Les mystères de Toutânkhamon : ce que nous ignorons encore
Même un siècle après la découverte de son tombeau, une foule de questions subsiste sur la vie de l'enfant-roi, ses amours, ses successeurs et sa mort.
Sur ce buste en pierre calcaire sculpté après trône, Toutânkhamon porte un khépresh, la couronne bleue des pharaons.
Depuis leurs premiers pas en Égypte, les archéologues sont irrésistiblement attirés par la vallée des Rois. Cet illustre cimetière était le lieu de sépulture des souverains de l'âge d'or du royaume d'Égypte, sous les 18e, 19e et 20e dynasties. Menées dès le début du 19e siècle, les fouilles ont révélé que la plupart de ses tombeaux taillés dans la roche avaient été scrupuleusement pillés pendant l'antiquité, à l'exception des quatre chambres fastueuses dédiées à Toutânkhamon Nebkhéperourê qui ont offert aux archéologues un véritable trésor d'artefacts, mais également un aperçu de l'incroyable richesse matérielle et culturelle du pays au 14e siècle.
Depuis sa découverte en 1922, le tombeau deToutânkhamon a fourni aux experts et aux passionnés suffisamment d'indices pour reconstituer la vie et l'époque du jeune pharaon, notamment les intrigues politiques qui auraient agité son entourage dans le sillage de sa prise de pouvoir. Si certains détails du tableau s'assemblent parfaitement, d'autres manquent encore de clarté. Connaissances ou hypothèses ? Et si, près d'un siècle après la découverte du tombeau, l'heure était venue de faire le tri dans les révélations des experts ?
SURPRENANTES TROUVAILLES
L'histoire qui mène au lieu de repos éternel de Toutânkhamon débute en 1902, vingt ans avant sa découverte, lorsque l'Égypte autorise l'avocat et homme d'affaires américain Theodore Davis à mener des fouilles dans la vallée des Rois. Pendant plus d'une décennie, Davis a financé des fouilles dans la région qui ont conduit à la découverte d'une trentaine de tombeaux. Ses travaux ont également révélé de nombreux indices sur le jeune pharaon, dont le nom était quasiment absent des registres historiques.
Davis a mis au jour deux gisements mineurs contenant des artefacts sur lesquels le nom de Toutânkhamon était inscrit. Le premier était une cache pour le matériel d'embaumement et l'autre renfermait des décorations de char en or. Davis pensait avoir trouvé le tombeau du mystérieux pharaon, mais il était déçu par ses artefacts. Après plusieurs découvertes successives sans grand résultat, il décida de mettre un terme aux fouilles. « J'ai bien peur que la vallée des Rois ne soit désormais tarie », expliqua-t-il.
D'après un témoignage, Davis n'était qu'à quelques mètres du tombeau de Toutânkhamon. Cette décision de renoncer à sa concession dans la vallée à deux pas du succès a permis à Lord Carnarvon, un Britannique fortuné, de prendre le relais en 1914. Sous les ordres de Carnarvon, l'archéologue Howard Carter a poursuivi les fouilles pendant huit ans avant de mettre au jour les marches menant au tombeau de Toutânkhamon, le 4 novembre 1922.
L'équipe dirigée par Howard Carter tenait un journal visuel méticuleux pendant toute la durée des fouilles dans le tombeau, comme en témoigne ce dessin en plongée de la chambre funéraire de Toutânkhamon qui consigne l'emplacement des objets où ils ont été trouvés.
Après avoir soigneusement extrait et répertorié plusieurs centaines d'artefacts funéraires flamboyants, Carter a finalement pu ouvrir les cercueils imbriqués du pharaon et poser son regard sur la momie à la fin de l'année 1925. « Le jeune pharaon se révélait enfin à nos yeux : un souverain éphémère et méconnu, sorti de l'ombre d'un simple patronyme », écrivait-il. « Le point culminant de nos longues recherches s'étalait devant nous. » À l'époque, Toutânkhamon était devenu l'un des personnages les plus célèbres au monde. Son image et son nom étaient connus de toute part. Dans le domaine de l'égyptologie, ce souverain jadis méconnu s'était hissé au rang des pharaons les plus étudiés par les historiens.
QUI ÉTAIENT LES PARENTS DE TOUTÂNKHAMON ?
D'après les indices extraits de son tombeau numéroté KV62, pour la 62e sépulture découverte dans la vallée des Rois (King's Valley), Toutânkhamon était l'un des successeurs de l'hérétique Amenhotep IV. Par la suite, ce dernier a choisi un autre nom, Akhenaton, qui signifie « celui qui est utile à Aton », la divinité à laquelle le pharaon avait décidé de vouer un culte à l'exclusion de toutes les autres. Dans l'art caractéristique de l'époque, Aton prend la forme d'un disque solaire dont les rayons procurent bénédiction et vie éternelle.
