Cette ancienne ville sur la route de la soie a failli disparaître à jamais

Dans le désert du Taklamakan, Dandan Oilik était autrefois un complexe prospère rempli de temples bouddhistes. Que savons-nous aujourd’hui de cette ancienne enclave laissée à l’abandon ?

De Ángel Carlos Pérez Aguayo
Publication 6 janv. 2025, 17:45 CET
Un temple bouddhiste à Dandan Oilik a été mis au jour pour la première fois par ...

Un temple bouddhiste à Dandan Oilik a été mis au jour pour la première fois par Marc Aurel Stein en 1900. Il se compose d’une cella centrale imbriquée dans une structure carrée de plus grande taille.

PHOTOGRAPHIE DE Album

Lorsque le géographe Sven Anders von Hedin partit de la ville de Khotan, qui est aujourd’hui Hotan, dans l’ouest de la Chine, il s’attendait à trouver les ruines d’une ville antique. Cependant, bien plus encore se cachait au milieu du désert.

Le nom Khotan parlait aux explorateurs occidentaux du 19e siècle car le Vénitien Marco Polo la visita en 1274. Dans ses écrits, celui-ci fit part de la richesse de la ville, avant-poste sur la route de la soie, voie qui permettait autrefois le commerce entre la Chine et le monde méditerranéen.

Le 14 janvier 1896, une caravane quitta Khotan. Le groupe de cinq hommes était accompagné de mules et chargé d’assez de provisions pour tenir cinquante jours. En tête, chevauchant un chameau, se trouvait leur chef : Sven Anders von Hedin.

Surnommé « le Stanley des déserts d’Asie centrale » en référence à l’explorateur Henry Morton Stanley, Sven Hedin, d’origine suédoise, était un polymathe et un aventurier intrépide. À son arrivée à Khotan, il entendit par hasard des hommes parler d’une ville en ruines dans le désert. Il les engagea sur-le-champ comme guides pour le conduire jusqu’à celle-ci.

 

UNE VILLE ENSEVELIE SOUS LE SABLE

Pendant plusieurs jours, Sven Hedin et ses compagnons suivirent la rive ouest de la rivière Yurungkax avant de parvenir à la traverser au niveau d’un gué gelé. Peu après, ils posèrent le pied dans l’immense désert du Taklamakan, aux dangereuses dunes de sable mouvant.

À partir de cet instant, leur progression devint aussi lente que pénible. Six heures de marche par jour, c’est le maximum qu’ils pouvaient endurer pour gravir les hautes dunes, poussant leurs bêtes de somme réticentes. Sven Hedin, à ce moment-là, prit des notes dans son journal de terrain, qui deviendra plus tard le fondement de ses mémoires.

Sven Anders von Hedin pose à côté d’un chameau de Bactriane (Camelus bactrianus) lors d’une expédition ...

Sven Anders von Hedin pose à côté d’un chameau de Bactriane (Camelus bactrianus) lors d’une expédition en Asie centrale vers 1900. Quatre ans plus tôt, il fut le premier Européen à explorer le site de Dandan Oilik, dans l’ouest de la Chine.

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Le 23 janvier, le groupe atteignit une dépression dans le désert, « regorgeant de köttek, c’est-à-dire de forêts mortes », écrivit-il. « Des tiges et des troncs de petits arbres, gris et cassants comme du verre ; des branches torsadées comme des tire-bouchons à cause de la sécheresse ». Sven Hedin, versé en géographie, en déduisit qu’ils devaient se trouver au niveau de l’ancien cours d’une rivière appelée Keriya, une région qui était autrefois assez fertile pour être habitée. Les guides de Sven Hedin lui indiquèrent que les ruines qu’ils cherchaient se trouvaient non loin de là. Des fragments de poterie en apportèrent la preuve.

Le lendemain, ils levèrent le camp et prirent leur direction, les hommes de Sven Hedin étant équipés de bêches et de hachettes. De tous les sites qu’il avait vus au cours de ses expéditions à travers l’Asie, aucun ne ressemblait à ce qu’il voyait là. La colonie dont les ruines s’étendaient devant lui avait été construite avec des charpentes en tronc de peuplier, ce qui donnait aux bâtiments une couleur blanchâtre caractéristique. C’est pour cette raison que l’endroit devint connu dans la région sous le nom de Dandan Oilik, signifiant « maisons d’ivoire ».

En se frayant un chemin à travers le site, Sven Hedin discerna les contours de bâtiments de forme carrée ou oblongue, dont l’intérieur était divisé en plusieurs pièces.

Des poteaux allant jusqu’à trois mètres de haut se tenaient encore à l’endroit où ils auraient jadis supporté un toit ou même un second étage. Le groupe trouva des traces de nombreuses habitations, couvrant une superficie estimée à un peu moins de quatre kilomètres carrés.

Il était cependant impossible de dresser un plan de la ville car le tracé des rues et des places était enfoui sous les dunes.

Sven Hedin ne savait que trop bien qu’il ne disposât d’aucun moyen d’approfondir ses recherches. « Creuser dans le sable sec est un travail vain », coucha-t-il sur le papier. « Aussi vite que l’on déterre quelque chose, le sable s’écoule à nouveau et remplit le trou. Chaque dune doit être entièrement enlevée avant qu’elle ne livre les secrets qu’elle recèle et c’est une besogne qui dépasse les capacités humaines. »

Sven Hedin se fit néanmoins une idée générale de ce à quoi avait pu ressembler l’ancienne enclave. Méditant sur son ensevelissement, il y faisait référence comme « cette ville maudite par Dieu, cette seconde Sodome dans le désert » et pensait, à tort, qu’elle était vieille de près de 2 000 ans.

