États-Unis : le mystère de la Colonie Perdue
Des artefacts mis au jour en 2015 suggèrent que certains membres de la colonie anglaise mystérieusement disparus ont survécu et se sont assimilés aux Indiens.
Les recherches ont commencé dès le débarquement de l'Anglais John White sur l’île Roanoke, en Caroline du Nord, il y a plus de 427 ans. Nommé gouverneur de la colonie naissante de Roanoke par Sir Walter Raleigh, John White revenait d’Angleterre, les cales chargées des denrées extrêmement attendues.
À son arrivée sur la côte le 18 août 1590, White n’a retrouvé qu’une colonie pillée et abandonnée. Les colons disparus n’avaient laissé derrière eux que deux indices de leur destination : les mots « Croatoan » gravé sur un poteau bien visible, et « Cro » sur un arbre.
Depuis lors, explorateurs, historiens, archéologues et amateurs ont recherché ce qu’il était advenu des 115 hommes, femmes et enfants qui composaient la toute première colonie d’Angleterre sur le Nouveau Monde. Les tentatives de résoudre le mystère historique le plus long de l'histoire des États-Unis, surnommé le mystère de la Colonie perdue, ont pris la forme de dizaines de théories mais n'ont pour le moment apporté aucune preuve tangible.
Aujourd’hui, deux équipes indépendantes affirment être en possession de vestiges archéologiques qui suggèrent qu’au moins une partie des colons disparus pourraient avoir survécu, potentiellement en se scindant en deux camps et en s’installant avec les Indiens locaux.
Un ensemble d’artefacts européens découverts récemment (une poignée d’épée, des bols cassés ainsi qu’un fragment de tablette en ardoise) pourraient indiquer la présence des colons sur l’île Hatteras, à 80 kilomètres au sud-est de la colonie de l’île Roanoke, ainsi que sur un site continental à 80 kilomètres au nord-ouest.
“LA PREUVE EST FAITE QU'ILS SE SONT ASSIMILÉS AUX ARMÉRINDIENS MAIS ONT GARDÉ LEURS BIENS » ”
« La preuve est faite qu'ils se sont assimilés aux Amérindiens mais ont gardé leurs biens », estime Mark Horton, un archéologue de l'université de Bristol, en Angleterre, qui a mené les excavations sur le site d'Hatteras.
Dans le même temps, sur le site continental de la baie d’Albemarle près de la ville d’Edenton en Caroline du Nord, Nick Luccketti, de la First Colony Foundation, pense avoir mis au jour des poteries utilisées par les colons disparus après leur départ de la colonie de Roanoke.
Les membres des deux équipes reconnaissent qu’ils ne sont pas encore en mesure d’affirmer avoir résolu cette complexe énigme. La plupart de leurs pairs doutent que ces artefacts puissent être associés de façon certaine aux colons infortunés, étant donné qu’il est difficile de les dater avec précision.
« Il vous reste encore beaucoup de travail », a prévenu Ivor Noel Hume, ancien archéologue de la fondation Colonial Williamsburg qui a travaillé sur les fouilles de l’île Roanoke dans les années 1990. Hume, Horton et Luccketti se sont réunis le mois dernier pour discuter de leurs trouvailles.
Les fouilles indiquent un important déplacement au départ de l’île Roanoke, où les chercheurs frustrés ne trouvent que peu de traces des premiers colons européens.
UN ANNEAU DE GENTLEMAN
« Un morceau de fer ! », s’exclame Margaret Dawson, infirmière et fouilleuse bénévole, en sondant la terre noire d’un chantier de l’île Hatteras appelé Cape Creek. Avec son mari Scott, professeur dans la région, ils ont fondé en 2009 la Croatoan Archaeological Society, du nom des Indiens autochtones de l’île, et ont sponsorisé les fouilles annuelles menées par Horton depuis lors.
Niché dans une forêt de chênes près de la baie de Pamlico, Cape Creek était le site d’une importante ville et d’un carrefour commercial pour les Croatoans. Sous la supervision d’Horton, des bénévoles s’occupent de fouiller la boue d’une tranchée proche au moyen de tamis à maille fine. Les deux jeunes filles des Dawnson ont l’œil exercé pour les petites perles vénitiennes en verre.
Lors d’une fouille de deux jours au mois de juillet 2015, les tamis ont mis à jour de nombreux matériels amérindiens et européens, tels que des os de cerfs et de tortues, des briques artisanales et importées, des poteries amérindiennes, des gros morceaux de fer européen, les fragments d’un pistolet du 16e siècle, ainsi qu’un petit œillet de cuivre ayant certainement appartenu à un noble anglais.
En 1998, des archéologues de l’East Carolina University ont trouvé une chevalière en or 10 carats gravée d’un lion ou d’un cheval bondissant. Cet artefact était mélangé à d’autres objets datant du milieu du 17e siècle, soit le temps d’une vie après l’abandon de la colonie de Roanoke.
Horton soutient que les membres de la Colonie perdue vivant parmi les Croatoans auraient pu garder quelques objets tout en assimilant petit à petit les coutumes indiennes.
L’une des découvertes récentes les plus inhabituelles est une petite pièce d’ardoise utilisée comme tablette accompagnée d’un stylet en plomb. Une petite lettre « M » se devine dans un coin. Une plaque d’ardoise similaire, mais bien plus grande, a également été mise au jour à Jamestown.