Cette stèle représente Aton, Akhenaton, Néfertiti et trois de leurs filles dans un moment de tendresse.
Le nom original de Toutânkhamon était Toutânkhaton, « image vivante d'Aton ». Il est né dans la nouvelle capitale d'Akhenaton, Akhetaton, ou « l'horizon d'Aton », l'actuel site archéologique d'Amarna. L'ensemble de la cour, le gouvernement, les bureaucrates, plusieurs milliers d'artisans et d'ouvriers avaient emménagé à Akhetaton avec le pharaon, en abandonnant Thèbes, la capitale historique, aujourd'hui connue sous le nom de Louxor. Ce grand bouleversement s'était produit dans un contexte de révolution religieuse orchestrée par Akhenaton qui souhaitait faire d'Aton le dieu unique du pays. Dans un pays où le polythéisme était la tradition depuis des siècles, la soudaine mise en disgrâce des anciennes divinités a probablement plongé la population dans la confusion et la terreur.
D'après les résultats de tests ADN publiés en 2010, le père de Toutânkhamon serait une momie endommagée découverte dans la tombe KV55. Certains égyptologues pensent qu'il s'agissait d'Akhenaton, en s'appuyant principalement sur les épithètes royales qui ornaient le sarcophage, mais cette théorie ne fait pas l'unanimité. D'autres experts se demandent si ces os ne seraient pas ceux d'une autre figure, peut-être un personnage mystérieux prénommé Smenkhkare, qui aurait pu être le frère d'Akhenaton.
À l'instar de nombreux souverains de l'Égypte antique, Akhenaton avait plusieurs compagnes. Néfertiti, dont la beauté a traversé les âges, était sa reine, avec laquelle il eut six filles : Mérytaton, Mâkhétaton, Ânkhésenpaaton, Néfernéferouaton Tasherit, Néfernéferourê et Sétepenrê. L'histoire nous montre que le couple royal n'a probablement pas eu le fils qui lui aurait permis d'assurer sa succession. Les archéologues ont donc dû se résoudre à chercher ailleurs l'identité de la mère de Toutânkhamon.
Les chercheurs ont baptisé cette momie la Jeune Dame. L'analyse ADN indique qu'elle était la mère de Toutânkhamon et la sœur d'Akhenaton, mais son nom est inconnu.
Parmi les autres femmes qui partageaient la vie d'Akhenaton, il y avait Kiya. Kiya était probablement une princesse étrangère qui a, pendant un temps, fait partie des prétendantes au rôle de mère de Toutânkhamon. Cependant, les tests ADN révèlent que le jeune pharaon était le fils d'une momie découverte dans la tombe KV35 et baptisée la Jeune Dame. Cette femme était également la sœur de l'homme inhumé dans la tombe KV55, ce qui fait de Toutânkhamon le fruit d'un inceste fraternel. Même si l'histoire connaît les noms de cinq sœurs d'Akhenaton, aucun indice ne permet de savoir laquelle était la Jeune Dame.
MYSTÉRIEUSE SUCCESSION
Le nom du successeur immédiat d'Akhenaton est également entouré de mystère. Il est possible que Néfertiti ait régné en compagnie de son époux vers la fin de son règne, qui dura environ dix-sept ans. La reine aurait ensuite poursuivi l'exercice du pouvoir seule après sa mort, allant peut-être même jusqu'à choisir un nom de règne masculin afin de masquer le fait d'être une femme.
Il manque toutefois un personnage à cette théorie : Smenkhkarê. Est-il devenu pharaon à la mort de Néfertiti ? Ou Néfertiti n'aurait-elle jamais régné, dans quel cas Smenkhkarê serait le successeur direct d'Akhenaton ? L'ascension de ce dernier au sommet ne serait pas sans fondement. Il appartenait à la lignée royale et aurait été l'époux de Mérytaton, la fille aînée d'Akhenaton et de Néfertiti.
Personne ne sait réellement qui a succédé à Akhenaton après sa mort. Le trône aurait pu revenir à Smenkhkarê et à sa femme Mérytaton (la fille d'Akhenaton), mais les preuves comme les représentations confirmées du couple se font rares. Pour certains, le couple représenté sur la stèle de gauche n'est autre que Smenkhkarê et sa reine, mais d'autres pensent qu'il s'agit de Toutânkhamon et de sa bien-aimée Ânkhésenamon, la sœur de Mérytaton. Dans le tombeau de Toutânkhamon, divers objets témoignent de la relation affectueuse qui unissait le roi et son épouse, notamment le somptueux trône en or sur l'image de droite.
