Les procès des sorcières de Salem : entre mythe et réalité

Cette chasse aux sorcières, la plus importante de l'histoire de l'Amérique du Nord, a entraîné l'arrestation d'une centaine de personnes et l'exécution de quatorze femmes et de six hommes entre février 1692 et mai 1693.

De Rédaction National Geographic
Publication 25 oct. 2021, 16:40 CEST, Mise à jour 3 déc. 2021, 09:27 CET

La Witch House, maison des sorcières de Salem et résidence de l’impitoyable juge Jonathan Corwin, est le seul bâtiment de la ville à témoigner directement des procès de 1692.

PHOTOGRAPHIE DE Steve et Donna O'Meara, Nat Geo Image Collection

Ces célèbres procès qui agitèrent le petit bourg de Salem, dans le Massachussetts, débutèrent à l’hiver 1682-1693. À leur terme, 141 suspects, hommes et femmes, furent reconnus coupables de sorcellerie. Dix-neuf furent pendus, une fut lynchée à mort et plusieurs autres périrent dans des geôles épouvantables.

« Notre pays a une longue tradition de chasses aux sorcières, surtout à l’ère coloniale », rappelle Jason Coy, professeur d’histoire à l’Université de Charleston et qui s'est spécialisé dans l'étude de cette pratique.

Selon lui, la façon dont on peut aujourd'hui parler de « chasse aux sorcières » s’est popularisée dans les années 1950, à l’ère du maccarthysme, qui vit le Sénat américain auditionner des personnes suspectées d’être communistes et surtout le succès d’une pièce allégorique d’Arthur Miller écrite en 1953, Les Sorcières de Salem.

 

UNE CRISE SOUS-TENDUE DE PROBLÈMES POLITIQUES, RELIGIEUX ET RACIAUX

À cette époque, l’Amérique coloniale connaît de nombreux bouleversements. Salem est divisée en deux : un bourg prospère à peine moins riche que Boston et un village agricole. Ces deux bourgs se disputent régulièrement au sujet des ressources, de la politique et de la religion. Pour compliquer un peu plus les choses, les villageois se scindent en deux factions : certains veulent déclarer leur indépendance par rapport à la ville, d’autres ne le veulent pas.

En 1689, les villageois obtiennent le droit de fonder leur propre église. Ils choisissent le révérend Samuel Parris, un ancien commerçant, pour devenir leur pasteur. Ses méthodes austères et ses exigences matérielles (il cherche à récupérer le titre de propriété du presbytère qu’il occupe) accroissent les frictions. Nombreux sont les habitants qui se jurent de chasser le révérend Parris et qui cessent de contribuer à son salaire au mois d’octobre 1691.

En cette période de troubles, sa fille Betty, âgée de neuf ans, et sa nièce Abigail Williams sont magnétisées par les légendes captivantes que leur raconte Tituba, leur esclave originaire de la Barbade.

Tous les éléments du drame étaient réunis, il n’y avait plus qu’à mettre le feu à la poudrière…

 

LES SOUPÇONS DE LA COMMUNAUTÉ

En février 1692, la jeune Betty Parris commence à faire des « crises » qui défient toute explication rationnelle. C’est aussi le cas d’Abigail Williams et d’Ann Putnam, une amie des filles. Horrifiés, docteurs et pasteurs observent les filles convulser, se recroqueviller sous des chaises et hurler des inepties.

Peu instruits en biologie, en médecine ou en psychologie, ces notables concluent à la possession. Ils brutalisent les petites jusqu’à ce qu’elles dénoncent des femmes plus ou moins marginales de leur entourage. Tituba est accusée d’être une sorcière, tout comme Sarah Good, une mendiante débraillée, et Sarah Osburn, une femme sénile.

 

CONFESSIONS SOUS LA TORTURE

Avoir avoir été gravement rossée, Tituba commence à avouer et à dénoncer d’autres personnes.

« Le diable est venu à moi et m’a ordonné de le servir », aurait-elle affirmé en mars 1692.

Des villageois envoûtés écoutent alors Tituba raconter des histoires de chiens noirs, de chats rouges, d’oiseaux jaunes et d’un homme aux cheveux blancs qui lui aurait ordonné de signer le livre du diable. Elle aurait vu plusieurs sorcières à visage découvert qui ne rêvaient que de détruire les Puritains.

Il fallait dénicher ces prétendues sorcières. La fièvre de la dénonciation s’empara de la communauté et contamina toute la région.

Reproduction du tableau d'Henry Fuseli de 1783 représentant les sorcières de Macbeth, la tragédie de Shakespeare.
PHOTOGRAPHIE DE Quint Lox, Album

ACCUMULATION DE CORPS

Des habitants terrifiés se mettent alors à dénoncer de plus en plus de sorcières aux enquêteurs qui font du porte-à-porte. Les témoignages étranges et les rumeurs s’accumulent. Les accusés sont torturés et sont jugés lors de procès expéditifs tenus dans un tribunal spécial créé pour l’occasion.

Bientôt, on pend dix-neuf « sorcières » à Gallows Hill. Un des accusés, Giles Cory, est torturé à mort alors qu’il refuse de plaider. Cinq autres, dont un nourrisson, meurent en prison.

 

LES RARES OPPOSANTS

Le 3 octobre 1692, le révérend Increase Mather, président de l’Université de Harvard et père du célèbre prêtre Cotton Mather, dénonce l’emploi de preuves trop légères et le crédit accordé à des déclarations indémontrables d’ordre surnaturel.

« Il vaudrait mieux que dix sorcières accusées s’échappent plutôt qu’un seul innocent soit condamné », affirme-t-il alors.

Le gouverneur William Phips s’ulcère lorsque les jeunes filles possédées désignent sa propre femme. Déterminé à apaiser l’hystérie, il suspend le tribunal spécial et le remplace par une cour supérieure où les « preuves spectrales » ne sont pas entendues. On n'y condamnera que trois des cinquante-six accusés. William Phips les graciera, ainsi que cinq autres personnes attendant d’être exécutées.

En mai 1693, il gracie tous ceux qui se trouvent encore prison pour des accusations de sorcellerie. Avec le temps, certains accusateurs présenteront même des excuses publiques. La législature finira par réhabiliter la dignité des condamnés et par octroyer des compensations financières à leur descendance.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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