« Cela appartenait à une personne qui savait lire ou écrire », commente Horton. « Ce n’était pas utile au commerce, ça appartenait à un Européen éduqué. »
Parmi les autres artefacts récemment excavés à Cape Creek, on peut citer la poignée d’une rapière, un type d’épée légère utilisée en Angleterre à la fin du 16e siècle. Un gros lingot de cuivre, une longue barre de fer, ainsi qu’une poterie allemande en grès font également partie de découvertes datant vraisemblablement de la fin du 16e siècle. Ces objets peuvent signaler un travail métallurgique effectué par des Européens, possiblement des colons de Roanoke, puisque les Indiens ne connaissaient pas cette technologie.
« Il y a des objets commerciaux ici », indique Horton en pointant les artefacts. « Mais il y en a également qui ne sont pas issus d’échanges commerciaux. » Appartenaient-ils à des colons ?
UN « X » POUR MARQUER L'EMPLACEMENT
Si l’anneau en or a inspiré Horton à aller fouiller à Hatteras, c’est une carte en aquarelle de 1585 dessinée par White qui a incité la First Colony Foundation à aller voir du côté du continent.
Connue sous le nom de La Virginea Pars et appartenant à la collection permanente du British Museum, la carte a fait la une des journaux en 2012 lorsque des chercheurs ont repéré une petite étoile à quatre branches cachée sous un « patch » ajouté sur la carte. La théorie veut que le symbole indique l’emplacement d’un fort continental.
Si un fort de la sorte a été construit à cet emplacement, voire seulement prévu ou envisagé, il aurait pu être la destination logique d’au moins une partie des colons déplacés.
« Nous pensons qu’il représente les colons de Roanoke », affirme Luccketti, tenant à la main deux fragments de poterie. Ces éclats ont été retrouvés lors de fouilles sur le chantier surnommé « Site X » par la First Colony Foundation dans la baie d’Albemarle.
En 2006, Luccketti et son collègue Clay Swindell, du Museum des Albemarle, ont étudié un site dans les environs de l’image du fort repérée ultérieurement sur la carte de White. Ils y ont retrouvé des poteries amérindiennes en quantité remarquable. Les archéologues soupçonnent le site d’être la petite ville amérindienne de Mettaquem.
Plus récemment, non loin du village, l’équipe de la First Colony a mis au jour des poteries anglaises semblables à celles déterrées sur l’île de Roanoke et à Jamestown, mais pas typiques de la seconde moitié du 17e siècle, lorsque les colons anglais quittèrent la Virginie en direction du sud pour s’installer en Caroline du Nord. D’autres poteries typiques de la fin du 17e siècle sont également introuvables.
Au total, l’équipe a déterré 125 kilogrammes de poteries indiennes s’étalant sur plusieurs siècles, déclare Swindell. Les objets anglais, appelés Border Wares (« céramiques de Border »), ne constituent que quelques dizaines de pièces provenant de trois ou quatre pots.
Swindell remarque que le premier colon anglais connu dans cette région n’est pas arrivé avant 1655. Luccketti ajoute que contrairement au site de Cape Creek, il n’y a pas de traces évidentes de marchandises suggérant un possible échange. Il pense que les colons auraient pu s’installer dans ce lieu pour vivre avec des Indiens alliés après le départ de White.
Mais Brett Riggs, archéologue à l’université de Caroline du Nord à Chapel Hill, qui n’a pas participé aux fouilles, fait remarquer que les tribus indiennes s’emparaient rapidement de tout matériel abandonné par les Européens.
« Ils rapportaient chez eux tout ce qui pouvait être utile », explique-t-il. « Ils ne laissaient rien sur place. Même les bouteilles en verre pouvaient servir à sculpter des têtes de flèche. La présence d’objets européens ne signifie pas la présence de colons européens,» prévient-il.
Les bénévoles de la Foundation reconnaissent que l’affaire n’est pas encore résolue. « Nous avons fait des découvertes alléchantes », commente Martha Williams en s’arrêtant quelques minutes de tamiser le sol un matin au Site X. « J’adorerais voir des preuves définitives, ce que nous avons pour l’instant est incomplet. »
Il est difficile de dater les artefacts à la décennie près pour distinguer les colons des deux époques. Le radiocarbone et les autres méthodes de datation ne sont pas assez précis, et les styles de poteries n’évoluent pas uniformément dans le temps et l’espace.
Par exemple, les restes d’un pot en Border Ware retrouvé de l’autre côté de la rivière à Edenton date de la fin du 17e siècle. « Je ne pourrais pas dater des artefacts entre 1590 et 1630 », affirme Hume, expert reconnu en matériel colonial. « Est-ce qu’une personne a gardé un objet pendant six semaines ou six ans ? Il est très difficile de le savoir. »
Entre les découvertes à venir et les excavations en cours, les archéologues se disent optimistes sur l’existence de nouveaux indices permettant de résoudre le mystère des colons disparus. « Il nous reste encore beaucoup de terre à fouiller », dit Swindell. Et aucun des groupes n’a encore publié d’article approfondi analysant et cataloguant les découvertes.
« Nous ne savons toujours pas ce qu’il s’est passé, et nous attendons le moment où nous en serons sûrs », déclare Charles Ewen, archéologue à l’East Carolina University et qui ne travaille dans aucune des équipes. « Je crois qu’aucune option n’est à exclure. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.