Quoi qu'il en soit, le prédécesseur de Toutânkhamon n'a pas exercé bien longtemps et le prince est rapidement devenu pharaon, alors qu'il n'avait que neuf ans. En tant que prince héritier, il a probablement reçu une éducation visant à lui enseigner tout ce qu'un pharaon devait faire pour contenter les dieux et assurer la prospérité du royaume égyptien. Cela dit, à un si jeune âge, il ne pouvait pas être prêt à régner ni à affronter le chaos politique et religieux laissé par Akhenaton.
Toutânkhamon devait donc avoir des conseillers et, selon toute vraisemblance, leur priorité était de retrouver l'Égypte telle qu'ils la connaissaient avant le règne d'Akhenaton. Ils ont renvoyé la cour à Thèbes, réinstauré les anciennes divinités et rétabli la maât, le concept d'ordre et d'équilibre du monde au fondement de l'Égypte antique.
LA MORT DE L'ENFANT-ROI
Le moment venu, Toutânkhamon se maria, comme le fait tout bon pharaon. Son épouse était Ânkhésenamon, la fille de Néfertiti et d'Akhenaton. Si Akhenaton était bel et bien le père de Toutânkhamon, cela signifie qu'il aurait épousé sa demi-sœur, autre point d'inceste dans l'arbre généalogique. À cette époque, Toutânkhamon et son épouse avaient changé leur nom pour refléter la restauration religieuse du pays et la réhabilitation d'Amon, une divinité puissante de Thèbes. Ils sont alors devenus Toutânkhamon, « image vivante d'Amon », et Ânkhésenamon, « qui vit pour Amon ».
La momie de Toutânkhamon reposait dans trois cercueils imbriqués. Le cercueil central était en or massif et pesait plus de 110 kg.
Si la stratégie de l'inceste peut sembler attrayante en vue de conserver le pouvoir au sein de la famille, elle s'avère également risquée sur le plan génétique. Cette fois, le risque n'a pas porté ses fruits. Deux fœtus momifiés ont été découverts dans le tombeau de Toutânkhamon, deux êtres fragiles protégés dans l'au-delà par leurs propres cercueils intérieur et extérieur en bois, les filles de Toutânkhamon et d'Ânkhésenamon. Les jeunes mariés ont essayé de se conformer à leur devoir et de produire un héritier, mais ils en étaient incapables. Les gènes en commun dont ils avaient hérité leur ont interdit de concevoir une progéniture en bonne santé, précipitant ainsi la chute inévitable de la 18e dynastie.
Étant donné son patrimoine génétique, il n'est pas étonnant que Toutânkhamon fût de nature fragile. De stature modeste, il mesurait environ 1,65 mètre et aurait souffert de troubles qui l'empêchaient de marcher normalement. Par ailleurs, les résultats des tests réalisés en 2010 montrent qu'il était atteint de malaria chronique, le résultat d'une vie passée aux abords des marais du Nil infestés de moustiques.
Malgré tout, personne ne s'attendait à ce qu'il meure à l'âge de dix-neuf ans. Il fallut alors trouver de toute urgence un lieu de sépulture et entourer Toutânkhamon de tout l'équipement nécessaire à un pharaon dans l'au-delà. Dans la précipitation, les responsables ont choisi un tombeau bien trop petit pour un pharaon, inclus des artefacts fabriqués pour d'autres têtes couronnées et dû se résoudre à rogner le cercueil en bois pour qu'il s'insère dans le sarcophage en pierre.
L'Égypte vivait alors une page tourmentée de son histoire. Dans un pays déjà en proie au tumulte de la succession royale ayant conduit à l'avènement de Toutânkhamon, le jeune pharaon venait de mourir sans même laisser un héritier. Face à un tel contexte, les historiens ont imaginé toutes sortes d'intrigues et de manigances, certains allant même jusqu'à suggérer qu'un rival ait pu porter un coup fatal à la tête de Toutânkhamon.
En 2005, un scanner a permis de rejeter définitivement cette idée. Les fragments d'os précédemment révélés par une radiographie à l'intérieur du crâne de Toutânkhamon étaient le résultat d'un embaumement pratiqué à la hâte, et non d'un coup porté au crâne. Le décès a pu être causé par une fracture ouverte de la jambe, suivie d'une infection de la plaie et d'un sepsis. La fracture aurait pu être infligée au pharaon par un accident de char, une blessure de bataille ou même une attaque de l'un des hippopotames vautrés dans le Nil.
QUEL DESTIN POUR LA REINE ?
À cette époque, une reine égyptienne dont le nom est inconnu envoya une lettre à Suppiluliuma, roi des Hittites, les ennemis jurés de l'Égypte.
