait réellement été enceinte ou avait bien accouché.
LES ORDRES DU MÉDECIN
Il était conseillé aux sages-femmes de l'époque de garder les ongles courts, de se laver les mains et d'adopter certaines pratiques pour les accouchements qui sont toujours d'actualité dans les hôpitaux et à domicile.
L'essentiel de ce que les historiens savent provient de l'art funéraire et des épigraphes, ainsi que de la correspondance et des textes médicaux de l'époque. « Maladies des femmes », la collection de livres la plus complète de cette époque sur l'accouchement, a été rédigée par le médecin et auteur médical Soranos d'Éphèse qui a compilé les connaissances des sages-femmes de ce temps et y a ajouté ses propres idées. On ignore toujours si celles-ci ont écrit leurs propres ouvrages car aucun de ces textes, s'ils existent, n'a encore été découvert.
Certains des soins prénatals incluent des pratiques d'hygiène alors que d'autres mettent en danger la mère et le fœtus. Les directives de Soranos d'Éphèse, par exemple, indiquent qu'au cours du huitième mois de grossesse, les sages-femmes doivent aider les futures mères à détendre leurs organes génitaux en ayant recours à des « suppositoires vaginaux » faits à base de graisse d'oie et de moelle, ainsi qu’en leur administrant des injections d'huile d'olive sucrée. D’un point du vue moderne, le fait qu’il soit précisé dans le texte que les huiles appliquées à la future mère doivent être propres et non réutilisées après la cuisine n'est peut-être pas très rassurant.
D'une manière générale, constate Tara Mulder, il est suggéré à de nombreuses reprises d'insérer des matériaux et instruments, ce qui aurait augmenté le risque d'infection. Par ailleurs, bien que Soranos d'Éphèse mentionne le lavage des mains dans ses textes, il n’est pas précisé de quoi il est exactement question : de les rincer simplement, d’utiliser du savon ou encore de les savonner avec de l'huile en désincrustant la saleté.
LES SALLES D'ACCOUCHEMENT
Selon Soranos d'Éphèse, la sage-femme idéale devait savoir lire et écrire, être dotée d’une bonne mémoire, être respectable, être robuste et posséder de longs doigts fins avec des ongles courts.
Dans l'idéal, trois auxiliaires féminines étaient présentes pour assister l'accouchement, deux aux côtés de la mère et une derrière elle pour la tenir et l'aider à supporter la douleur.
Toutes effectuaient différentes tâches comme l’aider à maîtriser sa respiration et faire en sorte qu’elle soit aussi bien installée que possible. Dans ses écrits, Soranos d'Éphèse indique que, pour un « travail normal », une sage-femme doit avoir à portée de main le matériel suivant : de l'huile d'olive, de l'eau chaude, des bandages et des substances odorantes pour faire revenir à elle la future mère. Pendant le travail, il recommande aux femmes enceintes de s'asseoir sur une chaise d’accouchement, soit une chaise spéciale à bords hauts avec une ouverture dans le siège pour faire passer le nouveau-né.
Cependant, si quelque chose venait à mal se passer, un médecin, homme généralement, était appelé. Pourtant, à ce moment-là, il était probable que le fœtus ne puisse être sauvé, le clinicien tentait alors simplement de préserver la vie de la mère, indique Tara Mulder. « Tout ce qui était fait en amont pour faciliter un accouchement difficile était très probablement réalisé par la sage-femme », ajoute-t-elle.
LES SOINS DES NOUVEAU-NÉS
Soranos d'Éphèse a également expliqué comment les nouveau-nés étaient examinés et soignés après leur naissance. Les gestes alors adoptés ressemblaient à de nombreuses pratiques appliquées aujourd’hui. Les sages-femmes déterminaient d'abord le sexe du bébé, évaluaient ensuite sa « vigueur » en fonction de l’intensité de ses premiers cris, puis examinaient ses membres, ses articulations et son état général. Enfin, la sage-femme coupait le cordon ombilical « à une distance de quatre travers de doigt de l'abdomen ».
Ce triptyque du 14e siècle de Duccio di Buoninsegna montre Jésus au repos dans la crèche.
Par la suite, le bébé était nettoyé avec du sel fin saupoudré, les yeux et la bouche étant soigneusement évités, et rincé à l'eau tiède. Le nouveau-né était ensuite emmailloté dans des linges de laine doux. Soranos d'Éphèse recommandait de coucher celui-ci sur un matelas creusé, « comme un canal », pour l'empêcher de se retourner, et de placer un oreiller de foin ferme sous sa tête. Il a écrit que la tête devait être légèrement relevée. Il a par ailleurs constaté que certaines personnes avaient placé du « linge de lit de travers » à cette fin, une pratique qui pourrait avoir été reprise dans la description de la crèche de Jésus faite par l’Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc.
DANGERS ET DÉCÈS
La mortalité infantile était élevée dans tout l'Empire romain et les enfants considérés par les sages-femmes et les familles comme étant en mauvaise santé étaient parfois laissés à l'extérieur jusqu’à leur mort ou leur adoption. On estime que la mortalité maternelle était peut-être plus de vingt fois supérieure aux taux actuels aux États-Unis, les estimations allant de 500 à 2 000 décès pour 100 000 naissances vivantes. À l’époque, les carences en vitamines et en minéraux étaient particulièrement préoccupantes et potentiellement mortelles. « Nous le constatons dans les études bioarchéologiques, c'est-à-dire l’analyse des restes d'os, de dents et de cheveux de femmes qui venaient d'accoucher », développe Tara Mulder.
Elle ajoute par ailleurs que les femmes tombaient enceintes et accouchaient trop souvent et bien trop jeunes. Le problème était exacerbé par la pratique très répandue consistant à faire appel à une nourrice plutôt qu’à l’allaitement des enfants par leur mère. Bien qu'il soit toujours possible de tomber enceinte en allaitant, l'allaitement maternel exclusif en réduit les chances car le corps peut cesser d'ovuler pendant cette période. Des grossesses répétées avec peu de temps de récupération entre chacune d’elles sont extrêmement éprouvantes pour le corps.
Même si les historiens disposent des textes de Soranos d'Éphèse comme référence, il reste difficile de discerner ce qui constituait des instructions relatives aux meilleures pratiques de l'époque par rapport à ce qui s'est réellement déroulé pour de nombreuses familles à travers l'Empire romain. La petite quantité de correspondances de l'époque qui ont été préservées et les épitaphes antiques brossent un tableau sombre des risques liés à l'accouchement, tant pour les mères que pour les nourrissons, comme le détaille le livre de Anna Bonnell Freidin qui paraîtra au printemps 2024. L'une des femmes sur lesquelles elle se penche dans ce dernier a été mariée à l'âge de onze ans, puis est décédée à vingt-sept ans. Elle avait mis au monde six enfants mais un seul était encore en vie lorsqu'elle mourut. Avec des chiffres aussi inquiétants à l'époque de Marie, la survie à long terme d'un enfant constituait une raison de se réjouir.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.