 

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    DES DÉCOUVERTES RÉVÉLATRICES

    De toutes les découvertes de Sven Hedin, la plus remarquable fut celle des magnifiques peintures de style indo-persan décorant certains intérieurs. Il identifia ces structures, plus grandes que les autres, comme des temples bouddhistes.

    Les peintures s’écaillaient au moindre contact. Il les esquissa du mieux qu’il pouvait et, s’inscrivant dans la mentalité colonialiste de l’époque, préleva d’autres objets tels que des sculptures et des reliefs en stuc, écrivant plus tard : « Toutes ces découvertes et bien d’autres reliques ont été emballées avec soin et disposées dans mes boîtes ; et j’ai consigné dans mon journal... les notes les plus complètes possibles sur la ville antique. »

    Art in the desert

    De nombreuses peintures, illustrant principalement des sujets bouddhistes sacrés, ont été découvertes à Dandan Oilik. Elles datent du 6e au 8e siècle après J.-C. Sven Anders von Hedin a loué la maîtrise nécessaire à leur exécution et l’élégance des personnages. Il a été frappé par le niveau de similitude des costumes avec ceux qu’il avait observés lors de ses propres expéditions en Perse et le long des rives du fleuve Indus, au 19e siècle. Certaines de ces peintures représentent des sujets ordinaires, tels que des animaux ou des fleurs de lotus. Cette illustration, peinte sur un panneau de bois, serait la représentation de Ganesh, une divinité hindoue également associée au bouddhisme. Elle a été peinte entre le 7e et le 8e siècle.

    PHOTOGRAPHIE DE Album

    Malgré les merveilles qu’il entraperçut, il décida de poursuivre son chemin : « Pour moi, il était suffisant d’avoir fait cette découverte importante et d’avoir acquis au cœur du désert un nouveau terrain pour l’archéologie ». Le lendemain matin, il quitta Dandan Oilik et replongea dans les sables mouvants du désert du Taklamakan.

    Environ à la même époque que celle des voyages dans le désert de Sven Hedin, un jeune britannique né en Hongrie, Marc Aurel Stein, se faisait un nom en tant que spécialiste du perse et du sanskrit.

    Les superbes peintures qui ornaient les sanctuaires, comme ce panneau de bois peint du 6e siècle ...

    Les superbes peintures qui ornaient les sanctuaires, comme ce panneau de bois peint du 6e siècle après J.-C. représentant deux cavaliers, constituèrent les découvertes les plus incroyables.

    PHOTOGRAPHIE DE British Museum, Scala, Florence

    En 1898, les mémoires de Sven Hedin intitulés Through Asia, soit littéralement « à travers l’Asie », furent publiés. Cet ouvrage eut une influence considérable sur Marc Aurel Stein, approchant alors la quarantaine. Deux ans plus tard, il entreprit la première de ses quatre expéditions en Asie centrale. Marchant sur les traces de Sven Hedin, il arriva à Khotan durant l’hiver 1900. Une fois sur place, son guide lui montra des objets issus du site, notamment des fragments de peintures murales provenant de temples, dont certaines portaient de la brahmi, un système d’écriture datant de l’Inde ancienne.

    Enthousiasmé par cette preuve, Marc Aurel Stein prit la route à travers le désert glacial du Taklamakan, arrivant à Dandan Oilik à la fin du mois de décembre1900. Ses connaissances approfondies de l’art bouddhique et des textes sacrés bouddhistes lui permirent de déterminer que le site était une ville-oasis abandonnée qui avait prospéré à partir du 6e siècle après J.-C. Mais qu’arriva-t-il à cette ville, contraignant les personnes y vivant à quitter ses rues animées et ses temples splendidement ornés ?

     

    VILLE-OASIS ET CARREFOUR COMMERCIAL 

    Après plusieurs semaines, Marc Aurel Stein établit que jusqu’à quatorze temples bouddhistes trônaient jadis dans la ville. Ils se composaient d’une cella, enceinte sacrée d’un temple, au centre, imbriquée au sein d’une structure plus grande.

    Parmi les œuvres d’art figuraient de superbes sculptures de bouddhas en stuc et des peintures sur des planches bien préservées. Pour son plus grand plaisir, Marc Aurel Stein reconnut les thèmes de certaines d’entre elles, notamment une illustrant la légende du ver à soie. Cette dernière raconte l’histoire d’une jeune femme issue de la noblesse chinoise qui était mariée au roi de Khotan. Faisant fi de la règle selon laquelle les vers à soie ne pouvaient quitter le cœur de la Chine, la jeune mariée fit sortir clandestinement dans sa coiffe des graines de mûrier et des vers à soie pour son mari.

    La légende fait habilement le lien entre la piété bouddhiste de la ville et sa prospérité sur la route de la soie. Parmi les derniers éléments datables trouvés par Marc Aurel Stein se trouvaient des pièces de monnaie remontant au 8e siècle. Il émit l’hypothèse que le déclin de la ville devait être lié à la perte de contrôle administratif de la région par la Chine à cette époque. Des études ultérieures, notamment des fouilles menées de manière conjointe par la Chine et le Japon en 2002, corroborèrent cette théorie. Dans les années 700, alors que la géopolitique évoluait aussi rapidement que se formaient les dunes, la ville prospère de Dandan Oilik, avec son commerce, son art et ses temples, fut abandonnée, laissant les sables engloutir sa gloire passée.

    Cet article a initialement paru en langue anglaise sur le site nationalgeographic.com.

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