« Mon mari est mort et je n'ai pas de fils », écrivait-elle, en demandant au roi de dépêcher un prince pour l'épouser. Certains experts pensent que cette reine était Ânkhésenamon. Suppiluliuma a dû saisir l'intérêt politique d'une telle union et a envoyé l'un de ses fils, un dénommé Zannanza. Le prince est mort en route, mystérieusement, et la cause de son passage à trépas n'a pas été retenue par l'histoire.
Étant donné le climat de tension qui régnait à l'époque, le meurtre reste bien entendu une possibilité. Certains pensent que le coupable était un général égyptien du nom d'Horemheb, qui a plus tard pris la place du successeur de Toutânkhamon. D'autres vont même jusqu'à imaginer un complot orchestré par Aÿ, une tentative désespérée de s'emparer du pouvoir avant qu'il ne soit trop tard alors que la nouvelle du sort funeste de Zannanza se répandait à travers l'Égypte. Aÿ s'est peut-être marié avec Ânkhésenamon pour assurer sa propre place sur le trône. Là encore, le pouvoir restait dans la famille : la reine Tiyi, grand-mère d'Ânkhésenamon, était probablement la sœur d'Aÿ.
Sur le mur nord du tombeau de Toutânkhamon figure une représentation (à gauche) de son successeur, Aÿ, pratiquant le rituel de l'ouverture de la bouche sur Toutânkhamon, représenté en Osiris. Aÿ est resté au pouvoir pendant quatre ans. À sa mort, Horemheb lui succède au terme d'une prestigieuse carrière militaire ; celui-ci est représenté à droite aux côtés du dieu Amon. Dernier pharaon de la 18e dynastie égyptienne, Horemheb n'avait pas de fils et a désigné son vizir, Paramesse, comme successeur. Aujourd'hui connu sous le nom de Ramsès I, Paramesse est le fondateur de la 19e dynastie.
La preuve de cette union est une bague à l'origine douteuse. « M. Blanchard du Caire a fait l'acquisition l'été dernier, sur un site inconnu dans le delta, d'une bague en verre bleue gravée du nom de couronnement d'Aÿ et du nom Ânkhésenamon, tous deux écrits dans des cartouches », écrivait l'égyptologue britannique Percy Newberry dans un rapport de 1932 incluant une ébauche des cartouches. Le musée égyptien de Berlin se serait procuré cette même bague auprès d'un autre propriétaire en 1973. De tels artefacts changent régulièrement de main entre collectionneurs privés sans aucune traçabilité.
Quoi qu'il en soit, Aÿ était un vieil homme et n'a pas vécu bien longtemps après son couronnement. Privée de titre officiel, Ânkhésenamon est tombée dans les oubliettes de l'histoire. Des tests ADN suggèrent qu'elle serait l'une des deux momies découvertes dans KV21.
LE TOMBEAU DE TOUTÂNKHAMON CACHE-T-IL D'AUTRES MYSTÈRES ?
Dans cette saga truffée de curiosités, une nouvelle question est apparue récemment : que pourraient bien cacher les parois peintes du tombeau de Toutânkhamon ? En 2015, l'égyptologue britannique Nicholas Reeves a suggéré que Toutânkhamon aurait été inhumé dans des chambres appartenant à un ancien complexe funéraire royal. Cette sépulture antérieure aurait été condamnée et se trouverait à présent juste derrière la chambre funéraire de Toutânkhamon. La résidente suggérée ne serait autre que Néfertiti.
Horemheb a détruit les temples à Aton construits par Akhenaton et utilisé les vestiges pour ériger le neuvième pylône du temple d'Amon-Rê à Karnak.
Au départ, les experts étaient sceptiques, puis ils ont fini par se demander si une autre sépulture adjacente ne pouvait pas renfermer le corps de Mérytaton. Des analyses par radar à pénétration de sol ont été menées, avec des résultats peu concluants. Le calcaire de la vallée des Rois est célèbre pour son hétérogénéité, dur comme le marbre à certains endroits et friable comme la boue à d'autres. De telles irrégularités ont pu empêcher le radar de dresser un tableau précis de la composition du sol… et de ses secrets.
Si d'autres tests sont réalisés à l'avenir, ils pourraient ne rien révéler. Cela dit, beaucoup espèrent encore qu'ils mèneront à la découverte d'un tombeau vierge de présence humaine depuis plus de 3 000 ans. Un tel événement illustrerait, une fois encore, à quel point les merveilles archéologiques jaillissent encore de la vallée des Rois. Quelques mètres et un soupçon de foi séparaient Theodore Davis de ce même constat.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.