La découverte de cette archéologue bouleverse nos connaissances sur les juifs de l'Antiquité
Les fouilles récentes d’une synagogue du Ve siècle surplombant le lac de Tibériade ont révélé de somptueuses mosaïques qui remettent en question nos connaissances sur la vie des juifs dans l'empire romain.
Sur les mosaïques de pavement d’une synagogue du 5e siècle, en Galilée (Israël), figurent notamment un visage de femme et une inscription en hébreu. À droite, la scène représente peut-être la rencontre entre le grand prêtre de Jérusalem et Alexandre le Grand.
Retrouvez cet article dans le numéro 296 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine
Lorsque Jodi Magness a atteint le sommet de la colline surplombant le lac de Tibériade, à l’été 2010, elle n’était pas sûre de ce qu’elle y trouverait. Un ancien village juif, connu sous le nom de Huqoq, s’élevait autrefois sur ce site dans le nord-est de l'actuel Israël, mais il ne restait qu’un tas de pierres vieilles de plusieurs siècles et de débris modernes, avec de la moutarde des champs.
Professeure d’histoire du judaïsme ancien à l’université de Caroline du Nord, à Chapel Hill, aux États-Unis, et exploratrice National Geographic, cette archéologue avait passé des années à diriger des fouilles en Israël. L’été suivant, elle et son équipe ont découvert un mur de pierre orienté nord-sud, à environ 2 mètres sous terre. Plusieurs indices, dont une porte principale orientée vers Jérusalem, ont révélé qu’il s’agissait des fondations d’une synagogue érigée quelque 1600 ans plus tôt, au début du 5e siècle. Dans les bâtiments similaires de cette époque, le sol était pavé de dalles, mais, en continuant à creuser, l’équipe a mis au jour de plus en plus de tesselles, ou abacules, de petits cubes de mosaïque, ce qui laissait présager la possibilité d’une découverte singulière.
Étudiante et bénévole, Anna Lafleur, occupée ici à brosser un mur récemment mis au jour, vit au Canada, mais est née en Galilée. « Lorsque l’occasion de faire des fouilles s’est présentée, j’ai su que je voulais y participer », dit-elle.
En 2012, par une chaude journée de juin, Bryan Bozung, jeune diplômé de l’université Brigham Young, dans l’Utah, était en train de dégager délicatement la terre de son carré de fouilles lorsqu’il a heurté quelque chose de dur. Il a alerté Jodi Magness et, alors que celle-ci balayait la terre restante, tous deux découvrirent avec stupeur une délicate mosaïque représentant un visage de femme. Pendant les dix années suivantes, Jodi Magness est revenue à Huqoq chaque année au mois de juin avec une équipe internationale d’experts et d’étudiants bénévoles. La mission incluait désormais dans ses objectifs la préservation de ce qui restait du pavement en mosaïque –des vestiges qui, mis au jour année après année, se sont révélés extraordinaires.
Une fois dégagés, les contours de la synagogue mesuraient environ 20 mètres de long sur 15 mètres de large. La totalité du sol était autrefois couverte de mosaïques réalisées par des artisans chevronnés, mais la moitié seulement de ces œuvres est demeurée intacte.
« En général, dans une église ou une synagogue classiques, on peut trouver une, deux ou trois scènes. Ici, il y en a beaucoup plus, explique Gideon Avni, qui dirige la section archéologique de l’Autorité israélienne des antiquités. C’est probablement la plus belle et la plus riche concentration de mosaïques du pays. »
La plupart de celles qui subsistent représentent des épisodes de la Bible hébraïque : on y voit des couples de créatures, telles que des chameaux, des ânes, des éléphants et des lions, se dirigeant vers l’arche de Noé. La mer Rouge engloutissant l’armée égyptienne. Des charpentiers et des maçons construisant la tour de Babel. Samson portant la porte de Gaza sur ses épaules.
« Il y a beaucoup de violence dans ces mosaïques, beaucoup de sang et de massacres, explique Jodi Magness. Mais il y a aussi de l’humour. » Parmi les représentations les plus macabres figure celle d’une scène du Livre des Juges, dans laquelle Jaël, une femme qénite, enfonce un pieu dans la tête du général cananéen Sisera. Dans un autre registre, on trouve aussi une version insolite de l’histoire du prophète Jonas (voir page précédente), avalé successivement par trois poissons de plus en plus grands.
Dans la Bible, le prophète Jonas refuse de prêcher contre la ville pécheresse de Ninive, comme Dieu l’a ordonné, et s’enfuit sur un bateau. Dieu déclenche alors une violente tempête qui menace de faire sombrer le navire. Quand Jonas avoue à l’équipage qu’il en est la cause, les marins le jettent à la mer pour sauver leur fragile embarcation. Sous l’eau, Jonas est avalé par un gros poisson, souvent représenté comme une baleine. L’interprétation de Huqoq est la plus ancienne illustration connue de ce récit dans un contexte juif antique.
Les mosaïques empruntent également des motifs à l’art classique, comme les chérubins, les masques de théâtre et le dieu grec du soleil, Hélios, sur son char et entouré des signes du zodiaque.
Huqoq avait beau être un village situé dans la campagne, il n’était pas isolé, explique le directeur adjoint des fouilles, Dennis Mizzi, maître de conférences en hébreu et en judaïsme ancien à l’université de Malte. « Il était relié au monde méditerranéen dans son ensemble. Ce qui signifie que la communauté connaissait l’existence de diverses traditions et qu’elle était assez ouverte pour accepter des idées venant de l’extérieur. »
Si des interrogations subsistent quant à l’origine exacte de la synagogue, la découverte de ces vestiges remet notamment en question nos connaissances sur la façon dont les Juifs vivaient sous domination étrangère. Les Romains avaient conquis les terres à l’est de la Méditerranée, y compris la Galilée, au 1er siècle av. J.-C. Dans un premier temps, ils avaient reconnu le judaïsme. Le peuple juif était donc autorisé à vivre selon ses propres lois et bénéficiait de certaines exemptions –il n’était pas tenu par exemple de vénérer l’empereur.
« Il n’y a pas eu de changement significatif jusqu’à ce que le christianisme devienne d’abord une religion légale, puis la religion officielle dans la partie supérieure, la rencontre de deux chefs, l’un en tunique, l’autre en armure, chacun accompagné de ses partisans. Pour Jodi Magness, l’homme en armure n’est autre qu’Alexandre le Grand. Sa suite est formée de soldats et d’éléphants de combat. Il porte un diadème et la cape pourpre d’un roi, mais aucune inscription ne permet de l’identifier.